Pour le docteur Daniel Fishman, directeur médical de la plateforme soignez-moi.ch, celle-ci pourra « lutter contre la pénurie de médecins généralistes dans certaines régions et permettre aux 20 % de la population qui renoncent à des soins pour des raisons financières de le faire à nouveau. »
Au sein de l’OCDE, les patients suisses sont ceux qui ont le niveau de participation financière individuelle aux soins le plus élevé. 56 % des Suisses ont une franchise annuelle à plus de CHF 300 (montant minimum pour un adulte, il peut atteindre CHF 2 500). Au-delà de cette franchise, les Suisses doivent financer 10 % de leurs dépenses de santé. Le remboursement à 100 % n’est déclenché qu’à partir d’un montant annuel de dépenses de CHF 7 000.
Ce système peut freiner l’accès aux soins de base. Selon l’Observatoire suisse de la santé (OBSan), le nombre de Suisses renonçant à consulter à cause du coût ne cesse de croître : 10 % en 2012, 16.2 % en 2016 et 20 % en 2017.
Par ailleurs, le pays connaît lui aussi une pénurie médicale, qui concerne essentiellement les généralistes. Leur proportion parmi la population est inférieure à celle de la moyenne des pays de l’OCDE. On estime à 12 millions les consultations qui ne pourront être assurées d’ici 2030. L’âge des médecins en est la cause principale : 15 % des généralistes actifs ont plus de 65 ans et 60 % prendront leur retraite dans les 10 ans.
Ce nouveau type de consultation en ligne pourrait impacter l’ensemble du système de santé. L’OBSan a également remarqué que le recours aux services d’urgence hospitaliers - qui augmente chaque année de 5 % - tend à être inversement lié au recours aux cabinets médicaux.
Un constat partagé par le Dr Fishman, dont la plateforme entend cibler notamment deux populations, les personnes jeunes et celles, d’origine étrangère, qui disposent de moindres revenus. « Le jeune qui a une angine ne veut plus faire la queue pour aller chez le médecin. Dès lors, il attend avant de consulter et se retrouve aux urgences. Ce sont des structures totalement engorgées qui ne sont pas faites pour cela.
Par ailleurs, si la plateforme ne fonctionne pour l’instant qu’en français, elle sera courant 2020 proposée en 8 langues. Multilinguisme suisse oblige, certes, mais aussi parce qu’elle entend s’adresser aux allophones, qu’ils soient par exemple turcs ou albanais.
Ce sont 9 médecins expérimentés qui sous la houlette du Dr Fishman - ex directeur par interim du service des urgences du CHU de Lausanne - reçoivent et analysent les questionnaires remplis par les patients. Tous exercent tous en Suisse, assurent par ailleurs une activité en cabinet, et ont suivi une formation spécifique à la télémédecine.
Du lundi au vendredi (8h-20h) et le samedi (10h-18h), le patient remplit un questionnaire médical sur une app, en choisissant d’abord parmi une trentaine de symptômes celui qui le dérange le plus. Le questionnaire s’affine ensuite, et le patient peut à tout moment ajouter un commentaire, des photos, ou envoyer un message au médecin.
La plateforme confirme instantanément si elle peut assurer la prise en charge, auquel cas le patient reçoit dans l’heure un appel du médecin, faute de quoi la consultation est offerte. Sinon, la plateforme ne conserve pas d’informations sur le patient et l’oriente sans frais vers un médecin ou les urgences (possibilité de prendre rdv en ligne ou de composer directement le 144 depuis l’app).
Une ordonnance électronique peut être adressée directement dans l’une des 140 officines partenaires. Les patients peuvent aussi y être envoyés pour effectuer des examens ou des mesures complémentaires (prise de tension, glycémie, etc.).
Le patient peut en tout temps contacter la plateforme (et le médecin rappelle ensuite). Un suivi est assuré dans les 24 ou 48 heures afin de constater l’amélioration des symptômes et d’adapter le traitement si besoin. Un questionnaire de suivi spécifique à chaque symptôme - 4 questions et une partie « commentaire » - est envoyé automatiquement au patient 12 à 72 h après le diagnostic. Si après le deuxième rappel le patient ne le remplit pas, Le médecin appelle le patient. Avec l’accord du patient, un rapport de la prise en charge est transmis à son médecin traitant.
Les protocoles de tri sont consultables par tout médecin qui le désire. Ces derniers seront d’ailleurs utilisés par des hôpitaux et médecins généralistes souhaitant mieux gérer leurs consultations non programmées. Ceci distingue soignez-moi.ch des autres plateformes - Medgate ou Medi24 - qui sont quant à elles partenaires de compagnies d’assurances.
Ce montant est remboursé par toutes les caisses d’assurance maladie de base, jusqu’à 4 fois par an. Pour une consultation en urgence chez un généraliste, sans examen, la facture est normalement de CHF 110. Les éventuels examens effectués en pharmacie ainsi que les médicaments sont également remboursés par les caisses-maladie.
Les assureurs sont plutôt favorables à ce dispositif, qui n’est pas vraiment une nouveauté puisqu’environ 1,2 million de Suisses, soit 15 % des assurés, bénéficient déjà d'un modèle d'assurance basé sur la télémédecine. « On voit cela d'un assez bon oeil parce que la concurrence pousse à l'innovation » explique Christophe Kaempf, porte-parole de Santésuisse, qui regroupe les différentes caisses.
soignez-moi.ch est la seule plateforme suisse certifiée à la fois ISO 27001, OCPD et GoodPriv@cy.Ces normes qui concernent la gestion de la sécurité des informations et la protection des données personnelles. Les données abondent le dossier médical informatisé du patient via la solution Mediway. Les datacenters sécurisés qui hébergent les données sont situés en Suisse.
La plateforme a pu démarrer ses activités grâce à une levée de fonds de 4,3 millions de francs, financée par des investisseurs institutionnels privés. Romain Boichat, Directeur opérationnel de soignez-moi.ch, témoigne d’un retour extrêmement positif des premiers patients. La plateforme devrait maintenant se développer sur l’ensemble de la Romandie d’ici fin 2019 puis sur tout le territoire suisse.
L’avis du Dr Jérôme Marty
« Les risques avec ce type d’initiative, ce sont toujours les mêmes : tomber dans une médecine commerciale et low cost qui dégrade la qualité des soins. Là, je me pose surtout la question des investisseurs.
Mais là ils ont l’air de cocher les bonnes cases. Si ça reste à petite échelle et qu’ils orientent en priorité vers le médecin traitant, il n’y a pas grand risque. Ils évitent les biais d’autres plateformes commerciales.
En France, la télémédecine est réservée au parcours de soin habituel, c’est le même médecin qui consulte en présentiel ou à distance, il connaît son patient. La médecine est une chose complexe, et une consultation à distance n’aura jamais la profondeur d’une téléconsultation.
Après, savoir si le modèle est reproductible…
Il y a un aspect dont personne ne parle, c’est l’augmentation du montant de la responsabilité civile pro. Parce qu’au début, forcément, il y aura des plantages. La CRCI et l’Oniam vont avoir du boulot… »