Une étude1 - publiée dans Human Brain Mapping - s'est penchée sur le lien entre peur « rêvée » et peur « réelle ». Les liens entre sommeil et processus émotionnels ont souvent été mis en évidence. La perturbation chronique du sommeil entraîne une agressivité accrue ; la privation aiguë de sommeil exacerbe les réactions émotionnelles aux stimuli négatifs (en altérant le contrôle préfrontal des régions limbiques). Par ailleurs, la dépression et le syndrome de stress post-traumatique (SSPT) sont associés aux troubles du sommeil (ex. insomnie et cauchemars). Le sommeil semble donc permettre de retraiter et réorganiser des informations affectives.
La théorie de la simulation de la menace postule que le rêve sert aussi à simuler « hors ligne » des événements menaçants pour répéter des techniques de prévention envers cette menace. L'histoire affective d'une personne serait rejouée dans l'environnement virtuel et sécuritaire du rêve. Ce mécanisme favoriserait des réponses comportementales adaptées lors de situations réelles.
Résolution de la détresse émotionnelle actuelle et/ou optimisation des réactions affectives au réveil ? Ces deux modèles théoriques se fondent sur le postulat que ce sont les mêmes circuits cérébraux qui sont impliqués pendant les émotions « rêvées » que celles ressenties pendant l'éveil. Des études anatomiques ont par exemple déjà mis en évidence que l'altération de l'intégrité structurelle de l'amygdale gauche était associée à une intensité émotionnelle réduite dans les rêves.
L’usage de l’électro-encéphalogramme à haute densité (EEG) a également montré que certaines régions du cerveau sont responsables de la genèse des rêves, et qu’en fonction du contenu plus spécifique du rêve (perceptions, pensées, émotions) d’autres régions sont également activées. La peur telle que ressentie dans un rêve a été clairement dissociée d’autres émotions, plus « sociales » (embarras, excitation, frustration). Son fonctionnement est distinct : elle est une catégorie émotionnelle prévalente et biologiquement significative.
Des chercheurs suisses et américains (Université de Genève, Hôpitaux universitaires de Genève et Université du Wisconsin) se sont attachés à répondre à deux questions :
Pour établir ces rapports entre les rêves et des mesures fonctionnelles du cerveau, les chercheurs ont analysé les rêves de plusieurs personnes et ont identifié quelles zones cérébrales s’activaient lorsqu’elles ressentaient de la peur en rêve. Ils ont utilisé des EEG haute densité (hdEEG), l'IRM fonctionnelle (fMRI) et ont analysé les changements de taille pupillaire enregistrés lors de la présentation de stimuli aversifs.
« Nous nous sommes intéressés plus particulièrement à la peur: quelles zones de notre cerveau sont sollicitées en cas de mauvais rêve ? » explique Lampros Perogamvros, chercheur au sein du laboratoire "Sommeil et Cognition" de la Professeure Sophie Schwartz2.
Les scientifiques genevois ont placé 256 électrodes de l’EEG sur 18 personnes qu’ils ont réveillées plusieurs fois pendant la nuit. À chaque réveil, celles-ci devaient répondre à une série de questions telles que: « Avez-vous rêvé ? Si oui, avez-vous ressenti de la peur ? »
« En analysant l’activité du cerveau en fonction des réponses des participants, nous avons identifié deux régions cérébrales comme étant responsables de la peur ressentie lors d’un rêve : l’insula et le cortex cingulaire » explique Lampros Perogamvros. L’insula s’active systématiquement en cas de peur ressentie. Quant au cortex cingulaire, il joue notamment un rôle dans la préparation des réactions motrices et comportementales en cas de danger.
« Pour la première fois, nous avons identifié les corrélats neuronaux de la peur lorsque nous rêvons, et démontrons que certaines mêmes régions cérébrales sont activées lorsque la peur est ressentie à l’éveil ou dans un rêve », précise le chercheur genevois.
Les chercheurs ont ensuite constaté qu’une fois les individus réveillés, les zones cérébrales responsables du contrôle des émotions géraient de manière beaucoup plus efficace les situations de peur auxquelles ils étaient confrontés.
Ils ont d’abord donné un cahier de rêves à 89 participants. Chaque matin, durant une semaine, ceux-ci devaient décrire leurs rêves de la nuit écoulée et identifier les émotions ressenties, dont la peur.
À la fin de la semaine, ils ont été placés dans un IRM. « Nous avons montré à chaque participant des images émotionnellement négatives, comme des agressions ou des situations de détresse, et des images neutres, afin de voir quelles zones cérébrales s’activaient davantage pour la peur, et si cette activation changeait en fonction des émotions des rêves de la semaine écoulée », explique Virginie Sterpenich, chercheuse au Département de neurosciences fondamentales de la Faculté de médecine de l’UNIGE.
Les chercheurs se sont plus particulièrement intéressés à des zones cérébrales traditionnellement impliquées dans la gestion des émotions, comme l’insula, l’amygdale, le cortex préfrontal médial et le cortex cingulaire. « Nous avons constaté que plus une personne avait ressenti de la peur dans ses rêves, moins l’insula, le cingulaire et l’amygdale étaient activés lorsque cette même personne était confrontée à des images négatives », s’enthousiasme Virginie Sterpenich. « De plus, l’activité du cortex préfrontal médial, connu pour inhiber l’amygdale en cas de peur, augmentait proportionnellement à la quantité de rêves de peur ! »
Ces résultats démontrent le lien très fort entre les émotions ressenties endormi et éveillé et confortent la théorie neuroscientifique expliquant que pendant les rêves nous simulons des situations effrayantes qui nous préparent à y réagir une fois éveillés. « Les rêves peuvent être considérés comme un véritable entrainement de nos futures réactions et peuvent potentiellement nous préparer à affronter les dangers » insiste Lampros Perogamvros.
Le rêve… Un nouvel allié thérapeutique pour traiter les troubles anxieux. Les chercheurs envisagent désormais d’étudier cette piste.
Les « mauvais rêves » sont à l’origine d’une peur modérée. Les cauchemars quant à eux provoquent un niveau de peur excessif qui perturbe le sommeil et a un impact négatif sur la personne réveillée. « Nous pensons que si un certain seuil de peur dans un rêve est dépassé, celui-ci perd son rôle bénéfique de régulateur émotionnel » précise Lampros Perogamvros.
Des études antérieures ont en effet déjà montré que les cauchemars récurrents, comme ceux observés chez les patients souffrant de SSPT, pourraient témoigner d’un échec de la fonction d'extinction de la mémoire de la peur (qui permet normalement la disparition de la peur par habituation au stimulus). Les patients souffrant de cauchemars seraient également plus enclins à la dysrégulation émotionnelle. A contrario, une anxiété élevée pendant l'éveil peut accroître l'excitabilité des souvenirs chargés négativement pendant le sommeil : une telle perturbation de la régulation des émotions pendant l'éveil et le sommeil a été proposée comme l'un des principaux facteurs contribuant à l'insomnie.
1- Sterpenich, Virginie & Perogamvros, Lampros & Tononi, Giulio & Schwartz, Sophie. (2019). Fear in dreams and in wakefulness: Evidence for day/night affective homeostasis. Human Brain Mapping. 10.1002/hbm.24843.
2- Département de neurosciences fondamentales de la Faculté de médecine de l’UNIGE et cheffe de clinique scientifique au Centre de médecine du sommeil des HUG