L'alcool peut être nul, nous le savons tous.
Mais un p’tit joint plus ou moins phyto-synthétique ?
Pas de quoi entraîner toute une cascade de phénomènes cliniques, n’est-ce pas ?
(spoil : si).
Vous êtes de garde aux urgences, il est 23 heures lorsque vous êtes alerté par le régulateur du SAMU. L’ambulance vous amène un patient de 37 ans, retrouvé accroupi sur son canapé, agité, gémissant et se plaignant de douleurs diffuses. À côté de lui se trouvait un seau de vomi. Le patient s’est levé seul mais il avait l'air miséreux et semblait souffrir beaucoup. Vous avez sous les yeux le bilan enregistré sur tablette par les ambulanciers : pouls 112, TA 185/95, SpO2 98%.
Arrivé au SU, le patient présente des nausées et vomissements incoercibles ainsi que des douleurs abdominales diffuses et intenses. Les ambulanciers vous expliquent que d’après les autres locataires de sa résidence étudiante le patient souffrait de ces symptômes depuis plusieurs jours, mais pas de manière aussi sévère qu'aujourd'hui. Il aurait pris des antalgiques, restés sans effet.
À l’interrogatoire, vous apprenez qu’il n’a pas d’antécédent notable ni d'allergie connue. Il est en bonne santé, ne prend pas de médicament, n'a jamais été opéré. Le patient admet consommer de la marijuana depuis des années, régulièrement et surtout quotidiennement.
Le patient signale qu'il vomit dix à quinze fois par jour et que dans l’intervalle il a toujours des nausées ainsi que de fortes douleurs abdominales persistantes. Les vomissements sont alimentaires ou bilieux et les selles sont décrites comme normales. On ne retrouve aucune notion de voyage à l'étranger. Dès l'apparition des premiers symptômes, il a pris des douches chaudes pendant des heures, seule manière de calmer ses symptômes.
À l’examen, l'abdomen est visuellement normal et sans cicatrices. Il défend dans son ensemble, mais devient progressivement relâché et souple, sans tympanisme ou défense focale. Vous constatez une sensibilité épigastrique diffuse. Le péristaltisme est actif dans tous les quadrants. Les paramètres biologiques ne retrouvent qu’une hyperleucocytose modérée à 19.000/mm3.
Le traitement initial consiste en une perfusion courte de paracétamol sans effet significatif. Seul le recours aux opiacés permet un certain soulagement des plaintes douloureuses abdominales. L’état du patient reste cependant médiocre et inchangé. L’antalgie même à palier croissante n'a aucun effet ou n'entraîne qu'une réduction à court terme de l'intensité des symptômes.
Durant la relève, le médecin de garde surprend le patient en train de fumer de l'herbe dans l'enceinte du service. Il pose le diagnostic présumé de syndrome hyper-émétique cannabinoïde (SHC).
Le cannabis a un effet antiémétique. Il agit principalement sur deux récepteurs : CB1 et CB2 (hypothalamus, hippocampe, cervelet). Le CB1 se trouve également dans le tractus gastro-intestinal où il réduit la motilité, diminue la production d'acide gastrique et relaxe le sphincter œsophagien.
La consommation chronique de cannabis semble stimuler en permanence le CB1 et in fine contrecarrer son effet antiémétique sur le SNC. Le THC (delta-9-tétrahydrocannabinol) étant très lipophile, il est possible qu'il s'accumule, entraînant une réexposition constante et donc un effet persistant. Dans les modèles animaux, de faibles doses de THC ont montré un effet antiémétique, de fortes doses ont au contraire entraîné des nausées.
Les critères cliniques du SCH sont selon Simonetto et al. 1 :
Par ailleurs, n’oubliez pas qu’il n’y a pas que les joints…
Les cannabinoïdes se trouvent facilement sur le marché et sous plusieurs formes : sachets, excipients des doses de cocaïne, space-cake, etc.
Notes :
1. Simonetto DA, et al. Cannabinoid hyperemesis: a case series of 98 patients. Mayo Clinic Proceedings. 2012;87(2):114-9.
2. Dean DJ, Sabagha N, Rose K, et al. A Pilot Trial of Topical Capsaicin Cream for Treatment of Cannabinoid Hyperemesis Syndrome. 2020;27(11):1166-72.
Références :
- Galli JA, Sawaya RA, Friedenberg FK. Cannabinoid hyperemesis syndrome. Curr Drug Abuse Rev. 2011;4(4):241-9.
- Chu F, Cascella M. Cannabinoid Hyperemesis Syndrome. [Updated 2020 Jul 4]. In: StatPearls [Internet]. Treasure Island (FL): StatPearls Publishing; 2020
- Jan.Wagner S, et al. Efficacy and safety of topical capsaicin for cannabinoid hyperemesis syndrome in the emergency department. Clinical Toxicology 2019: 1-5.
- Ruberto AJ, Sivilotti MLA, Forrester S, et al. Intravenous Haloperidol Versus Ondansetron for Cannabis Hyperemesis Syndrome (HaVOC): A Randomized, Controlled Trial. Ann Emerg Med. 2020;S0196-0644(20)30666-1.
Liens d'intérêts
Le professeur Peschanski déclare les liens d'intérêts suivants :
- sur les trois dernières années : Vygon SA (consultant), Fisher&Paykel (symposium), AstraZeneca (symposium)
- sur les vingt dernières années :
Symposiums : Fisher&Paykel Healthcare , AstraZeneca, Lilly, Sanofi, Daiichi-Sankyo, HeartScape, The Medicine Company, Thermofisher, Roche Diagnostics
Boards : Bayer, AstraZeneca, Vygon SA, Portola USA, Sanofi, Boehringer Ingelheim
Congrès : Lilly, Sanofi, Vygon SA, Portola, Roche Diagnostics, Thermofisher
Fonds de recherche (non personnels) : Servier, Boehringer Ingelhei