« Il n’y a pas de médecine sans confiance, de confiance sans confidence et de confidence sans secret » Pr. Louis Portes, ancien Président
du Conseil National de l’Ordre des médecins, 2000. Au cours des études de médecine, le secret médical est dans un premier temps traité de manière très théorique. On apprend qu’il est à la base de la relation entre le patient et le médecin et qu’il est régi par trois textes juridiques différents : le Code pénal, le Code de la santé publique et le Code de déontologie. Sa violation est punie d’un an d’emprisonnement et de 15000€ d’amende. La violation du secret médical se définit par la révélation directe d’une information ou sa simple confirmation.
La première confrontation pratique avec le secret médical arrive au moment du stage infirmier en deuxième année. Avant d’être envoyé dans le monde inconnu de l’hôpital, une conférence préparatoire est tenue pour les étudiants. Les règles d’hygiène et les grandes lignes du comportement à adopter y sont exposées. On nous prévient notamment, qu’à l’hôpital, les stagiaires sont les cibles favorites des familles pour poser les questions qu’ils n’osent pas aborder avec les médecins …
Les conférenciers ne s’étaient pas trompés, lors des premiers jours de stage à l’hôpital, il est difficile de trouver sa place. Lorsque l’on est seul dans les couloirs, à la recherche de quelqu’un ou de quelque chose à faire, les familles vous abordent et essaient d’en apprendre plus sur la situation de leur proche hospitalisé. Il y a deux possibilités: soit on ne connaît vraiment pas la réponse à la question, soit on la connaît mais on ne sait pas dans quelles mesures il est possible de la divulguer. Alors, on suit les instructions reçues : on dit que l’on ne sait pas et on trouve rapidement quelqu’un pour débloquer la situation avant de commettre une maladresse. Le problème est ainsi contourné : les étudiants fuient le secret médical et ne peuvent par conséquent pas tirer d’enseignements sur l’art de communiquer les informations aux patients et à leurs proches. Il est donc important d’observer autant que possible durant les stages, dans quelles proportions et à qui les données médicales sont transmises.
Le secret médical ne se réduit pas à l’état de santé du patient mais il s’étend à tout ce que le médecin voit, entend, lit ou comprend de la vie du patient. A l’hôpital le secret médical est confié à toute l’équipe soignante sauf refus du patient. Ainsi, les professionnels de santé peuvent échanger des informations relatives à un patient si cela permet d’assurer la continuité des soins ou de déterminer la meilleure prise en charge sanitaire possible.
Il est aussi important de connaître la position du patient par rapport à l’information de ses proches. Certains ne veulent pas inquiéter leur famille et préfèrent ne rien dire alors que d’autres choisissent de tout partager. La notion de « personne de confiance » est très importante. Il s’agit de la désignation d’une personne majeure par le patient, qui l’accompagne dans les démarches et les entretiens médicaux. Dans le cas où l’état de santé du patient ne lui permet pas de donner son avis, cette personne est consultée en priorité dans les prises de décisions médicales. Par ailleurs, si le secret médical n’est en théorie pas opposable au patient, il peut le devenir lorsque le patient a demandé à ne pas être informé de sa situation ou lorsque le diagnostic est susceptible de déstabiliser le patient.
Il existe des dérogations légales au secret médical :
– lorsque l’on informe les autorités judiciaires, médicales ou administratives de privations ou de sévices infligés à un mineur ou à une personne qui n’est pas en mesure de se protéger (du fait de son âge, d’une incapacité physique ou psychique)
– lorsqu’un médecin porte à la connaissance du procureur de la République, avec l’accord de la victime, les sévices ou privations constatés dans l’exercice de sa fonction et qui lui permettent de présumer que des violences (physiques, sexuelles ou psychiques) ont été commises
– lorsqu’un professionnel de la santé ou de l’action sociale informe le préfet du caractère dangereux pour elles-mêmes ou pour autrui des personnes qui le consultent et dont il sait qu’elles détiennent une arme ou qu’elles ont manifesté leur intention d’en acquérir une.
