Pire que la cuite, le syndrome hyper-émétique cannabinoïde

Journal Club n°13<br>Nausées et vomissements incoercibles, douleurs abdominales diffuses et intenses calmées par l'eau chaude... Et s'il s'agissait d'un SHC ?



Nous publions ici, avec son accord, le Journal Club que le Pr Nicolas Peschanski * propose à ses étudiant.e.s afin de leur présenter certaines études relatives à sa spécialité. Nous l'en remercions chaleureusement.

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Journal Club n°13



L'alcool peut être nul, nous le savons tous.
Mais un p’tit joint plus ou moins phyto-synthétique ?
Pas de quoi entraîner toute une cascade de phénomènes cliniques, n’est-ce pas ?
(spoil : si).



Vous êtes de garde aux urgences, il est 23 heures lorsque vous êtes alerté par le régulateur du SAMU. L’ambulance vous amène un patient de 37 ans, retrouvé accroupi sur son canapé, agité, gémissant et se plaignant de douleurs diffuses. À côté de lui se trouvait un seau de vomi. Le patient s’est levé seul mais il avait l'air miséreux et semblait souffrir beaucoup. Vous avez sous les yeux le bilan enregistré sur tablette par les ambulanciers : pouls 112, TA 185/95, SpO2 98%.  

Arrivé au SU, le patient présente des nausées et vomissements incoercibles ainsi que des douleurs abdominales diffuses et intenses. Les ambulanciers vous expliquent que d’après les autres locataires de sa résidence étudiante le patient souffrait de ces symptômes depuis plusieurs jours, mais pas de manière aussi sévère qu'aujourd'hui. Il aurait pris des antalgiques, restés sans effet.



Prise en charge aux Urgences

À l’interrogatoire, vous apprenez qu’il n’a pas d’antécédent notable ni d'allergie connue. Il est en bonne santé, ne prend pas de médicament, n'a jamais été opéré. Le patient admet consommer de la marijuana depuis des années, régulièrement et surtout quotidiennement.

Le patient signale qu'il vomit dix à quinze fois par jour et que dans l’intervalle il a toujours des nausées ainsi que de fortes douleurs abdominales persistantes. Les vomissements sont alimentaires ou bilieux et les selles sont décrites comme normales. On ne retrouve aucune notion de voyage à l'étranger. Dès l'apparition des premiers symptômes, il a pris des douches chaudes pendant des heures, seule manière de calmer ses symptômes.  

À l’examen, l'abdomen est visuellement normal et sans cicatrices. Il défend dans son ensemble, mais devient progressivement relâché et souple, sans tympanisme ou défense focale. Vous constatez une sensibilité épigastrique diffuse. Le péristaltisme est actif dans tous les quadrants. Les paramètres biologiques ne retrouvent qu’une hyperleucocytose modérée à 19.000/mm3.

Le traitement initial consiste en une perfusion courte de paracétamol sans effet significatif. Seul le recours aux opiacés permet un certain soulagement des plaintes douloureuses abdominales. L’état du patient reste cependant médiocre et inchangé. L’antalgie même à palier croissante n'a aucun effet ou n'entraîne qu'une réduction à court terme de l'intensité des symptômes.

Durant la relève, le médecin de garde surprend le patient en train de fumer de l'herbe dans l'enceinte du service. Il pose le diagnostic présumé de syndrome hyper-émétique cannabinoïde (SHC).



Physiopathologie

Le cannabis a un effet antiémétique. Il agit principalement sur deux récepteurs : CB1 et CB2 (hypothalamus, hippocampe, cervelet). Le CB1 se trouve également dans le tractus gastro-intestinal où il réduit la motilité, diminue la production d'acide gastrique et relaxe le sphincter œsophagien.

La consommation chronique de cannabis semble stimuler en permanence le CB1 et in fine contrecarrer son effet antiémétique sur le SNC. Le THC (delta-9-tétrahydrocannabinol) étant très lipophile, il est possible qu'il s'accumule, entraînant une réexposition constante et donc un effet persistant. Dans les modèles animaux, de faibles doses de THC ont montré un effet antiémétique, de fortes doses ont au contraire entraîné  des nausées.



Le SHC en bref


Symptômes

Les critères cliniques du SCH sont selon Simonetto et al. 1 :



Diagnostics différentiels


Thérapeutiques

  1. Le premier traitement est l’exclusion d'un tableau clinique grave en évitant autant que possible les surdiagnostics (des patients présentatnt un SHC ont ainsi pu «bénéficier» de laparotomie exploratrice...).
    Il faut considérer aussi la possible iatrogénie médicamenteuse en cas de troubles abdominaux et de nausées (intoxication au paracétamol en tout premier lieu).
     
