Nous avons vu tout l'intérêt de la musique dans les services d'urgence. Mais qu'en est-il en préhospitalier ?
Sur le bitume, vous venez de ramener à la vie un cœur qui s’était arrêté. Là, vous réalisez soudain que vous avez utilisé les mêmes répliques que dans Urgences (même les plus jeunes lecteurs et lectrices doivent avoir vaguement entendu parler de cette série mythique). «Chargez à 300 joules», «Dégagez !», «Scanner-Chimie-Iono»…
Sitôt le patient transmis à vos collègues réanimateurs, n’avez-vous pas cette furieuse envie de monter le volume du poste radio et d’enchaîner Thunderstruck (AC/DC) et Kickstart My Heart (Mötley Crüe) ? Ou au moins un petit Stayin’ Alive (Bee Gees) suivi du thème de Mission Impossible (Lalo Shifrin), pour la route ?
Bon, je dois bien avouer qu’en fait c’est dès que je passe à l’action que j’ai tendance à mettre du son. Voire du gros son. Si les collègues sont d’accord bien sûr. Mais j’ai remarqué que ceux avec lesquels je travaille régulièrement sourient encore de constater que cette initiative vient de moi. D’autres me font le signe des «cornes du diable» – signe de ralliement à notre culture rock commune – même si je viens de couvrir le morceau en chantonnant d’une voix… approximative.
Alors, dans la salle de soins et surtout dans le véhicule du SMUR, l’énergie monte crescendo. Comme un écho à l’intensité de la réanimation que l’on vient de faire, d’autant plus que l’on a défibrillé deux ou trois fois, que l’on s’est battu pour sauver un patient ou que l’on a particulièrement réussi une prise en charge techniquement difficile.
Cette musique qui monte dans l’habitacle, j’y vois une sorte de communion. La célébration de notre conception partagée de ce qu’est une équipe. Et il n’y a rien de mieux, quand le morceau est fini, qu’un collègue branche son smartphone au Bluetooth pour proposer la suite.
Minuit est déjà loin, ville et campagne sont endormies. Vous partez en intervention et pour déjouer la fatigue votre corps réclame une énergie palpable. C'est encore plus vrai lorsqu’il s’agit d’une urgence vitale mais que le trajet est encore long.
Il est trop tôt pour l’action, trop tôt même pour enfiler des gants. Dans votre esprit se forment des scénarios. Vous anticipez les séquences de gestes à effectuer en fonction de la situation clinique que vous découvrirez – comme ces skieurs qui, yeux fermés, visualisent l'enchaînement des portes de slalom à venir.
Pourtant, vous savez que ce que vous imaginez à cet instant ne correspondra pas précisément à la réalité, que chaque situation est unique. C’est dans ces moments-là que j’allume la radio du véhicule d’intervention et que je cherche une station qui diffuse du rock.
Quand les premières notes du classique Gimme Shelter (Rolling Stones) sortent des haut-parleurs, comme si la chanson attendait d’être libérée de sa boîte, mes équipiers souvent plus jeunes sourient et demandent en chœur qu’on augmente le volume.
« Tu aimes les Stones ? » Lorsque je pose cette question à l’ambulancier, l’infirmière ou l’interne, je suis souvent surpris. Mick Jagger a l’âge de leur grand-père, pourtant ils aiment les Stones ! J’aime l’idée qu’ils se souviendront de ce moment de partage lors d’une prochaine intervention, et que la musique – ce morceau-là peut-être ? – les accompagnera au fil des nuits de garde.
Pour celles et ceux que ça intéresse, il existe un nombre croissant de playlists dédiées aux interventions SMUR. Ces chansons, qui semblent écrites pour les situations rencontrées en extrahospitalier, vous plongeront à coup sûr dans l'ambiance idoine pour votre prochaine intervention. Dans notre " Bonus track ", dernier volet de cette série, vous trouverez des playlists Urgences et SMUR dont celle très complète des Urgences du CHU de Rennes.
Pour autant… N’oubliez pas que vous êtes une équipe ! Même si ces chansons vous mettront d’humeur à affronter n'importe quelle intervention, de l'arrêt cardiaque à l’accident multi-victimes, c’est toujours le bon fonctionnement de l’équipe qui prévaut. Parfois, le silence est la meilleure des préparations.
Enfin, quelle que soit la musique que vous écoutez, ne perdez pas de vue votre destination ni ce qui se trouve devant vous ! Assurez-vous aussi que chacun peut entendre les appels radio et téléphoniques. Et n’oubliez pas : l’ambulancier doit à chaque instant garder sa concentration intacte et il est seul maître à bord !