Les traitements pro-arythmogènes "in the pocket" !
Journal Club n°9<br>À ma gauche, des médicaments couramment employés aux urgences. À ma droite, leurs potentiels effets arythmogènes… Gare au chausse-trappe !
Nous publions ici, avec son accord, le Journal Club que le Pr Nicolas Peschanski * propose à ses étudiant.e.s afin de leur présenter certaines études relatives à sa spécialité. Nous l'en remercions chaleureusement.
Journal Club n°9
Tout urgentiste bien constitué doit savoir que de nombreux médicaments peuvent provoquer des arythmies cardiaques. Grâce à cette recommandation formalisée d’experts tout droit venue d’outre-Atlantique, voici en exclusivité une liste (malheureusement non exhaustive) des «usual suspects» établie par l’American Heart Association (AHA).
L'étude
Drug-Induced Arrhythmias: A Scientific Statement From the American Heart Association 1
Pourquoi c’est important ?
La plupart d'entre nous sont sensibilisés au fait que plusieurs médicaments et classes de médicaments peuvent prolonger l'intervalle QT et prédisposer un patient aux torsades de pointes (surtout en ces temps troublés d’hydroxychloroquinopathie potentielle, plus communément appelé «Syndrome de Raoult»).
Mais saviez-vous que plusieurs médicaments sont également associés à la survenue :
- d’une fibrillation auriculaire,
- d’une tachycardie atriale focale,
- de bradyarythmies,
- de rythmes jonctionnels accélérés – comme une tachycardie atrioventriculaire par ré-entrée intranodale (la fameuse «Maladie de Bouveret»,
- de tachycardies ventriculaires monomorphes ou non
- d'un syndrome de Brugada ? (Eh oui, certains peuvent même le démasquer...)
Soyons donc vigilants avec certaines prescriptions…
Médicaments courants susceptibles d'entraîner une perturbation du rythme
Pour chaque arythmie, il existe de nombreux médicaments qui peuvent en être la cause. Je ne peux pas les énumérer tous. À ce propos, il est important que vous lisiez vous-même le texte intégral de cet article.
En attendant, voici les tiroirs que j’ai tirés de la commode… afin de dresser la liste des médicaments les plus couramment rencontrés dans notre pratique, associés à la perturbation du rythme qu’ils peuvent induire.
TROP LENT !
Bradyarythmies
- Propofol (et oui, c’est aussi un inhibiteur calcique-like !)
- Adénosine
- Amiodarone
- Bêtabloquants, en particulier le Sotalol®
- Citalopram, fluoxétine
- Inhibiteurs calciques cardio-sélectifs : vérapamil, diltiazem
- Digoxine
- Dipyridamole (Persantine®), clonidine (Catapressan®)
TROP VITE !
Fibrillation/flutter auriculaire/tachycardie atriale
- Cardiotropes : adénosine, amiodarone, isoprotérénol (Isuprel®)
- Agents antinéoplasiques (chimiothérapies et immunothérapies) : inhibiteurs de la tyrosine kinase, anthracyclines, agents alkylants, bloqueurs des récepteurs HER2, 5FU, agents microtubulaires
- Psychotropes : fluoxétine, prochlorpérazine, olanzapine
- Ondansetron
- Anti-inflammatoires : diclofénac, inhibiteurs COX2, corticostéroïdes
- Bisphophonates
- Albutérol, terbutaline
- Drogues récréatives : cannabis, alcool, amphétamines, caféine (dites que ce n'est pas le cas...)
- Amines : dobutamine, dopamine, épinéphrine, milrinone
- Morphine
- Sildenafil (Viagra®)
BEAUCOUP TROP VITE !
Tachycardie jonctionnelle (TJREN)
- Phénylpropanolamine (Actifed®, Fervex®, Rhinutan®… anti-rhumes de pharmacie)
- Clozapine, fluoxétine
- Albuterol
- Dobutamine
- Méthylprednisolone
- Furosémide
- Caféïne (ça explique beaucoup de choses...)
- Méthylphénidate (Ritaline®)
BEAUCOUP BEAUCOUP TROP VITE !