  2. Les douches et bains chauds.
    Leur effet résulterait : 
    - de l'augmentation de la température corporelle, qui contrecarre l'activation chronique des récepteurs CB1 dans l'hypothalamus
    - ou d’une vasodilatation périphérique avec augmentation du flux sanguin épidermique, d’où la réduction du flux sanguin vers la zone splanchnique, réduisant ainsi les nausées et les vomissements.
     
  3. Les pommades à base de capsaïcine topique.
    Elles peuvent soulager les symptômes.2
    On trouve ces topiques dans la «pharmacopée» des sportifs et usagers des salles de sport et de musculation où elles sont utilisées pour «chauffer» les muscles. À base d’extrait de piments rouges (la protéine en étant extraite), ces pommades sont souvent très efficaces en quelques minutes.
     
  4.  L'arrêt complet de la consommation de cannabis/cannabinoïdes est la seule option de traitement efficace et durable.
    La cessation des symptômes peut être attendue au bout de 2 à 4 jours. Des conseils en matière de toxicomanie et un soutien psychologique pour garantir l'abstinence sont des mesures très utiles. 



Par ailleurs, n’oubliez pas qu’il n’y a pas que les joints…
Les cannabinoïdes se trouvent facilement sur le marché et sous plusieurs formes : sachets, excipients des doses de cocaïne, space-cake, etc. 

 

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Notes :

1. Simonetto DA, et al. Cannabinoid hyperemesis: a case series of 98 patients. Mayo Clinic Proceedings. 2012;87(2):114-9.
2. Dean DJ, Sabagha N, Rose K, et al. A Pilot Trial of Topical Capsaicin Cream for Treatment of Cannabinoid Hyperemesis Syndrome. 2020;27(11):1166-72.

Références : 

- Galli JA, Sawaya RA, Friedenberg FK. Cannabinoid hyperemesis syndrome. Curr Drug Abuse Rev. 2011;4(4):241-9.
- Chu F, Cascella M. Cannabinoid Hyperemesis Syndrome. [Updated 2020 Jul 4]. In: StatPearls [Internet]. Treasure Island (FL): StatPearls Publishing; 2020
- Jan.Wagner S, et al. Efficacy and safety of topical capsaicin for cannabinoid hyperemesis syndrome in the emergency department. Clinical Toxicology 2019: 1-5.
- Ruberto AJ, Sivilotti MLA, Forrester S, et al. Intravenous Haloperidol Versus Ondansetron for Cannabis Hyperemesis Syndrome (HaVOC): A Randomized, Controlled Trial. Ann Emerg Med. 2020;S0196-0644(20)30666-1.



* Nicolas Peschanski est professeur de médecine d'urgence et praticien hospitalier au CHU de Rennes. Membre actif de longue date de la SFMU – avec six années passées au sein de la commission scientifique – il siège depuis 2020 à la commission des référentiels.
Le parcours international du Pr Peschanski, notamment aux USA, lui a permis de devenir membre de la Commission Internationale de l'American College of Emergency Physicians ainsi que du comité de pilotage de l'EMCREG-International (Emergency Medicine Cardiac Research and Education Group). Il fait également partie de l'Eusem (European Society for Emergency Medicine) et plus particulièrement de son comité «Web & social media».
Le Pr Peschanski est très attaché au principe de la FOAMed (Free Open Access Meducation - Partage en libre accès des ressources éducatives médicales). Il utilise les réseaux sociaux (@DocNikko) à des fins pédagogiques et de partage des connaissances en médecine d’urgence.


Liens d'intérêts
Le professeur Peschanski déclare les liens d'intérêts suivants :
- sur les trois dernières années : Vygon SA (consultant),  Fisher&Paykel (symposium), AstraZeneca (symposium)
- sur les vingt dernières années :
Symposiums : Fisher&Paykel Healthcare , AstraZeneca, Lilly, Sanofi, Daiichi-Sankyo, HeartScape, The Medicine Company, Thermofisher, Roche Diagnostics
Boards : Bayer, AstraZeneca, Vygon SA, Portola USA, Sanofi, Boehringer Ingelheim
Congrès : Lilly, Sanofi, Vygon SA, Portola, Roche Diagnostics, Thermofisher
Fonds de recherche (non personnels) : Servier, Boehringer Ingelhei