Damar Hamlin, joueur de football américain âgé de 24 ans, a été victime d’un arrêt cardiaque en plein match le lundi 2 janvier 2023. Cet évènement survenu devant des millions de téléspectateurs est porteur de leçons pour nous tous, grand public comme professionnels de la santé et du secours.
L’hypothèse qu’un commotio cordis – littéralement «choc sur le cœur» – soit à l’origine de l’arrêt cardiaque n’est pas confirmée au moment où j’écris ces lignes. Mais une chose est sûre concernant la pratique sportive, qu’il s’agisse de haut niveau ou de loisir : nous sommes tous potentiellement à risque, et tous aptes à prodiguer les premiers soins.
Je suis un fan de football américain depuis plus de 35 ans. Après avoir pratiqué ce sport méconnu en France dans ma jeunesse, je continue à suivre le championnat chaque année avec à la fois l'enthousiasme de l'aficionado et l'œil de l’urgentiste.
Je ne reviendrai pas ici sur la dangerosité de ce sport, qu’on peut caractériser comme violent. De nombreux articles scientifiques ont éclairé ce débat. Pour ma part, l’ambiguïté qui existe chez moi entre ma nature non violente et mon intérêt pour les sports de contact a toujours nourri ma réflexion.
Par exemple, j’ai beaucoup réfléchi à ma passion pour le football américain après avoir lu l’histoire de la découverte de l’encéphalopathie traumatique chronique, une maladie neurodégénérative liée à des traumatismes crâniens répétés, par le Dr Bennet Omalu et ses collègues de l’université de Pittsburgh en 2005.1
Ce médecin légiste spécialisé en neurologie a pratiqué des dizaines de milliers d’autopsies, dont plusieurs sur des joueurs professionnels de football américain. Suite à sa découverte, l’expertise du Dr Omalu a été violemment attaquée par la National Football League (NFL). Cette controverse fut portée à l’écran en 2015 grâce au film «Seul contre tous» (Concussion), le rôle de ce médecin étant tenu par l’acteur Will Smith.
L'événement dramatique qui a eu lieu le 2 janvier lors du Monday Night Football revêt un autre intérêt médical : il sensibilise un très large public aux gestes de premiers secours en général et au massage cardiaque externe en particulier.
Le 2 janvier, je suivais mon équipe favorite de la NFL, les Seahawks de Seattle (j’ai eu la chance de les voir jouer en 2013, l’année de leur sacre). Alors que je parcourais les résumés des autres rencontres à la mi-temps, j’ai appris que le match entre les Bills de Buffalo et les Bengals de Cincinnati était suspendu.
C’est alors que j’ai vu le replay du plaquage de Damar Hamlin, "safety" (défenseur latéral) des Bills. Hamlin s’est effondré 10 secondes après avoir reçu un choc violent au niveau du thorax. Comme probablement tous les fans américains qui regardaient ce match, j’ai aussitôt oublié les enjeux sportifs des matchs en cours, en l'occurrence l’infime chance pour les Seahawks d’atteindre les play-offs (phases finales).
L’événement survenu à une heure de grande écoute dépassait tout à coup l’univers du football américain, montrant au grand public la conduite à tenir lorsqu’un sportif perd soudainement connaissance sur un terrain, dans un stade ou partout ailleurs. S’il s’effondre, c’est jusqu’à preuve du contraire à cause d’un arrêt cardiaque. Il faut donc pratiquer le massage cardiaque le plus rapidement possible.
Selon toute vraisemblance, l’arrêt cardiaque du défenseur numéro 3 des Bills est dû à un commotio cordis, c’est-à-dire qu’il découle d’une arythmie cardiaque provoquée par un choc thoracique. En regardant le replay, nous voyons très distinctement Hamlin recevoir un choc direct à la poitrine avec un impact du casque de l’adversaire qu’il était en train de plaquer. Ensuite, on le voit se relever quelques secondes puis s'effondrer.
Les rapports indiquent que Hamlin a reçu un massage cardiaque et a été défibrillé, avant de retrouver un rythme plus stable. On ne peut pas s’empêcher de penser au commotio cordis, étiologie rare mais gravissime dont la physiopathologie est la suivante : un traumatisme thoracique violent (dont l’énergie minimale est estimée à 50 joules environ) survient durant la phase ascendante de l’onde T du cycle électrique cardiaque (phase réfractaire) et entraîne une fibrillation ventriculaire. La période de «vulnérabilité» au cours du cycle cardiaque est donc extrêmement brève.
