Un tampon pour l'acide tranexamique ?
Journal Club n°4<br>L'étude CRASH-2 avait montré une baisse de mortalité grâce à l'administration de TXA. Dans des conditions plus proches de nos filières françaises de traumatologie lourde, ces résultats pourraient être différents.
Nous publions ici, avec son accord, le Journal Club que le Pr Nicolas Peschanski * propose à ses étudiant.e.s afin de leur présenter certaines études relatives à sa spécialité. Nous l'en remercions chaleureusement.
Journal Club n°4
L’étude
Mortality and Complication Rates in Adult Trauma Patients Receiving Tranexamic Acid: A Single-center Experience in the Post-CRASH-2 Era 1
Pourquoi est-ce important ?
L'étude CRASH-2 a montré une baisse de mortalité lorsque l'acide tranexamique (TXA) était administré à des patients adultes souffrant d'un traumatisme hémorragique grave. La plupart des sites de l'étude CRASH-2 se trouvaient dans des pays où les pratiques de transfusion et la capacité à identifier les événements indésirables étaient différentes de celles des centres de traumatologie américains ou européens. Cette étude se focalise justement sur l'utilisation du TXA dans le contexte d'un centre de traumatologie de haut niveau avec une filière de soins optimisée.
Un CRASH dans le monde réel ?
Il s'agissait d'une étude rétrospective intéressant des patients :
- ayant reçu du TXA à l'U.C. à la dose de 1g en 10 minutes puis 1g en 8h,
- pris en charge dans les 3h du traumatisme,
- ayant présenté une hypotension ou bénéficié d'une transfusion massive
et ceux qui étaient allés directement des urgences au bloc opératoire.
- Sur une période de trois ans, 273 patients ont reçu du TXA.
- Le taux de mortalité était de 12,3% – similaire à la cohorte originale de l'étude CRASH-2 (14,5% de mortalité).
- Dans 84% des cas, le TXA a été administré dans les trois heures.
Des différences notables
- Le résultat majeur de cette étude réside dans le taux d'événements thromboemboliques qui était beaucoup plus élevé (6,6%) comparé à la cohorte CRASH-2 (2%).
- Par ailleurs, les patients de cette étude ont été plus souvent transfusés, ont subi plus de chirurgie, étaient plus âgés et comptaient un pourcentage plus élevé de femmes que la cohorte CRASH-2.
- Ils présentaient également des blessures plus graves même si l'ISS (score de sévérité) n'était pas renseigné dans CRASH-2, ce qui empêche la comparaison directe.
- En outre, le TXA a été administré plus tôt que dans CRASH-2.
- Étonnamment, les auteurs ne relatent que 61% de patients ayant reçu à la fois la dose initiale TXA en bolus et celle d'entretien, alors que 94% ont reçu les deux doses de TXA dans l'essai CRASH-2. On pourrait donc penser que cela biaise les résultats en faveur d'un nombre réduit d'événements thromboemboliques.
- La différence dans les événements thromboemboliques pourrait être due à l'âge plus avancé des patients, à des comorbidités plus importantes, à un taux plus élevé de chirurgie et de transfusion et à un meilleur dépistage des évènements thromboemboliques par rapport à l'essai CRASH-2.
TXA or no-TXA, that is the question... (again)
Cette étude montre que l'utilisation du TXA dans un contexte autre que celui de CRASH-2 – et semblable à nos filières françaises de traumatologie lourde – peut produire des résultats différents de ceux de la population de l'étude princeps.
D'autres travaux sont nécessaires pour déterminer le rapport bénéfice/risque du TXA dans une filière de traumatologie lourde.
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Note :
1- Mortality and Complication Rates in Adult Trauma Patients Receiving Tranexamic Acid: A Single-center Experience in the Post-CRASH-2 Era
Acad Emerg Med. 2020 May;27(5):358- 365. doi: 10.1111/acem.13883. Epub 2020 Mar 19
* Nicolas Peschanski est professeur de médecine d'urgence et praticien hospitalier au CHU de Rennes. Membre actif de longue date de la SFMU – avec six années passées au sein de la commission scientifique – il siège depuis 2020 à la commission des référentiels.
Le parcours international du Pr Peschanski, notamment aux USA, lui a permis de devenir membre de la Commission Internationale de l'American College of Emergency Physicians ainsi que du comité de pilotage de l'EMCREG-International (Emergency Medicine Cardiac Research and Education Group). Il fait également partie de l'Eusem (European Society for Emergency Medicine) et plus particulièrement de son comité «Web & social media».
Le Pr Peschanski est très attaché au principe de la FOAMed (Free Open Access Meducation - Partage en libre accès des ressources éducatives médicales). Il utilise les réseaux sociaux (@DocNikko) à des fins pédagogiques et de partage des connaissances en médecine d’urgence.
Liens d'intérêts
Le professeur Peschanski déclare les liens d'intérêts suivants :
- sur les trois dernières années : Vygon SA (consultant), Fisher&Paykel (symposium), AstraZeneca (symposium)
- sur les vingt dernières années :
Symposiums : Fisher&Paykel Healthcare , AstraZeneca, Lilly, Sanofi, Daiichi-Sankyo, HeartScape, The Medicine Company, Thermofisher, Roche Diagnostics
Boards : Bayer, AstraZeneca, Vygon SA, Portola USA, Sanofi, Boehringer Ingelheim
Congrès : Lilly, Sanofi, Vygon SA, Portola, Roche Diagnostics, Thermofisher
Fonds de recherche (non personnels) : Servier, Boehringer Ingelheim