Une consultation programmée pour améliorer le suivi des patients après leur sortie des urgences ?
Journal Club Rebelem<br>Une étude américaine sur le suivi post-urgences montre une fois de plus l'intérêt pour le patient de prendre un rendez-vous on line avant sa sortie. Informer le patient sur cette possibilité n'est pas suffisant. Une expérience transposable en France ?
Nous vous présentons ici la version française d’un article* écrit par Salim Rezaie et publié sur REBEL EM le 24 octobre (Traduction et commentaires d’Arnaud Depil-Duval).
Contexte
Le suivi après un passage par les urgences soins peut être essentiel. Aux États-Unis, de nombreux facteurs interviennent : disponibilité des rendez-vous, statut socioéconomique du patient et couverture par une assurance, instructions plus ou moins claires quant aux démarches à effectuer, etc.
Fixer un rendez-vous avant la sortie des urgences permet de lever certains obstacles et d'améliorer le suivi en consultation externe. Une telle intervention au lit du patient, simple et peu coûteuse, peut-elle améliorer l’efficacité des soins et diminuer le nombre de passages aux urgences ?
Ce qu'ils ont fait
- Essai pilote, parallèle, randomisé et contrôlé de patients dont le médecin traitant a déterminé
- que le suivi après des soins en service d’urgence était important
- qu'il possédait une assurance-maladie
- qu'il n'avait pas auparavant pris de rendez-vous avant la sortie des urgences via l'intermédiaire d’un groupe de réservation (type Zocdoc), ni reçu d’informations écrites sur la façon d'utiliser le site web de prise de rdv, ni bénéficié d’un suivi standardisé.
- Les patients ont été appelés deux semaines après le passage aux urgences pour déterminer s'ils avaient effectué une consultation de suivi.
Résultats
Primaire
- les patients ont déclaré avoir eu une consultation de suivi.
Secondaires
- Satisfaction à l'égard du passage aux urgences
- Satisfaction quant au processus d'obtention d'un rendez-vous
- Consultations subséquentes au passage aux urgences
- Rétablissement
Inclusion
- ≥ 18 ans
- Être sorti du service d'urgence
- Parler anglais
- Avoir une adresse e-mail
- Être assuré
- Ne pas avoir de fournisseur de soins primaires (ou vouloir en changer)
- Le médecin des urgences jugeait important d'assurer le suivi du patient dans les 14 jours :
- Importance évaluée sur une échelle visuelle analogique de 0 = sans importance à 10 = très important.
- Les notes ≥ 5 (= modérément important) ont été définies comme étant importantes et incluses dans l'étude.
Exclusion
- Le patient ne voulait pas d'un fournisseur de soins
- Le patient ne voulait pas prendre rendez-vous pour une visite de suivi
- Pas d’adresse email
- Prisonniers
- Motif psychiatrique
- Assurance maladie Kaiser (car ne figure pas sur le site de réservation)
Résultats
- 272 patients ont été recrutés et randomisés
- 68 % ont été suivis sur 2 semaines
-
Taux de suivi autodéclaré (accès à une consultation de suivi) :
- Rdv pris directement sur un site dédié : 52 % (IC 95 % - 1 % à 34 %)
- Information écrite reçue sur les modalités de prise de rdv on line : 25 % (IC 95 % -32 % à 7 %)
- Soins standards : 36 %
-
Taux de satisfaction (« extrêmement ou très satisfait » de l'obtention d'un rendez-vous) :
- Rdv pris directement sur un site dédié : 78 %
- Information écrite reçue sur les modalités de prise de rdv on line: 54 %
- Soins standards : 40 %
- P = 0.003
-
Consultations ultèrieures dans un service d'urgence :
- Rdv pris directement sur un site dédié : 13 %
- Information écrite reçue sur les modalités de prise de rdv on line : 14 %
- Soins standards : 8 %
Points forts
- Intervention innovante, avec des coûts et un temps nécessaire minimes, qui pourrait avoir un impact sur la qualité des soins.
