Quand Twitter sonne le tocsin

À Melbourne, en 2016, une flambée de crises d'asthme aigu suite à un orage a débordé les services de secours. L'analyse par intelligence artificielle du contenu des réseaux sociaux permettrait de détecter précocement la survenue de tels phénomènes, amenés à se multiplier. Gagner du temps, c'est permettre aux autorités d'alerter la population et d'organiser les secours.

Melbourne, 21 novembre 2016. En fin de journée, 8 500 personnes ont soudain du mal à respirer et se ruent vers les hôpitaux. Les services d’urgence reçoivent 1900 appels en 5 heures (+ 73 %). 3 500 personnes sont hospitalisées pour des troubles respiratoires (10 fois plus que d’habitude). 10 personnes décèderont, principalement des jeunes adultes. 

Danny Hill, représentant des ambulanciers d'Australie, déclare : « Cet événement, c'est l'équivalent d'un feu de brousse avec des gens qui souffrent de brûlures intenses, ou d'une attaque terroriste avec des gens gravement blessés. C'est le genre de chaos auquel nos équipes ont dû faire face lundi soir. »

Il faisait 35 degrés en ce jour de fin de printemps dans l’hémisphère austral. On pouvait observer une très forte concentration de pollens dans l'air. Pendant l’orage - sous l'effet conjugué de la chute des températures, du vent et de la pluie - le pollen s’est fragmenté en micros-grains de 0.5 à 2.5 mm de diamètre, suffisamment petits pour pénétrer dans les alvéoles pulmonaires. Mêlés à l’eau de pluie, ces grains se sont évaporés avec elle au contact de la terre chaude, formant un aérosol d’allergènes. Le ministère de la santé de l’État de Victoria évoque alors « des gens qui arrivaient aux urgences paniqués, car ils ne pouvaient plus respirer ». Cet épisode dura 30 heures. 

L'asthme d'orage

À cette période, le système respiratoire des personnes allergiques était déjà irrité. Mais si 90 % des victimes se savaient allergiques aux pollens, 20 à 40% d’entre elles n'avaient jamais eu de crise auparavant et ont découvert à cette occasion qu’elles étaient sujettes à l’asthme. À Melbourne ce phénomène n’était pas nouveau. Aux mois de novembre 1987,1989 et 2010 déjà des milliers de personnes avaient été victimes du même phénomène, mais aucun décès n’avait été à déplorer. 

Idem en juillet 1983 à Birmingham ou en juin 1994 à Londres. Des événements de moindre ampleur ont aussi été enregistrés au Canada et en Italie. En France, le 7 juin 2013 en soirée SOS Médecins Nantes constate une augmentation brutale des appels pour crises d’asthme moins de deux heures après un orage. Du 7 au 10 juin sont enregistrés 152 appels pour ce motif contre 27 les quatre jours précédents. Le Pollinarium Sentinelle de Nantes avait notifié le jour même un début de pollinisation du ray-grass - graminée au potentiel allergique très élevé. 

En raison du changement climatique les orages risquent de devenir de plus en plus fréquents et plus violents dans le sud de l'Australie, provoquant davantage de telles tempêtes de micros grains de pollen. Un autre facteur de risque est évoqué par Paul Beggs, scientifique de l'Université Macquarie de Sydney : en faisant leur photosynthèse, les plantes semblent absorber des niveaux plus élevés de dioxyde de carbone. Cette évolution  modifierait in fine la qualité du pollen et renforcerait son pouvoir allergène. 

Gagner du temps

Comment prévenir ce risque grandissant d’épidémie de crises d’asthme aigu ? Les alertes météo offrent une possibilité, à condition qu’en cas d’orage les personnes allergiques pensent à  prendre leur traitement préventif et à se munir de bronchodilatateurs, même si elles n’ont jamais fait de crise d’asthme. 