Tachycardie ventriculaire monomorphe
- ALR : bupivacaïne
- Cardiotropes : adénosine, amiodarone, propafénone, digoxine
- Agents antinéoplasiques (chimiothérapies et immunothérapies) : 5FU, anthracyclines, inhibiteurs des points de contrôle immunitaires (myocardite)
- Psychotropes : bupropion, citalopram, imipramine, venlafaxine, lithium
- Dipyridamole
- Chlorpromazine
- Dobutamine, adrénaline
- Terbutaline
- Méthamphétamine
Syndrome Brugada « démasqué » = tous les bloqueurs de la recapture du Na+
- Cardiotropes : flécaïnide, propafénone
- Psychotropes : antidépresseurs tricycliques (imipraminiques et apparentés), lithium, oxcarbazépine
- Anesthésiques : bupivacaïne, propofol
- Alcool
- Potassium
Torsades de pointes (via le QT prolongé)
- Propofol
- Amiodarone, flécaïnide, ibutilide, sotalol
- Anti-infectieux : azithromycine, ciprofloxacine, lévofloxacine
- Psychotropes : citalopram, droperidol, halopéridol (et tous les neuroleptiques en général)
- Ondansetron
- Fluconazole, pentamidine (Pentacarinat®)
- Hydroxychloroquine (tiens, tiens,… le « Syndrome de Raoult »)
- Méthadone
Encore une fois, cette liste n'est pas exhaustive. Il est probablement préférable que vous scrutiez l'article dans son intégralité. J'ai énuméré ceux que vous rencontrerez le plus souvent dans la pratique clinique aux urgences.
Vous verrez certains «délinquants récidivistes» sur plusieurs de ces listes.
Méfiez-vous particulièrement de ces principes actifs lorsqu’ils apparaissent dans l’ordonnance du patient. Vous devez non seulement faire attention à ce que vous prescrivez et à qui, mais aussi penser à l'inverse : si un patient présente une arythmie, vérifiez la liste des médicaments (et autres substances licites ou non qu’il prend régulièrement).
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Note :
1- Drug-Induced Arrhythmias: A Scientific Statement From the American Heart Association
James E. Tisdale, Mina K. Chung, Kristen B. Campbell, Muhammad Hammadah, Jose A. Joglar, Jacinthe Leclerc, Bharath Rajagopalan
and On behalf of the American Heart Association Clinical Pharmacology Committee of the Council on Clinical Cardiology and Council on Cardiovascular and Stroke Nursing
Originally published 15 Sep 2020
https://doi.org/10.1161/CIR.0000000000000905
Circulation. 2020;142:e214–e233
* Nicolas Peschanski est professeur de médecine d'urgence et praticien hospitalier au CHU de Rennes. Membre actif de longue date de la SFMU – avec six années passées au sein de la commission scientifique – il siège depuis 2020 à la commission des référentiels.
Le parcours international du Pr Peschanski, notamment aux USA, lui a permis de devenir membre de la Commission Internationale de l'American College of Emergency Physicians ainsi que du comité de pilotage de l'EMCREG-International (Emergency Medicine Cardiac Research and Education Group). Il fait également partie de l'Eusem (European Society for Emergency Medicine) et plus particulièrement de son comité «Web & social media».
Le Pr Peschanski est très attaché au principe de la FOAMed (Free Open Access Meducation - Partage en libre accès des ressources éducatives médicales). Il utilise les réseaux sociaux (@DocNikko) à des fins pédagogiques et de partage des connaissances en médecine d’urgence.
Liens d'intérêts
Le professeur Peschanski déclare les liens d'intérêts suivants :
- sur les trois dernières années : Vygon SA (consultant), Fisher&Paykel (symposium), AstraZeneca (symposium)
- sur les vingt dernières années :
Symposiums : Fisher&Paykel Healthcare , AstraZeneca, Lilly, Sanofi, Daiichi-Sankyo, HeartScape, The Medicine Company, Thermofisher, Roche Diagnostics
Boards : Bayer, AstraZeneca, Vygon SA, Portola USA, Sanofi, Boehringer Ingelheim
Congrès : Lilly, Sanofi, Vygon SA, Portola, Roche Diagnostics, Thermofisher
Fonds de recherche (non personnels) : Servier, Boehringer Ingelheim