- Presque tous les patients randomisés ont bénéficié de l'intervention qui leur avait été attribuée
- Jusqu’à 7 appels téléphoniques au patient pour assurer un suivi solide
(malgré cela ≈ 30 % des patients ont été perdus de vue lors du suivi).
- Les caractéristiques des patients des différents groupes étaient semblables.
Limites
- Étude restreinte réalisée dans un seul centre de soin (une validation dans d'autres centres de soins serait nécessaire).
- Pas de résultats axés sur le patient.
- Le statut global de l'assurance était de :
31 % commercial, 35 % Medicaid, 22 % Medicare et 12 % payé par le patient.
Ce ne reflète peut-être pas le type de prise en charge dans de nombreux centres, donc pourrait limiter la généralisation des résultats.
- L’étude incluait un échantillon choisi par commodité (9 h-22 h en semaine, 9 h-18 h les week-ends).
- Bien que Zocdoc soit un site web gratuit pour les patients, les médecins doivent payer pour être inscrits sur le site.
- L'exclusion massive de patients en raison du fait que les patients avaient déjà un fournisseur de soins primaire ou n’en voulaient pas d'un nouveau. L’étude pourrait être plus fiable dans un centre où moins de patients ont déjà un tel fournisseur.
- Les résultats autodéclarés sont sujets à des biais rétrospectifs (voir la partie « Discussion »).
- Il n'y a pas eu de confirmation que les rendez-vous ont été honorés.
- Le taux de suivi téléphonique était modéré.
- L’exclusion des patients non anglophones limite toute conclusion dans cette population de patients.
- Le taux de suivi de 68 % dans cette étude n'est pas très fiable en termes de signification statistique.
Discussion
- 45 % de cette population de patients étaient titulaires d'un baccalauréat ou mieux. C'est très différent des populations de patients dont je m'occupe - qui souvent n'ont même pas de diplôme d'études secondaires - c'est-à-dire des patients qui ont besoin de plus d'aide pour s’y retrouver dans le système de soins.
- 61 % de cette population de patients avaient une assurance privée, ce qui diffère de mes propres patients (et probablement de ceux d’autres médecins 'autres personnes) qui ont des taux de non assurés plus élevés.
- Le biais rétrospectif est une erreur qui se produit lorsque les participants ne se souviennent pas avec précision ou omettent des détails. C’est un problème classique dans les études qui reposent sur les autodéclarations.
- Ce n'est pas la première étude qui démontre que la prise d'un rendez-vous de suivi avant la sortie améliore les taux de suivi :
- Atzema CI et al2 :
5 essais cliniques randomisés examinés.
L'augmentation de la fréquence du suivi a été améliorée en fixant un rendez-vous de suivi avant la sortie des urgences (NNT 4.3 - 6.3).
- O'Brien GM et coll 3 :
189 adultes qui ne bénéficiaient pas de soins primaires étaient inscrits à un rendez-vous chez le médecin avant leur sortie.
Ceux ayant un rendez-vous prévu étaient deux fois plus susceptibles de bénéficier d’une consultation de suivi que les patients recevant des soins habituels (30 % vs 14 %).
Il n'y avait pas de différence significative quant au recours aux services d’urgences pendant la période de suivi de 12 mois (47 % vs 47 %).
- Sin DD et al4 :
125 patients asthmatiques ont été répartis au hasard entre 2 groupes : soins habituels vs soins améliorés (qui ont obtenu un rendez-vous de suivi avant la sortie des urgences). Le taux de suivi était plus élevé dans le 2e groupe (78 % vs 25 %).
- Zorc JJ et al5 :
278 patients asthmatiques sont plus susceptibles de bénéficier d’un suivi si le rdv est prévu avant la sortie des urgences (64 % vs 46 %).
- Kyriacou DN et al6 :
250 patients randomisés pour un rendez-vous de suivi pris avant la sortie. Les taux de suivi étaient plus élevés dans le groupe d'intervention que dans le groupe standard (59 % vs 37 %).
-
D’après les déclarations des patients, le respect du suivi n'était pas différent entre les patients recevant une information sur le site web de prise de rdv et les patients standards.
