L'œdème pulmonaire cardiogénique suraigu hypertensif est plus communément appelé «OAP Flash», ou SCAPE pour les anglo-saxons (Sympathetic Crashing Acute Pulmonary Edema).
C’est une forme particulièrement grave de syndrome d’insuffisance cardiaque aiguë (SICA), où une poussée hypertensive provoquée par une décharge catécholaminergique entraîne une redistribution vasculaire aussi soudaine que massive.
D’apparition très brutale, cette forme d’insuffisance cardiaque décompensée est caractérisée par un œdème pulmonaire qui se traduit par des symptômes respiratoires asphyxiques révélateurs d’une hypoxie profonde.
Cette forme particulière d’OAP est traitée par des dérivés nitrés, des diurétiques et une oxygénation. En cas de recours à un support ventilatoire, ce dernier peut être mécanique (ventilation non invasive à deux niveaux de pression – VNI VSAI-PEP) ou non mécanique (Continuous Positive Airway Pressure – CPAP ou bien Pression positive continue - PPC).
Cependant, une erreur fréquente dans le traitement antihypertenseur est l’administration d’un protocole traditionnel de dosage de la perfusion de dérivés nitrés IV, dans lequel la perfusion est débutée à 0,5 ou 1 mg/h en perfusion continue et augmentée lentement jusqu’à ce que la réponse clinique soit observée.
Le contrôle de la pression artérielle systolique (post-charge) et de la vasodilatation veineuse (précharge) doit être obtenu le plus rapidement possible dans l’OAP et, plus encore, dans la forme hypertensive des SICA.
Dans ce syndrome, la baisse rapide de la post-charge et la correction de la redistribution vasculaire sont d’une importance capitale pour inverser le facteur de décompensation du patient qui est très majoritairement vasculaire, et non cardiaque.
En effet, à défaut d’un contrôle de la pression artérielle, le patient risque une décompensation cardiaque supplémentaire (par «excès de travail myocardique») et une insuffisance respiratoire asphyxique nécessitant finalement une intubation (un cas fréquent avant l’avènement de la ventilation non invasive).
Les dérivés nitrés, molécules issues de l’explosive nitroglycérine, représentent le traitement de choix à envisager pour les patients souffrant d’un OAP Flash : ils réduisent significativement la précharge, et, même si c’est plus modestement, la postcharge, mais pour cette dernière uniquement à des doses élevées.
Or, dans le cadre de l’œdème pulmonaire aigu classique, les dérivés nitrés sont souvent administrés sous forme de perfusion IV continue et/ou de bolus de 1 ou 2 mg suivis d’une perfusion continue.
Certes, une perfusion débutée à ≥ 1 mg/h produit des effets rapides chez de nombreux patients et peut ensuite être augmentée en fonction de la tolérance jusqu’à des doses atteignant 4 ou 5 mg/h, voire plus.
Avec l’ajout d’une ventilation en pression positive non invasive, les patients s’améliorent souvent assez rapidement, ce qui permet dans l’immense majorité des cas d’éviter l’intubation et une admission en unité de soins intensifs.1, 2
Mais que dit la littérature sur le fait de commencer par des bolus IV de dérivés nitrés à forte dose, suivis d’une perfusion ?
Des études récentes reviennent sur le concept de dérivés nitrés IV administrés à forte dose. Ce principe est pourtant connu depuis 25 ans.
En 1998, un article majeur de Cotter et al. portant sur le traitement du syndrome d’insuffisance cardiaque aiguë comparait l’efficacité d’une dose élevée de nitroglycérine (NTG) associée à une faible dose de diurétique versus celle d’une dose élevée de diurétiques associée à une faible dose de NTG.3
Conclusion ? Les patients ayant reçu des nitrés à forte dose associés à des diurétiques à faible dose sont moins intubés, font moins d’infarctus... mais ne meurent ni plus ni moins que les autres.
Bon nombre d’études plus récentes montrent également une diminution des taux d’intubation, des admissions en soins intensifs et de la durée des séjours hospitaliers avec les dérivés nitrés à forte dose (voire à dose unique), tout en concluant à un faible risque d’hypotension. 4,5
La dose réelle de dérivés nitrés administrée dans ces essais est variable. Certains travaux évaluaient l’efficacité de doses de 1 à 2 mg IV en bolus toutes les 3 à 5 minutes. Pour d’autres essais, il s’agissait d’une perfusion continue de nitroglycérine mais à un débit initial allant de 2 à 4 mg/h, c’est-à-dire beaucoup plus élevé que l’administration classique telle que décrite plus haut. 4-7
Dans tous les cas, ces articles montrent tous une diminution rapide de la pression artérielle et une amélioration franche du syndrome asphyxique au fur et à mesure que celle-ci est contrôlée.
