Matthew Johnson est professeur à la faculté de médecine de l'université Johns Hopkins, expert dans le domaine des thérapies psychédéliques. Il a déjà mené des centaines de thérapies psychédéliques et en a supervisé tout autant avec des collègues, que ce soit pour aider des fumeurs ou accompagner des patients atteints de cancer. Lors de son intervention à la conférence Insight 2021, il a abordé les risques liés à l’absence de normes.
La thérapie psychédélique a été décrite pour la première fois dans un article scientifique à la fin des années 1950. Dans un environnement confortable, le patient portant un bandeau, les substances psychédéliques étaient administrés à fortes doses. Facteur primordial : ce processus était précédé d’une préparation intensive et l'établissement d'une relation de confiance avec le thérapeute. Johnson souligne qu'à l'époque déjà il ne s'agissait pas simplement de l'administration d'un médicament.
Avant la thérapie, le Pr Johnson prépare le patient aux éventuelles expériences difficiles de la thérapie, les «bad trips». Des patients ont trouvé que la thérapie était l'expérience la plus intensément effrayante de leur vie ; pourtant, il s’agissait pour certains d’anciens militaires ayant déja vécu une expérience de combat. D’après leurs témoignages, au cours d’une thérapie psychédélique on peut avoir l'impression de perdre la raison, de ne jamais pouvoir revenir, tout en vivant par exemple des expériences traumatiques antérieures.
Dans cette thérapie, le thérapeute accompagne le patient dans ce que Johnson décrit comme une «marche en enfer et retour». Il reste constamment présent aux côtés du patient. Après la session, leur lien est renforcé par cette forte expérience émotionnelle. L’effet de ces substances psychédéliques peut être profond. «Pour les patients, il peut s'agir d'un changement de priorités dans la vie, un changement dans la façon dont ils réfléchissent aux choses et au sens qu'ils donnent à leur vie» détaille Johnson. L’un d’eux, après une séance effectuée dans le cadre d’un sevrage tabagique, lui a déclaré : «Maintenant je pourrai vraiment décider d'arrêter de fumer, ce sera comme chasser un insecte».
Cette évolution se produit au prix d’un lourd travail psychologique. Après une séance, les patients se sentent complètement épuisés émotionnellement et physiquement. «Les patients ont l'impression d'être allés au fond d'eux-mêmes, de s'être débattus avec les questions qui les préoccupent. Je pense que cela peut déboucher sur une ‘auto-efficacité’ : ils ont le sentiment d'avoir vraiment atteint les racines psychologiques de leurs problèmes.» Johnson déconseille d'ailleurs d'effectuer plusieurs séances rapprochées.
La thérapie psychédélique amène le patient bien en dessous de la surface. Rien à voir avec l'observation et le traitement des symptômes. Ce n’est pas sans risques. Les émotions déclenchées et le fort attachement au thérapeute rendent le patient très vulnérable. Dès 2008, Johnson a proposé des lignes directrices pour encadrer la pratique des thérapies psychédéliques. Il plaide par exemple pour une réglementation de l'utilisation de la psilocybine, et plus généralement pour qu’un traitement psychédélique ne soit effectué que par des thérapeutes formés.
D'autres pièges, moins évidents, se situent sur un plan métaphysique. Johnson craint que les thérapeutes ne soient poussés à jouer le rôle de prêtres ou de gourous, qu'on attende d'eux qu'ils clarifient des questions philosophiques. Exemples : l'expérience psychédélique est-elle un aperçu de la réalité ultime ? Est-ce un aperçu d’une manifestation divine ? Est-ce qu'elle augmente notre perception d’autres dimensions qui pourraient exister ? Autant de questionnements pour lesquels les thérapeutes n'ont pas de légitimité spécifique.
Or, dans le cadre d’une expérience psychédélique et en présence de patients émotionnellement très vulnérables, un thérapeute peut aisément passer pour une personne dotée de connaissances d’ordre métaphysique. Qu’il le veuille ou non. Pour Johnson, la thérapie psychédélique ne devrait donc jamais s’aventurer sur ces terrains qui relèvent de l’interprétation. Enfin, Johnson met en garde contre les souvenirs qui peuvent ressurgir au cours d’une séance de thérapie psychédélique. Dans quelle mesure sont-ils fiables ? Un point capital dans les cas, par exemple, d'abus sexuels anciens.