Des champignons hallucinogènes pour combattre l’addiction à l’alcool ?

Et si la silocybine en combinaison avec une psychothérapie permettait de guérir l'addiction à l'alcool ? C'est ce que testent actuellement plusieurs équipes de recherche françaises.

La psilocybine pour traiter la dépréssion

La psilocybine fait partie de la famille des psychédéliques, à laquelle appartiennent aussi la Kétamine ou le LSD. Ils ont un mécanisme d’action commun : ils se fixent et activent les récepteurs à la sérotonine 5-HT2A. Cette activation serait à l’origine des effets subjectifs ressentis, comme les hallucinations et les effets émotionnels. Des chercheurs ont découvert récemment qu’ils agissaient sur la neuroplasticité avec l’apparition de nouvelles connexions entre les neurones. D’une substance à l’autre, ils se fixent sur différents récepteurs et ont des durées d’action allant de 15 minutes à 12 heures1.

Depuis une quinzaine d'années, l’usage des psychédéliques en combinaison avec une psychothérapie est à nouveau à l’étude avec des résultats très encourageants. D’après l’ensemble des données disponibles sur la psilocybine, on observe une disparition des symptômes chez 30 à 70 % des sujets en dépression, notamment résistante, ce qui est considérable dans cette population. Une étude de 2016 a en effet montré l'efficacité immédiate de la psilocybine chez une majorité de patients dépréssifs. Cela contraste avec les antidépresseurs classiques dont le délai d’action est de quatre à six semaines et qu’il faut prendre tous les jours pour qu’ils soient efficaces. Avec les quelques années de recul, il a été observé que certains patients sont même entrés durablement en rémission. Selon Dr Lucie Berkovitch, psychiatre et chercheuse en neurosciences à l’hôpital Sainte-Anne, “ il est probable que dans quelques années, ces molécules feront partie des options thérapeutiques proposées à l’hôpital” 2. En Suisse, la MDMA (ecstasy) est déjà utilisée dans certains hôpitaux pour le traitement du stress post-traumatique.

La psilocybine pour réduire la dépendance à l'alcool : étude sur modèles murins

Une étude menée par le Pr Mickael Naassila (Groupe de Recherches sur l’Alcool et les Pharmacodépendances, Inserm) s'est interréssé aux mécanismes d'action de la psilocybine sur la réduction de la consommation d'alcool chez des sujets en situation d'addiction. Dans cette étude publiée en mai,3 des rats ont été soumis à une auto-administration chronique d'éthanol avant de tester l'effet de la psilocybine.

Les chercheurs ont mesuré dans le cerveau au niveau du noyau accumbens (connu pour relayer les effets plaisants des drogues et la motivation à les consommer), l’expression de certains gènes impliqués dans l’addiction à l’alcool. Les résultats ont révélé une découverte surprenante : la psilocybine affecte différemment l'expression génétique selon le côté du cerveau où elle est administrée, soit le noyau accumbens gauche soit le  noyau accumbens droit. Lorsque la psilocybine est injectée directement dans le noyau accumbens gauche, elle diminue de moitié la consommation d'alcool chez les rats. En revanche, aucune réduction n'est observée lorsque la psilocybine est administrée dans le noyau accumbens droit.

Chez les rats non dépendants de l'alcool, la psilocybine provoque des changements spécifiques dans le cerveau, comme une diminution des récepteurs de la sérotonine 5HT-2A, uniquement dans le noyau accumbens gauche. De manière inattendue, elle augmente l'expression du gène BDNF, lié à la plasticité cérébrale, uniquement dans le noyau accumbens droit.

Les chercheurs ont également exploré l'impact du blocage des récepteurs 5HT-2A de la sérotonine, essentiels aux effets hallucinogènes de la psilocybine. Ils ont montré que bloquer ces récepteurs avec de la kétansérine dans le noyau accumbens gauche empêche la réduction de la consommation d'alcool par la psilocybine, tandis que ce blocage dans le noyau accumbens droit est inefficace.

L'étude met enfin en lumière un autre mécanisme potentiel de lutte contre l'addiction : la psilocybine augmente l'expression des récepteurs de la dopamine D2 dans le noyau accumbens des rats dépendants de l'alcool. Cette augmentation pourrait expliquer comment la psilocybine contrecarre les mécanismes de l'addiction en restaurant l'expression de ces récepteurs.

Le Professeur Mickael Naassila souligne que « ces résultats sont novateurs car ils montrent que la psilocybine agit différemment sur l'expression génétique selon l'hémisphère cérébral. Dans le cerveau, c'est particulièrement le noyau accumbens gauche qui semble jouer un rôle clé dans les effets de réduction de la consommation d'alcool »2. Cette découverte inédite sur la latéralisation des effets des psychédéliques dans le traitement de l’addiction à l’alcool ouvre de nouvelles voies de recherche.

La psilocybine pour réduire la dépendance à l'alcool : étude sur 30 patients alcooliques

Une étude contrôlée randomisée en double aveugle a récemment débuté au service d'addictologie du CHU de Nîmes, dirigée par la Dr Amandine Luquiens, Psychiatre Addictologue, et son équipe. Cette étude vise à évaluer la faisabilité, l'acceptabilité, les mécanismes d'action, ainsi que les premiers résultats d'efficacité de la psychothérapie assistée par la psilocybine dans le traitement de l'alcoolo-dépendance accompagnée de symptômes dépressifs post-sevrage.

Le Dr Luquiens précise « Notre hypothèse de recherche est que deux administrations orales de 25 mg de psilocybine à trois semaines d'intervalle par rapport à une très faible dose de psilocybine d’1 mg de psilocybine (équivalent à une dose de microdosing) à trois semaines d'intervalle, en complément du traitement habituel, seront acceptables et faisables chez des personnes récemment sevrées souffrant d'AUD gardant des signes de dépression, au moins 2 semaines après leur dernière consommation d'alcool »

Les 30 participants à l’étude souffrent de troubles liés à l'alcool avec des signes de dépression et ils ont récemment arrêté l’alcool. Ils recevront par tirage au sort soit 25 mg de psilocybine à 2 reprises espacées de 3 semaines soit une très faible dose de 1 mg de psilocybine, dans les mêmes conditions, c'est-à-dire avec une préparation et un encadrement psychothérapeutiques rapprochés, en complément du traitement habituel.

Cette étude pilote fournira des paramètres pour une future étude à plus grande échelle. Elle explorera les mécanismes d'action de la psilocybine aux niveaux psychologiques et neuronaux. Selon la Dr Luquiens « Si l'efficacité de la psilocybine est confirmée dans une future étude à grande échelle, cela pourrait signifier une amélioration très significative du pronostic de cette population après sevrage, moins de rechutes, avec un meilleur profil de sécurité ».

Sources

  1. Dr Lucie Berkovitch (hôpital Sainte-Anne) : « Les psychédéliques ont des effets thérapeutiques en association avec la psychothérapie », Le quotidien du médecin, 28 mars 2024 
  2. Substances psychédéliques : une révolution pour traiter la dépression ?, Inserm, 27 mai 2024
  3. Des champignons hallucinogènes pour traiter l’addiction à l’alcool, Inserm, 22 mai 2024
  4. Psilocybine dans le trouble lié à l’usage de l’alcool avec symptômes dépressifsÉtude pilote contrôlée randomisée en double aveugle, CHU Nîmes, 2024