La plupart des cardiologues ne connaissent le commotio cordis que par leurs lectures, et de nombreux urgentistes n’en n’ont simplement jamais entendu parler. Pathologie rarissime et rarement filmée, le commotio cordis n’est mis en évidence chaque année que chez une soixantaine de personnes par ailleurs considérées en bonne santé 2, dont 1/3 des cas aux États-Unis.
Le traumatisme mis en cause est généralement associé aux sports de compétition. Il peut toutefois se produire lors de n’importe quel impact, même relativement léger, touchant l’aire cardiaque de la paroi antérieure du thorax. Ainsi, la survenue de ce syndrome a été décrit après un choc provoqué par une batte de baseball en plastique, une balle de tennis, un palet de hockey, un coup sec de la main et même… le museau d’un chien.3
C’est là que réside une preuve évidente de notre fragilité anatomique : pour que se produise un commotio cordis, nul besoin d’un coup de casque de football américain ou d’une balle de baseball lancée par un lanceur de Major League (vitesse allant jusqu’à plus de 160 km/h). Cela peut arriver à n'importe lequel d'entre nous.
Passionné de rythmologie, je continue à douter et à chercher les explications électrophysiopathologiques les plus pertinentes.4 Les quelques victimes de commotio cordis qui ont survécu souffraient-elles d'une cardiopathie rythmique préexistante, les prédisposant à la survenue d’un trouble du rythme ventriculaire grave ? Certaines mutations génétiques présentes dans la cardiomyopathie hypertrophique ou les canalopathies rythmiques pourraient-elles jouer un rôle dans la survenue de ce syndrome ?
Une autre question me semble cruciale. Nous savons déjà qu’il existe des anomalies génétiques spécifiques associées à la mort subite dans les stades (mais également de manière plus générale). À l’avenir, serons-nous en mesure d’effectuer des tests génétiques pour déterminer la susceptibilité au commotio cordis, afin de permettre aux personnes à risque de prendre des précautions ?
Ces questions sans réponse jusqu’à présent créent une situation parfois délicate pour le médecin confronté au malaise d’un sportif, ou simplement pour celui chargé de rédiger un certificat de non contre-indication à la pratique d’un sport, fusse-t-il peu violent.
Par ailleurs, si nous sommes amenés à rencontrer une victime d’un commotio cordis, ou ses proches, nous aimerions pouvoir expliquer pourquoi cela est arrivé à cette personne en particulier. Malheureusement, il se peut que nous n’ayons finalement ni réponses à fournir, ni moyens de prévention à proposer.5
Nous ignorons pour l’instant qui est potentiellement exposé à cette forme particulière d’arrêt cardiaque. Cela signifie que nous sommes tous à risque, y compris les enfants. Le pic de survenue d’un commotio cordis apparaît en effet à l’âge de 13 ans, peut-être en raison de la compliance accrue de la paroi thoracique à cet âge.
Tout médecin ne peut alors s’empêcher de se demander s’il est judicieux de laisser des millions d’enfants pratiquer les sports susceptibles d’entraîner un traumatisme thoracique. Citons les sports populaires outre-Atlantique – football américain, baseball, hockey – mais également le handball, le rugby, le karaté ou le football. 60 décès par an, cela représente toutefois un risque suffisamment minime pour ne pas limiter la pratique de ces sports lorsqu’elle est bien encadrée.
Photo postée le 8 janvier sur le compte Twitter de Damar Hamlin
(@HamlinIsland)
Damar Hamlin a bien malgré lui placé l’arrêt cardiaque au centre de l’actualité sportive. Il a aussi permis de mettre la réanimation cardiopulmonaire (RCP), la défibrillation précoce et les soignants d’urgence sous les feux de la rampe. Depuis le 2 janvier, c’est tout un pays qui scrute l’évolution de l’état de santé de Damar Hamlin. Des nouvelles rassurantes et une photo du joueur, diffusées 6 jours plus tard, ont rapidement laissé présager une issue favorable. Hamlin ne semble souffrir d’aucune séquelle sur le plan neurologique. C’est un motif de réjouissance mais également une preuve s’il en est que des soins immédiats sauvent la vie et préservent les fonctions cérébrales.
Le vaste débat sur la réanimation dont a bénéficié Hamlin a donné l’occasion de faire passer des messages sur l’importance de la formation aux gestes de premiers secours et à la défibrillation. Ce jour-là, l’entraîneur adjoint et préparateur physique des Bills, Denny Kellington, a commencé le massage cardiaque externe quasi immédiatement. Aussitôt alertés, les paramedics présents ont utilisé le défibrillateur et fait rapidement repartir le cœur du joueur.
