Le transfert de nerfs dans le membre supérieur, une technique chirurgicale éprouvée qui peut être combinée à un transfert de tendons pour permettre aux personnes tétraplégiques de recouvrer partiellement force et préhension. L’impact sur leur vie quotidienne est considérable.
Pour une personne tétraplégique, l'extension du coude permet de mieux propulser le fauteuil roulant et de monter et descendre d'une voiture. Tendre le bras lui ouvre aussi la possibilité d'atteindre un objet placé au-dessus du niveau de sa tête car prévu pour une personne valide : un interrupteur, un présentoir, etc. Idem lorsque c’est le mouvement de pince qui est retrouvé : la personne peut alors de nouveau saisir un objet entre ses doigts. Des mouvements qui, ce n’est pas anodin, lui permettent aussi de tendre et serrer la main à quelqu'un.
À Melbourne la chirurgienne Natasha van Zyl et son équipe ont utilisé des combinaisons de transferts de tendons et de transferts nerveux. Les premiers procurent une plus grande force musculaire, les seconds améliorent la dextérité. Au total, 59 transferts ont été réalisés sur 13 jeunes patients (moyenne d'âge de 27 ans) victimes d’accidents de la route ou de sport moins de 18 mois avant l’intervention. L’atteinte était située à un niveau C5 ou inférieur. Chez dix participants les transferts de nerfs ont été combinés aux transferts de tendons. Une étude présentant les résultats de cette technique viennent d’être publiés dans The Lancet. Elle met en lumière les progrès des patients, 24 mois après l’intervention, en termes de force musculaire (triceps) et de dextérité et préhension (fléchisseurs et extenseurs des doigts).
Le Dr Van Zyl précise que les transferts de nerfs ne sont pas nouveaux. Ils consistent à prélever des nerfs reliés à des muscles toujours fonctionnels et situés en amont de la lésion, et de les raccorder aux nerfs des muscles paralysés situés sous le niveau de la lésion. Cette technique était déjà utilisée pour des lésions du plexus brachial. En 2014, elle et son équipe ont décidé de réaliser une triple greffe de nerf sur une patiente. Les résultats, décrits comme « fabuleux », ont suscité l’engouement.
La motivation du Dr Van Zyl provient de ses patients. Elle évoque un patient, très actif auparavant, qui suite à son accident se décrivait comme étant « une tête sur un bâton ». Il ne voulait plus vivre. L’opération, une combinaison de transferts de tendons et de nerfs, lui a permis de recommencer à travailler, mais aussi d’accompagner ses proches au cinéma. De saisir les tickets et le popcorn. Pour le Dr Van Zyl, l’intervention n’a pas seulement changé sa vie. Elle lui a permis de continuer à vivre.
Autre histoire, celle de Paul, 34 ans. Pour attraper des objets, il devait serrer les deux mains l'une contre l'autre. « Tout ce que j'avais, c'était une légère pince grâce à l’effet ténodèse ». Il fermait automatiquement les doigts par une extension du poignet. En décembre 2015, il a bénéficié d’un transfert de nerfs et de tendons sur le côté droit et un transfert de nerfs sur le côté gauche. Les suites ont été psychologiquement difficiles car l'opération a dans un premier temps gommé les résultats de sa rééducation. Retour à la case départ, donc, et de nouveau un besoin d’assistance pour boire un verre d’eau. Six mois plus tard il a commencé à voir des résultats puis à s’apercevoir qu’il faisait des gestes inimaginables auparavant.
Paul peut désormais soulever jusqu'à 9 kg avec sa main droite et 4 kg avec sa main gauche. La fonction de préhension étant restaurée, il peut être autonome et a d’ailleurs récemment quitté le domicile de ses parents. « Je suis capable de démonter et de mettre mon fauteuil roulant dans et hors de la voiture, de ramasser des objets sur le sol, de tenir un verre d'une main » explique-t-il. Sa force est suffisante pour manoeuvrer son fauteuil sur des terrains accidentés donc lui permettre de jouer au rugby handisport.
Quatre transferts de nerfs réalisés sur trois patients ont échoué, sans pour autant compromettre la possibilité d’une greffe de tendon. Six événements indésirables liés à l'intervention chirurgicale ont été signalés, dont aucun n'a eu de conséquences fonctionnelles permanentes.
La transplantation de cellules souches et les neuro-prothèses couplées à des implants cérébraux sont probablement l’avenir de la médecine régénérative. En attendant, pour les personnes tétraplégiques, pouvoir de nouveau se servir du bras et de la main est la priorité absolue. Les transferts de nerfs précoces - associés à une rééducation intense - sont une technique efficace. Combinés aux transferts de tendons, ils optimisent l’amélioration fonctionnelle.
Un message que le Dr Van Zyl et son équipe, qui totalisent à ce jour 160 transferts de nerfs, veulent faire passer à toutes les personnes tétraplégiques et à tous les soignants qui les accompagnent. Un message relayé par Paul, qui rencontre régulièrement des blessés médullaires pour leur parler de cette technique : « Il y a peut-être quelqu'un qui ne connait pas cette possibilité. Cela a tellement changé ma vie, j'espère que cela peut aider quelqu'un d'autre aussi. »
D’après l’OMS, jusqu’à 500 000 personnes sont atteintes chaque année d'une lésion médullaire, dont plus de la moitié deviennent tétraplégiques.
Sources :
- Expanding traditional tendon-based techniques with nerve transfers for the restoration of upper limb function in tetraplegia: a prospective case series
By Natasha van Zyl, MBBS - Bridget Hill, PhD - Catherine Cooper, BAppSc - Jodie Hahn, BAppSc - Prof Mary P Galea, PhD - published in The Lancet, July 04, 2019 - DOI:https://doi.org/10.1016/S0140-6736(19)31143-2
- "Rewiring nerves reverses hand and arm paralysis" by James Gallagher BBC News - 5 July 2019