Chats noirs en blouse blanche (et autres superstitions)

Journal Club n°10<br>Prendre une garde un vendredi 13, nuit de pleine lune, avec un confrère réputé «chat noir»... L'idée du siècle ? Quelques études – très sérieuses – nous rassurent. Un peu.



Nous publions ici, avec son accord, le Journal Club que le Pr Nicolas Peschanski * propose à ses étudiant.e.s afin de leur présenter certaines études relatives à sa spécialité. Nous l'en remercions chaleureusement.

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Journal Club n°10



Aujourd’hui, confrontons quelques mythes à la réalité par un bon vieux jeu de questions médicales.
Voici donc un quizz spécial «superstitions et médecine d'urgence» !

 

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1- Le fait de dire «J'espère que ce sera calme...» a-t-il un impact sur l’activité des urgences ?

Non.
En tous cas, pas au Japon !

En effet, Kuriyama et al. ont mené deux essais randomisés 1 en groupes parallèles, en aveugle, auprès d’internes travaillant au sein d’un service d'urgence de l'ouest du Japon.

25 internes ont enregistré pendant une période de dix mois. :

L'un des deux groupes recevait tous les jours de la part des seniors un message volontairement percutant avant de prendre leur service du type : «J'espère que vous aurez une journée tranquille», tandis que l’autre groupe prenait leur fonction sans aucun message.

Résultat : Il n'y a pas eu de différences entre les deux groupes mais «les commentaires des médecins séniors ont eu un effet de malchance minime sur la charge de travail des internes travaillant aux urgences». Ces derniers voyaient plus de patients en attente de transfert que lorsqu’ils ne recevaient pas le message.

 


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2- Êtes-vous un «chat noir» en ce qui concerne les patients de votre service? 
(et cela a-t-il un impact sur les taux d'admission ?)

Oui.
Enfin, en quelque sorte (surtout pour certains collègues ???).

Les médecins accusent leurs pairs d'être des «chats noirs» (black clouds chez les médecins US) si ces derniers ont tendance à attirer les patients à eux pendant leurs gardes, ou simplement s’ils doivent gérer à chaque fois un nombre très élevé de cas complexes ou de réanimations... 

Walling et al. ont réalisé une étude 2 en 2004 qui a montré que les «chats noirs» étaient responsables d’une augmentation de la fréquentation des urgences – avec jusqu’à 24% de patients en plus ! Cependant, la méthodologie est critiquable puisque les internes déclaraient leur «tendance» à être un «chat blanc» ou «chat noir». Lorsqu’ils ne pouvaient pas décider, le groupe décidait à leur place. Malheureusement, l’article ne précise pas sur quelle période les internes ont été interrogés… et l’article suivant montre que sur des périodes d'étude plus longues, l’existence d’une «prédisposition à porter la poisse» n'est pas évidente.

En effet, en 2018, Ong et al. 3 ont analysé cinq années de données d'admission à l'hôpital et n'ont trouvé aucune preuve permettant d’affirmer qu’un médecin était vraiment un «chat noir» ou non.

Au final, c’est comme un calcul responsable d’une colique néphrétique : ça fait mal mais ça passe… Et c’est particulièrement important car une autre étude de Kale et al. 4 a constaté en 2017 un lien entre le fait de se revendiquer «chat noir» avec l'épuisement professionnel.



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3- Parmi ces situations, lesquelles sont affectées par la pleine lune ?

(Volume d’activité aux urgences, morsures de chien, patients violents, infarctus, arrêts cardiaques, hémorragies sous-arachnoïdiennes, calculs rénaux, accouchement, accidents de la route). 

Deux seulement (et encore… peut-être !)
Spoil : il s’agit des patients violents et des accidents de la route.

Cycle lunaire et superstition semblent être très liés dans de multiples cultures. Il existe de nombreux documents qui essaient de montrer des associations entre les deux. Ainsi, Thompson et al. 5 ont examiné le nombre des admissions aux urgences lors de 49 cycles lunaires, soit pendant 4 ans. Ils n’ont pas constaté d'augmentation récurrente des admissions en fonction des phases du cycle lunaire

Cependant, au moins en Australie, Calver et al. 6 ont constaté une probabilité accrue d'admission de patients violents aux urgences pendant une pleine lune.

Concernant les accidents de la route, l'influence de la pleine lune semble se vérifier. En effet, Onozuka et al. 7 ont découvert qu'il y avait un lien entre la fréquence de survenue des accidents de la route et la pleine lune.
Pour autant, gageons qu’il est moins risqué de contempler la lune – même pleine – en conduisant que de regarder notre smartphone !



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4- «Un vendredi 13, les résultats chirurgicaux sont moins bons»
     VRAI ou FAUX ?

Que diriez-vous d'une étude sur... neuf  ans pour s’attaquer à ce mythe ? 

Des chirurgiens l’ont fait… Schuld et al. 8 ont examiné 27.914 interventions chirurgicales sur neuf ans, en évaluant les pertes sanguines, la fréquence des chirurgies urgentes et les perforations intestinales chez des patients ayant bénéficié d’une chirurgie viscérale ou vasculaire. Ils se sont intéressés non seulement à l'effet du vendredi 13 mais aussi aux phases lunaires ainsi qu’aux signes du zodiaque.
Résultat : aucun de ces éléments n'était corrélé avec une quelconque signification statistique !



