Cannabis thérapeutique : après plus de 3 ans d'expérimentation, la France ne s’aligne toujours pas sur l’Europe

L'expérimentation sur le cannabis thérapeutique prend fin en France. La perspective de mise sur le marché traitements à base de THC ou CBD semble encore très loin.

Des préparations à base de cannabis, par administration orale ou par inhalation, testées sur près de 3 000 patients

L’ANSM a coordonné l'expérimentation “Évaluation de la pertinence et de la faisabilité de la mise à disposition du cannabis médical en France”, qui devait initialement durer deux ans à compter de mars 2021, mais qui a été prolongée jusqu’au 31 décembre 2024.

Au total, 2 486 patients ont été inclus dans l’expérimentation pour les indications suivantes1 :

L’ensemble des patients présentait un profil clinique avec une sévérité marquée. L'usage du cannabis n'a été envisagé pour eux qu’après un échec des autres thérapeutiques accessibles, médicamenteuses ou non.

54 % des participants à l'étude étaient des femmes. L’âge moyen était de 56 ans. Il était toutefois de 30 ans dans l’indication épilepsie. 4 % étaient mineurs.

Les médicaments à base de cannabis ont été prescrits sous deux formes pharmaceutiques : par inhalation par vaporisation (fleurs séchées) et sous forme orale (huile, comprimé contenant du THC et du CBD). 83% des patients ont reçu une l'huile1 et les fleurs ont cessé d'être mises à disposition après mars 2024, sur décision de leur fabricant qui a arrêté d'en fournir2.

Les 1 800 participants encore enrôlés dans l’étude au moment de son arrêt bénéficient d'un délai de 6 mois (le premier semestre 2025) "dans une perspective de sevrage ou de recherche d'alternatives"3. Délai pendant lequel ils pourront continuer à recevoir leur traitement, mais qui sera probablement plus court, car les stocks de cannabis thérapeutique de l’expérimentation sont déjà très bas. 

Un avis favorable de l’ANSM sur toutes les indications de l’expérimentation et au-delà

Dans ses conclusions portant sur les deux premières années d’expérimentation, l’ANSM s’était prononcée favorablement et avait annoncé qu'un médicament à base de cannabis pourrait être proposé aux patients. “Les données récoltées lors des 2 premières années de l’expérimentation ont montré un circuit de distribution sécurisé et opérationnel, une efficacité du cannabis dans les indications de l’expérimentation, maintenue sur plusieurs mois chez certains patients, ainsi qu’un profil de sécurité attendu et rassurant avec peu d’effets indésirables graves. L'expérimentation est prolongée jusqu'à ce qu'un médicament à base de cannabis soit autorisé et disponible, et au plus tard jusqu'au 31 décembre 2024.”4

Le comité de suivi a confirmé l’intérêt de l’utilisation du cannabis médical pour toutes les indications de l'expérimentation citées précédemment4, en précisant cependant que les résultats étaient jugés "encourageants" pour les douleurs neuropathiques et l'épilepsie, mais qu'ils nécéssitaient toutefois pour ces indications davantage de patients et un temps d'observation plus long5. Certains symptômes particulièrement améliorés ont été nommés pour les patients en oncologie : la douleur, la fatigue, les nausées-vomissement, les troubles du sommeil, l'inquiétude, la perte d'appétit et la tristesse.

Le comité a également confirmé l’intérêt de l’utilisation du cannabis médical pour des indications hors expérimentation4 : la maladie de Crohn (pour certains symptômes résiduels, dont la douleur), le trouble du spectre de l’autisme (notamment les automutilations) et Gilles de la Tourette. Il a recommandé aussi l’intégration du cannabis médical dans l’observatoire des traitements du plan maladies rares et en cas de demande des filières.

Le comité n’a pas validé l’intérêt de l’utilisation du cannabis médical pour certaines indications hors expérimentation4 : le glaucome, la maladie d’Alzheimer et autres démences, la maladie de Parkinson (hors douleurs neuropathiques et spasticités réfractaires).

Un total de 3 956 effets indésirables a été remonté. Les patients ayant présenté au moins un effet indésirable modéré ou sévère avaient un âge plus avancé que la cohorte générale (55,6 ans versus 50,9 ans), avec une surreprésentation des femmes (sexe ratio de 2,5 versus 1)4. Des différences sur la fréquence des effets indésirables ont été observées selon la voie d’administration du cannabis médical (par voie orale ou inhalée) et le ratio dominant THC ou CBD4.

Au moment du compte-rendu, 1 091 patients avaient quitté l’étude, leurs départs s'expliquant par : l’inefficacité du traitement (360), les effets indésirables (283), un autre motif (448, dont 157 pour décès)4.

