Essai BOX : faut-il mettre l’arrêt cardiaque en boîte ?

Journal Club n°28<br> Après le retour à une activité cardiaque spontanée, lors d'un arrêt cardiaque extrahospitalier, quelles sont les valeurs cibles optimales pour la pression artérielle en oxygène et la pression artérielle moyenne ? L'essai BI-BOX nous donne des pistes.



Nous publions ici, avec son accord, le Journal Club que le Pr Nicolas Peschanski * propose à ses étudiant.e.s afin de leur présenter certaines études relatives à sa spécialité. Nous l'en remercions chaleureusement.

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Journal Club n°28



L’étude BOX (ou plutôt Bi-BOX) publiée dans deux articles du New England Journal of Medicine est un large double-essai randomisé et contrôlé qui porte sur la prise en charge des patients victimes d’arrêt cardiaque extrahospitalier (ACEH), après le retour à une activité cardiaque spontanée (RACS).

Dans ces articles, les auteurs ont voulu répondre à deux questions importantes portant sur la même cohorte de patients :


Pourquoi c’est important...

Une PAM de 65 mmHg est probablement un objectif raisonnable puisqu’elle correspond à la pression de perfusion cible permettant d’assurer le bon fonctionnement de nos organes.

Cependant, en cas d’ACEH, il apparaît intéressant de se demander si un objectif plus élevé pourrait optimiser la perfusion cérébrale. Dans ce contexte précis, de petits essais cliniques randomisés n’ont jusqu’alors pas été concluants. BOX essaye donc d’apporter une réponse à travers une étude randomisée contrôlée de plus grande envergure.

Par ailleurs, profitant de cet essai BOX, les auteurs ont voulu répondre à la question de la cible d’oxygénation chez ces patients victimes d’arrêt cardiaque et en coma après RACS prolongé. En effet, la littérature est là encore partagée.

Si l’on sait que l’hyperoxie est délétère, il est évident que l’hypoxie l’est au moins tout autant. En termes de SpO2, il semble que la fourchette idéale se situe entre 94 et 98%. Mais qu’en est-il concernant la PaO2, reflet plus pertinent de l’oxygénation tissulaire ?

Chez ces patients victimes d’ACEH, les auteurs ont voulu comparer les taux de mortalité selon les valeurs cibles pour la PaO2, considérées comme basses (68-75 mmHg) ou élevées (98-105 mmHg). Ces valeurs obtenues par prélèvements artériels de gaz du sang résultaient du réglage du respirateur (FiO2 30% ou FiO2 60%).


Résultats... Pas de quoi en faire une caisse

Ces deux études en un essai ne sont pas exemptes de biais – en partie parce qu’il s’agit d’une étude où l’aveugle n’était pas possible. Mais le résultat est clair : il n'y a pas eu de différence en termes de morbi-mortalité chez ces patients victimes d’ACEH, que ce soit en fonction d’un objectif de PAM de 63 ou 77 mmHg ou pour des objectifs de PaO2 élevés ou bas.

En effet, chez les 789 patients randomisés et tous soumis à un contrôle strict de la température (36°C), il n'y avait pas de différence dans le résultat composite du décès ou de la sortie avec une incapacité résiduelle sévère (score CPC 3-4) : 34% dans le groupe à PAM élevée versus 32% dans le groupe à PAM basse [HR 1,08 (95%CI 0,84 à 1,37)].

On peut donc en conclure que, chez les patients victimes d’ACEH, le fait de cibler une PAM basse ou élevée n’a pas eu d’incidence sur la mortalité ou sur la probabilité de quitter l’hôpital avec un mauvais état neurologique résiduel.

Chez ces mêmes 789 patients comateux après RACS, répartis au hasard entre un objectif de PaO2 élevé ou bas, il n'y a pas eu de différence dans le résultat primaire composite de la mortalité toutes causes confondues ou de la sortie avec un handicap sévère (score CPC 3-4).

Là encore, la différence n’est pas significative : 32% dans le groupe à PaO2 basse versus 33,9% dans le groupe à PaO2 élevée [HR 0,95 (95%CI 0,75 à 1,21)].

On peut là-aussi en conclure que chez ces patients le fait de cibler une PaO2 basse (9-10 kPa ou 68-75 mmHg) par rapport à une PaO2 élevée (13-14 kPa ou 98-105 mmHg) n’a pas eu d'incidence sur la mortalité ni sur la probabilité de quitter l’hôpital vivant mais avec un mauvais état neurologique.

