Zones de conflit, régions touchées par de graves épidémies ou pays dévastés par des catastrophes naturelles – l’organisation internationale Médecins Sans Frontières est toujours là où les populations ont grand besoin d’une aide médicale d’urgence. L’organisation humanitaire et ses collaborateurs se trouvent en ce moment en Guinée afin de combattre le virus mortel Ebola. Le médecin généraliste originaire d’Ilmenau (Région de Thuringe, Allemagne), Dr. Karl Eiter est régulièrement en intervention à l’étranger avec MSF. Il a vécu les conséquences des guerres civiles et épidémies, mais aussi fait l’expérience d’énormément de chaleur humaine pendant ses interventions.
esanum: Vous êtes revenu en mars de République Centrafricaine alors que le pays était en proie à des combats. Là-bas vous avez surtout eu affaire à des blessures par balles et par machette. En tant que médecin, comment peut-on supporter autant d’atrocités?
Dr. Eiter: On ne peut pas s’identifier au destin de chaque patient. Beaucoup d’entre eux étaient des jeunes hommes qui ont participé aux combats. Par contre lorsque des enfants et des personnes plus âgées, qui n’avaient pas pris part aux combats, viennent nous voir avec des blessures épouvantables alors on est pas loin de perdre espoir en l‘humanité. Ce sont par ailleurs des blessures similaires que j’ai vues en 1994 à la frontière entre le Rwanda et la Tanzanie.
esanum: Quelles expériences positives avez-vous faites pendant vos missions en zones de crise ?
Dr. Eiter: Il y en a tellement: à commencer par le savoir acquis et l’élargissement de son propre horizon. Ensuite, j’ai eu la chance de faire la connaissance de volontaires très engagés et de vivre de belles rencontres avec les populations locales. Enfin, il y a évidemment le plaisir à prendre part à ces missions, la recherche de nouveaux défis ainsi que la profonde satisfaction d’avoir accompli quelque chose à la fin de la journée.
esanum: Vous êtiez souvent en mission dans des régions où des épidémies de rougeole et de choléra se propageaient. De quels moyens disposez-vous pour combattre une épidémie?
Dr. Eiter: La rougeole et le cholera sont des maladies, contre lesquelles Médecins Sans Frontières est très actif à l’heure actuelle. Pour la rougeole, la prophylaxie -c’est à dire la vaccination- se trouve au premier plan. L’organisation dispose de stratégies et moyens énormes ainsi que d’une expérience suffisante pour mettre en place des campagnes de vaccination. Le maintien de la chaine du froid est primordial pour la réussite d’une telle action. Dans la région du Darfur au Soudan, je me suis moi-même trouvé dans des coins très reculés, où les glaciéres contenant les vaccins étaient transportées à dos d’ânes.
Pour le cholera, la prophylaxie est elle aussi au premier plan. L’accès à l’eau potable est nécessaire. J’ai eu l’opportunité d’accompagner une unité-cholera en mission au Liberia. S’il y a assez d’infusion à disposition, alors la maladie n’est pas forcèment mortelle. Au contraire: Il est étonnant de constater avec quelle rapidité les patients guérissent après des infusions de masse.
esanum: Par quelles maladies êtes-vous le plus intimidé ? Dans quelles mesures les épidémies peuvent-elles influencer la vie des populations?
Dr. Eiter: Jusqu’à présent je n’ai eu aucun contact avec des gens touchés par le virus ebola mais je pense que cette maladie est vraiment intimidante. En Libérie, j’ai vu des maladies provoquées par le virus de Lassa. Ces maladies peuvent être potentiellement dangereuse pour chacun, mais pour les populations, ce sont les “simples” diarrhées, les pneumonies, le manque de nourriture et évidemment les maladies provoquées par le VIH qui constituent les plus grands dangers.
esanum: Quand vous êtes en missions: Comment se déroule votre vie quotidienne?
Dr. Eiter: C’est avec un exemple que ceci s’explique le mieux. À Bangui, la capitale de la République Centrafricaine, où je me suis rendu il a peu, le départ pour l’hopital était prévu aux alentours de 7 heures, après que la sécurité ait été controlée. Nous travaillions ensuite jusque 19 heures environ -parfois aussi jusque 21 heures. Ensuite il y avait le couvre-feu alors nous rentrions au camp de Médecins Sans Frontières. Nous prenions une douche, mangions quelque chose, parlions de la sécurité puis nous allions au lit en espérant ne pas être réveillés en sursaut par des échanges de tirs proches. Durant d’autres missions, les risques étaient sûrement moins importants, en revanche la charge de travail était bien plus grande. Un dimanche, à Masisi, en République Démocratique du Congo nous avons effectué 8 césariennes en 24 heures. Dans ces cas là on est vite épuisés.
esanum: Dans les zones de crise les stuctures médicales sur place sont souvent détériorées. Sur quelles aides pouvez-vous compter pendant une mission ?
Dr. Eiter: On est toujours étonnés des différents personnalités que l’on peut rencontrer. Les personnes qui dans les pays en crise sont prêtes à travailler pour des organisations humanitaires étrangères et à en assumer les risques, sont bien souvent cultivées, maîtrisent une langue étrangère et connaissent le contexte. De telles aides sont indispensables à l’efficacité de nos actions sur place. Bien sûr, il faut veiller à ce que ces collaborateurs, qui ont une famille et des connaissances sur place, ne soient pas totalement accaparés par l’organisation humanitaire.
esanum: En tant qu’aide médicale dans des régions de crise on est exposés aux risques d’enlévements, de violences ou de menaces. Comment peut-on se protéger dans des pays comme la République Ccentrafricaine, Somalie et Liberia ?
Dr. Eiter: Il n’existe pas de sécurité absolue. Nous sommes sensibilisés aux risques sur place. Beaucoup de procédures ont été standardisées et la communication est une nécessité. Il existe pour chaque projet un réglement de sécurité et un contrôle constant de la situation. Il coule, par exemple, de source qu’un trajet prévu entre A et B peut être annulé à la dernière minute pour des raisons de sécurité. Et c’est très bien comme ça. Il arrive d’être bloqué quelque part pour des raisons de sécurité, sans pouvoir intervenir pendant une semaine.
esanum: Comment pouvez-vous combiner votre engagement pour Médecins Sans Frontières et votre activité de médecins à Ilmenau?
Dr. Eiter: Je suis reconnaissant à la clinique Ilm-Kreis Arnstadt-Ilmenau de me libérer du jour au lendemain de mes fonctions au sein du service des urgences, afin de me laisser prendre part à des missions parfois longues. Sans le soutien de la direction de l’hôpital ceci ne serait pas possible.
esanum: D’où vous vient la motivation pour continuer à partir en mission ?
Dr. Eiter: Je vais bientôt avoir 61 ans. Ce sentiment, d’avoir aidé des gens en situation d’urgence est une récompense en soi. C’est là que je puise la force de travailler dans un système médical, qui privilégie malheureusement des considérations économiques aux considérations humaines.
Médecins Sans Frontières est une organisation humanitaire privée. Son objectif est de sauver des vies et d’apaiser les souffrances, lorsque les structures médicales en place touchées par des catastrophes naturelles ou des crises provoquées par les hommes, ne suffisent plus. L’organisation a été fondée en 1971 par des médecins Français. Grâce à ses 2 500 collaborateurs internationaux et 30 000 collaborateurs locaux elle est active dans près de 60 pays au monde.
Médecins Sans Frontières est constamment à la recherche de nouveau personnel médical qualifié. Si vous êtes intéressé, plus d’informations ici : //www.msf.fr