L’étude pilote prospective menée par Mathew et al. en 2021, portant sur 25 patients en OAP Flash, proposait un protocole clair et systématique : un bolus de NTG à haute dose (600-1000 mcg en 2 minutes) suivi d'une perfusion de 100 mcg/min, associé à un support ventilatoire par VNI. 7
Certes, ce protocole correspond aux usages nord-américains des dérivés nitrés et le parallèle reste à établir avec l’Europe (NTG versus dinitrate d’isosorbide dans nos contrées).
Cependant, dans le contexte de l’utilisation des dérivés nitrés aux urgences, il est important de noter que certains établissements aux États-Unis ne permettent même pas l’administration IV de NTG voire limitent l’utilisation de bolus IV de NTG… Ce qui est dynamité par cette étude.
On peut donc légitimement s’en inspirer pour adapter nos propres protocoles européens. Nous pouvons choisir de mettre en œuvre des stratégies de dosage visant dans un premier temps à améliorer rapidement les signes asphyxiques d’hypoxie, soit avec un bolus à partir d’une seule seringue de perfusion continue IV, soit en initiant des bolus de 2 ou 3 mg sur une courte période, toutes les 2 à 3 minutes.
Ensuite, on prend le relais avec une perfusion continue lors de la phase de stabilisation, la dose étant à adapter en fonction de l’état hémodynamique du patient. J’ajouterai qu’on peut également légitimement administrer de la TNT sublinguale au patient en attendant que la voie veineuse soit disponible et que la préparation de la seringue soit effective.
Pour finir, laissez-moi vous faire une confidence : depuis que j’utilise de fortes doses de dérivés nitrés… je n’ai presque plus à utiliser la VNI pour stabiliser mes patients en OAP Flash.
Références :
1- Wilson SS, Kwiatkowski GM, Millis SR, Purakal JD, Mahajan AP, Levy PD. Use of nitroglycerin by bolus prevents intensive care unit admission in patients with acute hypertensive heart failure. Am J Emerg Med. 2017 Jan;35(1):126-131. doi: 10.1016/j.ajem.2016.10.038. Epub 2016 Oct 18. PMID: 27825693.
2- Collins, S., Martindale, J. Optimizing Hypertensive Acute Heart Failure Management with Afterload Reduction. Curr Hypertens Rep 20, 9 (2018). https://doi.org/10.1007/s11906-018-0809-7
3- Cotter G, Metzkor E, Kaluski E, et al. Randomised trial of high-dose isosorbide dinitrate plus low-dose furosemide versus high-dose furosemide plus low-dose isosorbide dinitrate in severe pulmonary oedema. Lancet. 1998;351(9100):389-93. PMID 9482291.
4- Levy P, Compton S, Welch R, et al. Treatment of severe decompensated heart failure with high-dose intravenous nitroglycerin: a feasibility and outcome analysis. Ann Emerg Med. 2007;50(2):144-52. PMID 17509731.
5- Wang K, Samai K. Role of high-dose intravenous nitrates in hypertensive acute heart failure. Am J Emerg Med. 2020;38(1):132-137. doi: 10.1016/j.ajem.2019.06.046. PMID: 31327485.
6- Paone S, Clarkson L, Sin B, Punnapuzha S. Recognition of Sympathetic Crashing Acute Pulmonary Edema (SCAPE) and use of high-dose nitroglycerin infusion. Am J Emerg Med. 2018 Aug;36(8):1526.e5-1526.e7. doi: 10.1016/j.ajem.2018.05.013. Epub 2018 May 10. PMID: 29776826.
7- Mathew R, Kumar A, Sahu A, Wali S, Aggarwal P. High-Dose Nitroglycerin Bolus for Sympathetic Crashing Acute Pulmonary Edema: A Prospective Observational Pilot Study. J Emerg Med. 2021 Sep;61(3):271-277. doi: 10.1016/j.jemermed.2021.05.011. Epub 2021 Jun 30. PMID: 34215472.
Liens d'intérêts
Le professeur Peschanski déclare les liens d'intérêts suivants :
- sur les trois dernières années : Vygon SA (consultant), Fisher&Paykel (symposium), AstraZeneca (symposium)
- sur les vingt dernières années :
Symposiums : Fisher&Paykel Healthcare , AstraZeneca, Lilly, Sanofi, Daiichi-Sankyo, HeartScape, The Medicine Company, Thermofisher, Roche Diagnostics
Boards : Bayer, AstraZeneca, Vygon SA, Portola USA, Sanofi, Boehringer Ingelheim
Congrès : Lilly, Sanofi, Vygon SA, Portola, Roche Diagnostics, Thermofisher
Fonds de recherche (non personnels) : Servier, Boehringer Ingelhei