De nombreux témoignages de patients et d’associations de patients sont venus corroborer le rapport des experts de l’ANSM, en faisant état d'un soulagement réel de la douleur et/ou la diminution de certains symptômes. Dix-sept associations, face à la détresse des patients craignant les conséquences de l'arrêt de leur traitement, et dans la perspective d'en soulager des milleiurs d'autres, ont écrit une tribune commune. Ils demandent que le cannabis thérapeutique soit une option thérapeutique supplémentaire dans les indications identifiées par l’ANSM, pour des patients chroniques et sévères en échec de traitement6.

Un abandon du projet sur fond d’instabilité politique

L'assemblée nationale s'était initialement alignée sur l'ANSM. Il était expressément prévu dans la loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) de 2024 que des médicaments à base de cannabis puissent faire l'objet d'une autorisation d'utilisation pour une période temporaire de 5 ans. Et pourtant, les textes réglementaires n’ont jamais été publiés. Aucun médicament à base de cannabis n’a pu faire l’objet d’autorisation de la part de l'ANSM et l'expérimentation est bel et bien arrêtée. 

Si les raisons de la marche arrière du gouvernement n’ont jamais été communiquées, les analystes s’accordent pour dire que le cannabis thérapeutique a été victime de l’instabilité politique de ces derniers mois, notamment de la dissolution en juin 2024 et de la censure du gouvernement7,8. Depuis, cette thématique n'a plus vraiment été abordée dans l'hémicycle, ni d'ailleurs par le nouveau ministère de la santé. La possibilité de délivrer des autorisations d'utilisation pour des médicaments à base de cannabis n'a jamais figuré dans le PLFSS de 2025. Des tensions entre ministères ont été invoquées, notamment car le ministère de l'intérieur a fait de la lutte contre la drogue l'une de ses priorités. Il y a toujours cette crainte que la législation du cannabis médical soit le cheval de Troie vers une légalisation généralisée. Certains évoquent aussi le fait que l'académie de médecine, contrairement à la DGS et l'ANSM, ne serait pas convaincue par l'utilisation du cannabis thérapeutique, ce qui a pu influer la position gouvernementale7

Le ministre chargé de la santé Yannick Neuder a pour sa part déclaré suite à l'arrêt de l'expérimentation, vouloir "étudier la voie du cannabis médical en France". Étrange déclaration, n’était-ce pas l'exact objet de près de 4 ans d'expérimentation ? Il a dans la foulée réaffirmé être "toujours contre le cannabis récréatif", mais également dit qu'il était possible d'avoir une position "équilibrée"9. Cet équilibre a déjà été trouvé par l'écrasante majorité des vingt-deux pays européens ayant autorisé le cannabis thérapeutique. Ils ne sont en effet que trois à autoriser le cannabis récréatif. L'intérêt des patients a primé. Un nouveau revirement de l'éxécutif n'est pas à exclure dans les prochains mois, mais une décision si clivante pour l'opinion publique sera compliquée à assumer, vu le contexte politique qui n'en finit pas d'être explosif.

Si le thème de l'utilisation des psychotropes en médecine vous intéresse, nous vous invitons à lire notre article Des champignons hallucinogènes pour combattre l’addiction à l’alcool ?

Sources

  1. Compte-rendu du Comité Scientifique Temporaire « Suivi de l’expérimentation française de l’usage médical du cannabis » 23/11/2023, adopté le 07/12/2023
  2. Evaluation de la pertinence et de la faisabilité de la mise à disposition du cannabis médical en France, ANSM, MAJ 20/02/2024
  3. Cannabis thérapeutique : le ministère de la Santé décide de prolonger l'expérimentation pour six mois, France info, 19/12/2024
  4. Compte-rendu du Comité Scientifique Temporaire « Suivi de l’expérimentation française de l’usage médical ducannabis du 7/12/2023, adopté le 01/02/2024 
  5. Compte-rendu du Comité Scientifique Temporaire « Suivi de l’expérimentation française de l’usage médical ducannabis du 7/11/2022, adopté le 15/12/2022
  6.  Cannabis médical : « L’expérimentation doit laisser place à la législation », demandent 17 associations, Le Parisien, 28/09/2003
  7. Autorisation du cannabis thérapeutique: pourquoi ça bloque, BFMTV, 02/01/2025
  8. Cannabis médical : l’expérimentation prolongée in extremis pour six mois, mais menacée à terme, Libération, 19/12/2024
  9. Le ministre de la Santé veut « étudier » la voie du cannabis médical, Le Parisien, 01/01/2025