En moyenne, deux années s’écoulent entre l’apparition des premiers symptômes d’un épisode psychotique et la prise en charge spécialisée.1 Un délai inacceptable puisque l’on sait que la rapidité du repérage et de l’orientation améliorent le pronostic, particulièrement chez les patients jeunes.
Les médecins généralistes, les premiers consultés par ces patients, manquent de formation au repérage précoce des troubles psychiatriques. Or les symptômes, bien souvent, ne sont pas spécifiques. L’augmentation de la consommation de cannabis ou l’isolement sont facilement mis sur le compte d’une «crise d’ado». Et pourtant… Parmi ces jeunes patients qui consultent leur généraliste pour un motif psychiatrique, rares sont ceux qui ne souffrent pas d’une pathologie reconnue2 : troubles anxieux, dépression, troubles bipolaires, troubles psychotiques, etc.
Aider au repérage, au diagnostic, à l’accompagnement thérapeutique et à l'orientation… In fine, l’objectif de Psychiaclic est de fluidifier, dès la première consultation en médecine générale, le parcours de soin en santé mentale.
La sémiologie de la santé mentale est complexe. Le médecin généraliste peut facilement passer à côté d'un symptôme. À contrario, déstabilisé par l’éventualité d’un passage à l’acte, il préfère parfois orienter d’emblée le patient en dépit d’une organisation des soins spécialisés qui n’est pas toujours très lisible ou accessible rapidement.
Si Psychiaclic vise à fluidifier le parcours de soins, le but est aussi de conforter le médecin généraliste dans son rôle de premier recours. Les praticiens que nous avons rencontrés évoquent leur manque de formation dans le domaine de la santé mentale. Nous avons donc voulu leur fournir un outil simple, qui les aide pendant la consultation à prendre la bonne décision.
En France, 90% des médecins généralistes se serviraient déjà de sites d’aide au diagnostic «en trois clics»3, que ce soit en ophtalmologie, gynécologie, infectiologie ou cardiologie. Pour ma part, je consulte régulièrement un site d’aide à l’interprétation des ECG. Alors pourquoi pas un tel outil pour la psychiatrie ?
Le site est conçu autour d’un algorithme décisionnel. L’utilisateur répond par oui/non à deux séries succinctes de questions simples. La seconde sert à évaluer l’urgence de la situation et la conduite à tenir. Tous les termes spécifiques sont expliqués.
Par ailleurs, Psychiaclic propose des fiches-pratiques sur les différents troubles et traitements (médicamenteux ou non). Quel bilan effectuer avant telle prescription ? Quel suivi mettre en place ? Le site fournit aussi une aide à la rédaction des courriers d’adressage. Il est aussi possible d’éditer automatiquement un certificat médical pour les soins sans consentement.
Enfin, l’utilisateur peut consulter un lexique des termes sémiologiques et une base documentaire. Celle-ci comporte notamment les questionnaires, tests et échelles d’évaluation de référence.
Psychiaclic est une émanation du projet PEP48 4, qui vise à réduire à 48 heures le délai d’accès aux soins spécialisés lors d’un premier épisode psychotique. La conception du site s’est étalée sur deux années, soutenue par la Fédération Régionale de Recherche en Santé Mentale Hauts-de-France (F2RSM Psy).5
J’ai d’abord reçu le soutien du professeur Thomas, et après une analyse des besoins des médecins généralistes, nous avons créé une équipe de travail regroupant des psychiatres et des médecins généralistes. Pour les contenus, nous nous sommes appuyés sur le référentiel de psychiatrie et sur l’ouvrage de diagnostics différentiels du DSM-5, que nous avons simplifié et adapté. Le contenu a été validé par des spécialistes de chaque champ et par des médecins généralistes.
Un prestataire externe s’est occupé du développement informatique et du graphisme. Ensuite, l’ergonomie du site a été testée au sein du laboratoire de la Faculté de médecine de Lille, dans le cadre d’un travail de thèse. Pour sa part, le CHU de Lille a soutenu Psychiaclic en fournissant une aide juridique et en participant aux opérations de communication.
En 2020, nous avons présenté une version bêta de Psychiaclic dans plusieurs congrès de médecine générale. Ce fut un moment clé, car le site a été ensuite profondément remanié suite aux remarques des médecins.
Psychiaclic est en ligne depuis le 6 octobre 2021. Les premiers retours sont positifs et confirment qu’un tel site répond à un fort besoin. Son évaluation sera faite par la F2RSM Psy, sur les indicateurs initiaux de PEP48 : pertinence de l'adressage, qualité du courrier et surtout raccourcissement du délai entre la demande du médecin généraliste et le premier rendez-vous au CMP.
Nous voulons aller plus loin. D’abord, en mettant en ligne un annuaire national de toutes les structures de soin en santé mentale. Ensuite, en faisant connaître largement Psychiaclic, via les URPS notamment. Nous étudions aussi d‘autres pistes, qui ont émergé récemment lorsque notre projet a commencé à faire parler de lui. Des médecins généralistes nous ont déjà fait part de leurs remarques et suggestions. Nous réfléchissons ensemble à la manière dont Psychiaclic peut encore mieux répondre à leurs besoins.
Enfin, nous sommes en contact avec des créateurs de sites similaires tels que psychotropes.fr – conçu par des médecins généralistes – ou encore PsychoPharma.fr [à découvrir ici] qui a vocation à faciliter le maniement des psychotropes. Nous pourrions mutualiser nos approches. Pour ma part, je serais ravie de voir évoluer Psychiaclic dans cette direction.
Notes :
1– Souaiby L, Gaillard R, Krebs MO. Duration of untreated psychosis: A state-of-the-art review and critical analysis. Encephale. 2016 Aug ; 42(4):361-6.
2– Rapport Ipsos, La santé mentale des jeunes vDEF3.pdf [cité 11 juin 2019]. Disponible sur: www.fondationpierredeniker.org.
3– Cléron B. Conception d’un outil internet à l’usage des médecins généralistes pour la gestion des problèmes ophtalmologiques aigus: Ophtalmoclic.fr.:96.
4- Piloté par le Pr Pierre Thomas, PEP48 est un projet ayant reçu le soutien financier de la DGPS dans le cadre d’un FIOP (fonds d’innovation organisationnelle en psychiatrie).
PEP48 rassemble le CHU de Lille (département de médecine générale et pôle de psychiatrie), le GHT de psychiatrie Nord-Pas-de-Calais et la Sauvegarde du Nord.
5- La F2RSM Psy rassemble tous les établissements privés et publics qui dans cette région s’investissent dans la santé mentale.
Psychiaclic a été financé par la Fondation de France, dans le cadre de son programme «Maladies psychiques : accès aux soins et vie sociale».