De nombreuses voix se sont d'ailleurs élevées contre ESPN, la chaîne qui diffusait le match, car le réalisateur a décidé de couper la retransmission. Pour les acteurs de santé publique ainsi que les autorités fédérales, l’impact aurait été encore bien plus grand si la couverture télévisée n’avait pas été interrompue, empêchant de voir les gestes de survie effectués sur le terrain. Tous ont considéré qu’il aurait été plus pertinent de montrer aux téléspectateurs un exemple de l’efficacité d’une RCP et l’intérêt d’une défibrillation précoce. Bref, de prouver qu’il est parfois très simple de sauver une vie. Quelques dizaines de minutes plus tard, de nombreuses autres chaînes ont montré cette scène. ESPN a emboîté le pas en la diffusant en intégralité, en replay, tout en s’excusant de l’avoir coupée.
La survie de Damar Hamlin est à mettre avant tout au crédit de son préparateur physique et des paramedics présents sur place. Comme de nombreux commentateurs et journalistes l’ont relevé, ce sont les plus bas salaires sur le terrain qui ont sauvé le joueur. Au-delà de ce détail sur les enjeux économiques qui entourent ce sport majeur aux États-Unis, rappelons l’importance de la réaction adaptée des témoins.
Ainsi, passant de fan de foot américain à urgentiste et acteur de santé publique par la transmission des gestes qui sauvent, mes premiers réflexes ont été de publier un aperçu de cette pathologie rare, mais qui doit être connue, et d’encourager les entraîneurs, les sportifs eux-mêmes ainsi que leur entourage, et in fine, le grand public à se former aux gestes de premiers secours.
Il existe de multiples causes d’arrêt cardiaque mais il faut exhorter les témoins d’un malaise survenant lors d’une activité sportive à s’abstenir de toute spéculation, à identifier rapidement l’arrêt cardiaque et à effectuer au plus vite les gestes qui sauvent : masser, alerter, défibriller !
Continuons à vivre avec l'inconfortable vérité que le commotio cordis peut faire effraction au beau milieu de nos loisirs. Ce sera dramatique, soudain et terrifiant. Pourtant, en tant que médecins, nous devrons être prêts à mettre de côté nos émotions et notre soif de réponses afin de passer à l'action.
Pour l'instant, rejoignons l'Amérique et espérons avec elle que Hamlin récupère totalement. Espérons aussi que l’on puisse expliquer avec certitude, à lui et ses proches, ce qui s’est passé. Nous en saurons plus dans les prochains jour. En attendant, Hamlin rejoint ce jour son équipe et ses proches.
Références :
1- Omalu BI, DeKosky ST, Minster RL, Kamboh MI, Hamilton RL, Wecht CH. Chronic traumatic encephalopathy in a National Football League player. Neurosurgery. 2005 Jul;57(1):128-34; discussion 128-34. doi: 10.1227/01.neu.0000163407.92769.ed. PMID: 15987548.
2- Maron BJ, Ahluwalia A, Haas TS, Semsarian C, Link MS, Estes NA 3rd. Global epidemiology and demographics of commotio cordis. Heart Rhythm. 2011 Dec;8(12):1969-71. doi: 10.1016/j.hrthm.2011.07.014. Epub 2011 Jul 18. PMID: 21763255.
3- Maron BJ, Estes NA 3rd. Commotio cordis. N Engl J Med. 2010 Mar 11;362(10):917-27. doi: 10.1056/NEJMra0910111. PMID: 20220186.
4- Bode F, Franz MR, Wilke I, Bonnemeier H, Schunkert H, Wiegand UK. Ventricular fibrillation induced by stretch pulse: implications for sudden death due to commotio cordis. J Cardiovasc Electrophysiol. 2006 Sep;17(9):1011-7. PMID: 16948746.
5- Weinstock J, Maron BJ, Song C, Mane PP, Estes NA, Link MS. Failure of commercially available chest wall protectors to prevent sudden cardiac death induced by chest wall blows in an experimental model of commotio cordis. Pediatrics. 2006 Apr;117(4):e656-62. PMID: 16510614.
Liens d'intérêts
Le professeur Peschanski déclare les liens d'intérêts suivants :
- sur les trois dernières années : Vygon SA (consultant), Fisher&Paykel (symposium), AstraZeneca (symposium)
- sur les vingt dernières années :
Symposiums : Fisher&Paykel Healthcare , AstraZeneca, Lilly, Sanofi, Daiichi-Sankyo, HeartScape, The Medicine Company, Thermofisher, Roche Diagnostics
Boards : Bayer, AstraZeneca, Vygon SA, Portola USA, Sanofi, Boehringer Ingelheim
Congrès : Lilly, Sanofi, Vygon SA, Portola, Roche Diagnostics, Thermofisher
Fonds de recherche (non personnels) : Servier, Boehringer Ingelhei