Enfin, que ce soit dans l’un ou l’autre des deux protocoles s’intéressant à cette même population, il n’y avait pas non plus de différence significative retrouvée dans les résultats des critères secondaires de jugement : mortalité à 90 jours, insuffisance rénale aiguë et dialyse, scores neurologiques cognitifs et évènements indésirables graves (infection, arythmie et hémorragie).



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À retenir pour l’urgentiste : BOX n’a pas ouvert la boîte de Pandore !

Suite à cette étude bien construite bien que composée de deux essais, il ne semble pas utile d’insister sur des objectifs élevés de PAM ou de PaO2. En effet, ces deux facteurs ne semblent pas jouer un rôle majeur dans la survie et le pronostic neurologique fonctionnel des patients victimes d’un ACEH et présentant un coma après RACS prolongé.

Les bons principes de prise en charge de l’ACEH après RACS prolongé restent ceux jusqu’alors déterminés par la science. Les soins de neuroprotection et de limitation des agressions cérébrales secondaires d’origine systémique (ACSOS) sont toujours d’actualité, à savoir :


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Références :

1- Kjaergaard J, Møller JE, Schmidt H, Grand J, Mølstrøm S, Borregaard B, Venø S, Sarkisian L, Mamaev D, Jensen LO, Nyholm B, Høfsten DE, Josiassen J, Thomsen JH, Thune JJ, Obling LER, Lindholm MG, Frydland M, Meyer MAS, Winther-Jensen M, Beske RP, Frikke-Schmidt R, Wiberg S, Boesgaard S, Madsen SA, Jørgensen VL, Hassager C.
Blood-Pressure Targets in Comatose Survivors of Cardiac Arrest. N Engl J Med. 2022 Oct 20;387(16):1456-1466. doi: 10.1056/NEJMoa2208687. Epub 2022 Aug 27. PMID: 36027564.

2- Schmidt H, Kjaergaard J, Hassager C, Mølstrøm S, Grand J, Borregaard B, Roelsgaard Obling LE, Venø S, Sarkisian L, Mamaev D, Jensen LO, Nyholm B, Høfsten DE, Josiassen J, Thomsen JH, Thune JJ, Lindholm MG, Stengaard Meyer MA, Winther-Jensen M, Sørensen M, Frydland M, Beske RP, Frikke-Schmidt R, Wiberg S, Boesgaard S, Lind Jørgensen V, Møller JE.
Oxygen Targets in Comatose Survivors of Cardiac Arrest. N Engl J Med. 2022 Oct 20;387(16):1467-1476. doi: 10.1056/NEJMoa2208686. Epub 2022 Aug 27. PMID: 36027567.

 

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* Nicolas Peschanski est professeur de médecine d'urgence et praticien hospitalier au CHU de Rennes. Membre actif de longue date de la SFMU – avec six années passées au sein de la commission scientifique – il siège depuis 2020 à la commission des référentiels.

Le parcours international du Pr Peschanski, notamment aux USA, lui a permis de devenir membre de la Commission Internationale de l'American College of Emergency Physicians ainsi que du comité de pilotage de l'EMCREG-International (Emergency Medicine Cardiac Research and Education Group). Il fait également partie de l'Eusem (European Society for Emergency Medicine) et plus particulièrement de son comité «Web & social media».

Le Pr Peschanski est très attaché au principe de la FOAMed (Free Open Access Meducation - Partage en libre accès des ressources éducatives médicales). Il utilise les réseaux sociaux (@DocNikko) à des fins pédagogiques et de partage des connaissances en médecine d’urgence.
 

Liens d'intérêts
Le professeur Peschanski déclare les liens d'intérêts suivants :
- sur les trois dernières années : Vygon SA (consultant),  Fisher&Paykel (symposium), AstraZeneca (symposium)
- sur les vingt dernières années :
Symposiums : Fisher&Paykel Healthcare , AstraZeneca, Lilly, Sanofi, Daiichi-Sankyo, HeartScape, The Medicine Company, Thermofisher, Roche Diagnostics
Boards : Bayer, AstraZeneca, Vygon SA, Portola USA, Sanofi, Boehringer Ingelheim
Congrès : Lilly, Sanofi, Vygon SA, Portola, Roche Diagnostics, Thermofisher
Fonds de recherche (non personnels) : Servier, Boehringer Ingelhei