30% à 80% de la population est infectée par le toxoplasme, parasite qui s’attrape en mangeant de la viande insuffisamment cuite, des fruits et légumes terreux mal lavés ou encore au contact des excréments d’un chat. Le toxoplasmose établit une infection chronique persistante sous forme de kystes présents dans les muscles et le cerveau, au sein desquels il reste « en sommeil ».
L’homme reste cependant un hôte accidentel pour le parasite, et l’infection demeure latente sauf en cas d’immunosuppression ou de VIH non traité, auquel cas elle peut entrainer la mort. L’infection prédispose d’ailleurs également à certaines autres maladies neurologiques, comme la schizophrénie, Parkinson ou Alzheimer. La toxoplasmose est également dangereuse pour le foetus si la mère présente une primo-infection pendant la grossesse. Le cerveau du bébé, non protégé par le système immunitaire de la mère, peut être infecté, ce qui provoque des lésions neurologiques voire un avortement.
La cible ultime du toxoplasme, son « hôte définitf », c’est le chat. Plus précisément, les intestins du chat. Car c’est précisément là qu’il peut se reproduire en fabriquant des oocytes (ceux-là même qui, particulièrement infectieux, sont ensuite expulsés via les excréments). Pour y parvenir, le parasite utilise d’abord un « hôte intermédiaire », notamment les oiseaux et surtout les souris. Encore faut-il que ceux-ci acceptent ensuite de se laisser dévorer. Toxoplasme est donc capable d’altérer leur comportement, en transformant leur peur des chats en attirance.
Des chercheurs de l’Université de Genève (UNIGE) viennent de montrer qu’en fait c’est tout le comportement de ces hôtes intermédiaires qui est modifié : anxiété, stress, curiosité. Plus le parasite est présent sous forme de kystes dans le cerveau, plus la souris est désinhibée. «Nous nous sommes alors demandés comment le toxoplasme parvenait à mettre en place un mécanisme aussi spécifique, à savoir l’altération exclusive de la peur des chats», explique Madlaina Boillat, chercheuse au Département de génétique et évolution de la Faculté des sciences de l’UNIGE.
Afin de déterminer si le changement de comportement de la souris ne concernait que sa réponse face aux félins, les chercheurs ont d’abord testé l’anxiété générale du rongeur infecté en observant son sentiment de sécurité et sa curiosité, puis en les comparant avec ceux d’une souris saine. «Nous avons immédiatement constaté une différence d’attitude chez la souris infectée, plus curieuse, moins stressée» relève Ivan Rodriguez, professeur au sein du même Département.
Puis les chercheurs ont placé des souris malades et saines en présence d’urine de lynx. «Contrairement aux souris saines, les souris infectées par le parasite étaient toutes attirées par cette odeur, qui normalement les fait fuir.» ajoute Madlaina Boillat. Ils ont ensuite élargi l’expérience aux autres prédateurs de la souris, comme rat. «Nous avons placé un rat endormi dans la cage des souris saines, qui tout de suite ont montré une réaction de panique. Au contraire, les souris infectées se sont même baladées sur le rat !» remarque Ivan Rodriguez.
Ces expériences démontrent que contrairement aux connaissance antérieures ce n’est pas seulement la peur du chat qui est inhibée chez la souris infectée, mais bien l’ensemble de son comportement qui est altéré. Reste à comprendre comment le parasite effectue cette prouesse.
Ce qui est sûr, c’est que l’atteinte du comportement est liée au nombre de kystes. «En utilisant la technique de microscopie à nappe de lumière, nous avons pu observer le cerveau avec une résolution extrême et nous avons constaté que l’ensemble du cerveau était envah de kystes, plus particulièrement le cortex, alors que les hypothèses penchaient pour l’amygdale, qui est impliquée dans la réponse innée de la peur.» détaille Dominique Soldati-Favre, professeure au Département de microbiologie et médecine moléculaire. « Le changement de comportement est perceptible dès 200 kystes chez la souris, avec un réel effet sur la peur entre 500 et 1000 kystes» précise-t-elle, ajoutant que chez l’homme le comportement d’une personne infectée semble aussi être légèrement modifié en fonction du degré d’inflammation du cerveau.