Il existe de nombreuses situations où il est difficile de choisir la bonne conduite à tenir. Les textes juridiques sont généralistes alors que chaque patient et chaque situation sont uniques. Néanmoins, les textes juridiques peuvent guider les médecins : dans le cas de diagnostic ou de pronostic grave, la famille ou la personne de confiance peuvent (et non doivent) recevoir des informations nécessaires pour leur permettre d’apporter un soutien direct au patient (sauf opposition de sa part) ou lorsque le patient décède des informations peuvent être divulguées aux ayants droits (sauf opposition du vivant du patient) dans trois objectifs précis : connaître les causes de la mort, défendre la mémoire du défunt, faire valoir leurs droits.
Lorsque l’on est étudiant, tout cela reste abstrait. Comment être sûr que les données médicales entrent dans les critères juridiques qui permettent leur divulgation ? Comment soigner un patient sans qu’il ait connaissance de sa maladie ? Comment connaître préalablement la réaction d’un malade à l’annonce d’un diagnostic grave ? Les professeurs praticiens mentionnent donc des cas pratiques, qui peuvent être des dilemmes pour les médecins. C’est grâce à ces anecdotes marquantes que les futurs médecins peuvent tirer des enseignements pour leur pratique future. Voici un exemple concret : comment maintenir un équilibre entre le secret médical et la non-assistance à personne en danger lorsqu’un(e) patient(e) séropositif(ve) au VIH a des rapports sexuels non protégés avec son (sa) partenaire mais ne souhaite pas l’en informer… Il n’existe pas de conduite parfaite, le conseil principal à retenir est d’évoquer clairement avec le patient les conséquences de ses actes et l’amener à prendre une décision raisonnable par lui-même.
La clé du problème semble se trouver dans l’entretien d’une relation de confiance avec le patient afin de bien le connaître, de le considérer en tant que personne singulière et de s’adapter à ses besoins. Dans la pratique, il est difficile de respecter entièrement le secret médical. À l’hôpital, par exemple, lors de la visite quotidienne des médecins, il est question du patient, de sa maladie, de son traitement. Or, bien souvent, les voisins de chambre sont présents au moment des discussions entre le patient et l’équipe soignante. Il y a donc une sorte d’accord tacite entre les personnes présentes dans la chambre pendant la visite : les informations mentionnées ne doivent sortir de ce cercle d’individus. Il n’est pas envisageable de faire sortir chaque patient de la chambre, mais il est important que les familles et les proches ne soient pas présents. En cabinets médicaux, il est conseillé de demander à voir le patient seul, au moins dans la première partie de la consultation :le patient peut être gêné de demander à ses proches de ne pas l’accompagner, c’est pourquoi il est préférable que le médecin fasse cette démarche.
Il existe de nombreuses voies pouvant conduire à la violation du secret médical. Il n’est pas rare d’entendre le personnel soignant parler de l’état de santé d’un patient au téléphone avec un proche de celui-ci. Mais qui est vraiment au bout de la ligne ? Peut-on pour autant laisser dans l’ignorance la famille d’un patient, qui ne peut pas se rendre à l’hôpital aisément? De plus avec les innovations techniques, la numérisation des données (notamment d’imagerie), l’informatisation des dossiers médicaux… les échanges d’informations entre les médecins aussi bien en cabinet qu’à l’hôpital, sont plus efficaces et plus rapides. Il faut donc redoubler de prudence. Le secret médical peut être rompu par une petite négligence et avoir de lourdes conséquences.
Dans tous les cas, les informations communiquées à des personnes extérieures doivent être nécessaires, pertinentes et non excessives. L’important est de toujours avoir le consentement éclairé du patient sur la gestion de ses données médicales. Malgré les efforts des enseignants pour guider les étudiants dans la garantie du secret médical, il reste toujours une grande part de réflexion individuelle, car chaque situation est unique. L’éthique médicale s’acquiert au fil des expériences et les débuts peuvent donc être un peu maladroits. Le secret médical est un perpétuel tiraillement entre les droits des patients et les devoirs des médecins.