Autre axe de réflexion, la détection précoce du phénomène. Les autorités pourraient ainsi diffuser des messages afin que les personnes allergiques restent confinées. Par ailleurs, cela laisserait davantage de temps aux services de secours pour anticiper l’afflux de victimes. Problème : un tel phénomène survient beaucoup plus rapidement qu’une épidémie de maladies infectieuses. L’analyse par intelligence artificielle (IA) des contenus des réseaux sociaux peut détecter précocement le déclenchement d’un asthme d’orage. 

L’analyse des requêtes de recherche sur Google dans le cas d’épidémies infectieuses - grippe, Ébola ou Zika - ou de flambées de maladies de Lyme a déjà été utilisée. L'extension de ces analyses aux réseaux sociaux serait précieuse.   

Twitter en sentinelle

Pour le Dr Aditya Joshi, auteur principal d’une étude1 récente, « La popularité des médias sociaux en fait une source d'information précieuse pour le renseignement sur les épidémies (...) Nous avons mis au point une technique qui a permis de détecter la flambée de la maladie jusqu'à neuf heures avant qu'elle ne soit officiellement signalée.»

En utilisant des données Twitter anonymes et accessibles à tous, l'outil développé a analysé plus de 3 millions de tweets contenant des mots-clés liés à l'asthme tels que «souffle» et «toux». Il utilise deux champs de l'IA : le traitement du langage, pour établir si un tweet est pertinent, puis une modélisation chronologique. 

Un processus en quatre étapes

Il s’agit d’abord de faire le tri parmi le grand nombre de tweets qui déferle dans une telle situation et constitue une véritable « inondation d'alertes ». Les trois premières étapes sont donc :

  1. la sélection initiale des tweets, pour s’assurer que les tweets contenant les mots clés sont en lien avec l’épidémie,
  2. leur classification en tant que « mentions de santé personnelles » (si le mot clé fait bien référence à un état de santé),
  3. l’élimination des doublons (retweets, commentaires, etc.). 

Ces étapes transforment les tweets en « événements » (un tweet au libellé unique signalant un incident de santé, posté par un utilisateur unique un jour donné) qui sont entrés dans l'algorithme de surveillance. Dernière étape, celui-ci étudie le temps écoulé entre l’apparition des tweets pertinents. Plus il est court, plus l'éclosion de l’épidémie est probable

Résultats

Sur 18 combinaisons d'expériences avec des données de 2014-2016, trois ont détecté une flambée d'asthme orageux jusqu'à 9 heures avant l'heure mentionnée dans le rapport officiel et cinq ont pu la détecter avant le premier bulletin de nouvelles. Un gain de temps précieux pour les autorités sanitaires lorsqu’il s’agit d’alerter la population et de mobiliser les équipes de secours. 

Les données des médias sociaux étant facilement accessibles, cet outil d’analyse des contenus par IA pourrait être utilisé largement pour détecter l’apparition d’évènements impactant la santé publique, qu’il s’agisse de phénomènes d’évolution brutale ou plus lente, comme les épidémies infectieuses.      




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Références :
https://la1ere.francetvinfo.fr/nouvellecaledonie/melbourne-epidemie-asthme-orage-fait-6eme-victime-421001.html
https://oasis-allergie.org/2019/07/11/asthme-aux-orages-est-ce-une-allergie/
https://www.lemonde.fr/planete/article/2016/12/07/l-australie-touchee-par-de-violents-episodes-d-asthme-
d-orage_5044771_3244.html
1- Harnessing Tweets for Early Detection of an Acute Disease Event
Joshi, Adityaa; Sparks, Rossa; McHugh, Jamesa; Karimi, Sarvnaza; Paris, Cecilea; MacIntyre, C. Rainab
Epidemiology: January 2020 - Volume 31 - Issue 1 - p 90–97
doi: 10.1097/EDE.0000000000001133
https://journals.lww.com/epidem/Fulltext/2020/01000/Harnessing_Tweets_for_Early_Detection_of_an_Acute.10.aspx