Cela suggère que c’est l’étape supplémentaire - fixer un rendez-vous de suivi - qui fait la différence.
Conclusion de l'auteur
Pour les patients des urgences, il est important que les fournisseurs de soins prennent en compte l’importance du suivi.
L’utilisation d'un site web de prise de rendez-vous avant la sortie du patient a entraîné - selon les déclarations des patients - un taux de suivi plus élevé. Mais il n’est pas statistiquement significatif. Cette action mérite d'être étudiée plus en profondeur dans le cadre d'une étude portant sur un échantillon plus large et des données objectives - et non déclaratives - sur les consultations de suivi.
Clinical Take Home Point
Cette nouvelle étude prometteuse montre comment les acteurs des services d'urgence peuvent améliorer la transition vers les soins ambulatoires. Cette étude n'a toutefois pas montré que la prise d'un rendez-vous avant la sortie a eu un impact sur :
- la satisfaction des patients quant à leuir passage aux urgences
- leur recours ultérieur à un service d'urgence
- l'amélioration de l’état de santé des patients.
Post Peer Reviewed By:
Anand Swaminathan, MD (Twitter: @EMSwami) and Jenny Beck-Esmay, MD (Twitter: @jbeckesmay)
French touch
(by Dr Arnaud Depil Duval)
Quel est l’avis d’un expert français à propos de cette étude ?
Une telle initiative est-elle transposable en France ?
Cette étude est intéressante bien que les systèmes de santé des États-Unis et de la France diffèrent largement, notamment sur les éléments de prise en charge financière et sur les statuts socio-économiques des patients.
Cependant cette expérience peut être transposée en France. Sur le plan technique il existe dans notre pays des plateformes de prise de rendez-vous en ligne similaires permettant de réaliser le même type d’intervention.
En cette période de tension des urgences, une telle étude peut fournir une piste pour améliorer les relations ville-hôpital - en intégrant les patients dans un réseau de soins - ainsi que la qualité de prise en charge et la satisfaction des patients. Ce type d’intervention peut permettre de désengorger les services d’urgence en leur évitant de réaliser tous les examens et de solliciter tous les avis spécialisés immédiatement.
Nous avions réalisé une expérience similaire : le service des urgences envoyait une demande de consultation post-urgence, mais celle-ci était limitée aux services du même centre hospitalier.
La satisfaction des patients était importante et avait notamment diminué l’agressivité. Il existe une reconnaissance spontanée lorsque vous montrez au patient que vous gérez sa consultation post-urgence au lieu de le laisser se débrouiller pour trouver un rendez-vous.
Un projet similaire est en cours de déploiement aux urgences de Lariboisière. L’utilisation de Doctolib nous permettra de prendre un rendez-vous post-urgence pour le patient tout en privilégiant le recours à ses médecins traitants habituels. Il s’agit d’éviter au mieux le nomadisme médical.
Nous vous tiendrons au courant de l’évolution de ce projet et des résultats.
* Salim Rezaie, "Can a Novel Intervention Improve Patient Follow-Up After ED Discharge?"
REBEL EM blog, October 24, 2019.
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Références :
1- Merritt RJ et al. Randomized Controlled Trial to Improve Primary Care Follow-Up Among Emergency Department Patients. AJEM 2019. PMID: 31402234
2- Atzema CI et al. The Transition of Care Between Emergency Department and Primary Care: A Scoping Study. Acad Emerg Med 2017. PMID: 27797435
3- O’Brien GM et al. Enhanced Emergency Department Referral Improves Primary Care Access Am J Manag Care 1999. PMID: 10622992
4- Sin DD et al. Effects of Increased Primary Care Access on Process of Care and Health Outcomes Among Patients with Asthma who Frequent Emergency Departments. Am J Med 2004. PMID: 15464704
5- Zorc JJ et al. Scheduled Follow-Up After a Pediatric Emergency Department Visit for Asthma: A Randomized Trial. Pediatrics 2003. PMID: 12612227
6- Kyriacou DN et al. Brief Report: Factors Affecting Outpatient Follow-Up Compliance of Emergency Department Patients. J Gen Intern Med 2005. PMID: 16191142