5- Le jour de votre sortie de l’hôpital a-t-il une influence néfaste sur votre pronostic vital… ou sur votre porte-monnaie ?

Oui.
Enfin, d’une certaine façon.

Au Japon, le fait de sortir de l’hôpital un jour Taian (un jour de chance) ou un jour Butsumetsu (un jour de malchance) sont fortement corrélés à la morbi-mortalité. Hira et al. 9 ont réalisé une étude rétrospective sur ce phénomène et ont montré qu’un nombre maximum de patients sort un jour Taian plutôt qu’un jour Butsumetsu

Ces résultats suggèrent que les patients prolongent leur séjour pour quitter l'hôpital un jour de chance, en espérant augmenter leurs chances de survie (ce qui reste à prouver)… et en augmentant à coup sûr le coût total de leur séjour. En effet, l'hôpital où a eu lieu l’étude a estimé que le surcoût s’élevait à 7,4 millions de yens de plus par an, ce qui entraîne des conséquences négatives pour la société.


Conclusions

En cinq questions, voici des mythes plus ou moins balayés grâce à la médecine basée sur les preuves (l’épreuve ?). Ce que l’on appelle aussi la «dogmalyse de l’urgentiste», nous en reparlerons bientôt.

Reste une certitude : ce qui nous a balayé pendant le dernier Halloween n’avait rien à voir avec des chats noirs, vendredis 13 ou autres cycles lunaires. Ce fut une vague, la deuxième.

L’avant-dernière ? 



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Notes :
1- Kuriyama A, Umakoshi N, Fujinaga J, Kaihara T, Urushidani S, Kuninaga N, Ichikawa M, Ienaga S, Sasaki A, Ikegami T.
Impact of Attending Physicians’ Comments on Residents’ Workloads in the Emergency Department: Results from Two J(^o^)PAN Randomized Controlled Trials.
PLoS One. 2016 Dec 9;11(12):e0167480
https://doi.org/10.1371/journal.pone.0167480
2- Walling, HW. Actual versus perceived workload for house officers; black cloud looming? Ann Intern Med. 2004 May 18;140(10)847-8
https://doi.org/10.7326/0003-4819-140-10-200405180-00031
3- Ong Et al. Black Clouds vs Random Variation in Hospital Admissions.
Fam Med. 2018;50(6):444-449
https://doi.org/10.22454/fammed.2018.555558
4- Kale A et al. Black Cloud or White Cloud?: A study of How Residents Perceive Their Workloads.
Journal of Lancaster General Hospital 2017;12(2):45-52
5-  Calver LA, Stokes BJ, Isbister GK. The dark side of the moon.
Med J Aust. 2009;191(11- 12):692-694
https://doi.org/10.5694/j.1326-5377.2009.tb03385.x
6- Thompson DA, Adams SL. The full moon and ED patient volumes: unearthing a myth.
Am J Emerg Med 1996;14(2):161-164
https://doi.org/10.1016/S0735-6757(96)90124-2
7- Onozuka et al. Full moon and traffic accident-related emergency ambulance transport: A nationwide case-crossover study.
Sci Total Environ. 2018;10(644):801-805
https://doi.org/10.1016/j.scitotenv.2018.07.053
8- Schuld et al. Popular belief meets surgical reality: impact of lunar phases, Friday the 13th and zodiac signs on emergency operations and intraoperative blood loss.
World J Surg 2011.35(9):1945-1949
https://doi.org/10.1007/s00268-011-1166-8
9- Hira K et al. Influence of superstition on the date of hospital discharge and medical cost in Japan: retrospective and descriptive study.
BMJ. 1998;317(7174):1680-1683
https://dx.doi.org/10.1136%2Fbmj.317.7174.1680



* Nicolas Peschanski est professeur de médecine d'urgence et praticien hospitalier au CHU de Rennes. Membre actif de longue date de la SFMU – avec six années passées au sein de la commission scientifique – il siège depuis 2020 à la commission des référentiels.
Le parcours international du Pr Peschanski, notamment aux USA, lui a permis de devenir membre de la Commission Internationale de l'American College of Emergency Physicians ainsi que du comité de pilotage de l'EMCREG-International (Emergency Medicine Cardiac Research and Education Group). Il fait également partie de l'Eusem (European Society for Emergency Medicine) et plus particulièrement de son comité «Web & social media».
Le Pr Peschanski est très attaché au principe de la FOAMed (Free Open Access Meducation - Partage en libre accès des ressources éducatives médicales). Il utilise les réseaux sociaux (@DocNikko) à des fins pédagogiques et de partage des connaissances en médecine d’urgence.


Liens d'intérêts
Le professeur Peschanski déclare les liens d'intérêts suivants :
- sur les trois dernières années : Vygon SA (consultant),  Fisher&Paykel (symposium), AstraZeneca (symposium)
- sur les vingt dernières années :
Symposiums : Fisher&Paykel Healthcare , AstraZeneca, Lilly, Sanofi, Daiichi-Sankyo, HeartScape, The Medicine Company, Thermofisher, Roche Diagnostics
Boards : Bayer, AstraZeneca, Vygon SA, Portola USA, Sanofi, Boehringer Ingelheim
Congrès : Lilly, Sanofi, Vygon SA, Portola, Roche Diagnostics, Thermofisher
Fonds de recherche (non personnels) : Servier, Boehringer Ingelhei