Modernisation du système de santé italien : entre ambition et approximations

La crise sanitaire fut un crash-test pour le système de santé italien. Une réforme d'envergure est attendue, qui mettra l'accent sur les soins de proximité et le développement du numérique. Le projet est ambitieux mais certains détails pourraient le compromettre : approximations, optimisme déraisonnable, oubli des retours d'expériences... Analyse du Dr Usuelli, pédiatre et conseiller régional de Lombardie.



«Recovery Plan» est le nom du Plan national de relance et de résilience (PNRR) que l'Italie doit présenter à la Commission européenne, comme tous les États membres, avant le 30 avril 2021. Elle pourra ainsi bénéficier du fonds spécial Next Generation UE, qui vise à soutenir la reprise économique des pays européens au cours des trois prochaines années.

Ce plan de relance italien met l'accent sur la révolution verte et la transition écologique (budget de 69,8 milliards d’euros). La «mission Santé» recevra quant à elle 20 milliards d’euros. Son objectif principal : développer le numérique et renforcer les soins de santé territoriaux, pour limiter les disparités entre les régions. Création de maisons de santé médico-sociales, maintien des patients à domicile, modernisation des hôpitaux… Un plan ambitieux, mais qui présente déjà des lacunes [les données suivantes sont toutes issues du document officiel de présentation du Recovery Plan, rédigé en anglais].

Le service national de santé italien garantit la santé comme un droit fondamental tout en parvenant à contenir les dépenses de santé. Ses résultats sont bons, comme en témoignent une espérance de vie à la naissance plus élevée que la moyenne des pays de l'OCDE, et une mortalité inférieure. Mais cette réussite est fragile : 

Vieillissement de la population, investissements limités réalisés par le passé… La pression sur le système de santé est de plus en plus forte et l’offre de soins peine à suivre.



Le crash-test de la pandémie

La crise sanitaire a mis en lumière des difficultés structurelles du sytème de santé national. 



Cap sur les soins de proximité 

Pour rester efficient sur tout le territoire italien, le système de santé mise sur le développement des soins communautaires (hôpitaux locaux et maisons de santé), des soins à domicile et sur la télémédecine. 

Le plan de relance prévoit la construction de 2.575 maisons de santé, qui seront le point de référence sur le territoire pour les problèmes sociaux et sanitaires. Ces structures filtreront  l'accès aux hôpitaux et coordonneront les soins pour les patients chroniques. Outre un médecin généraliste et une infirmière, elles seront dotées d’une personne chargée d’activer les parcours de santé appropriés. 

Concernant les hôpitaux, il seront dotés d’équipements modernes, de technologies numériques… et mis aux normes anti-sismiques. La pandémie a rappelé à quel point ces bâtiments sont stratégiques : ils doivent non seulement résister en cas de tremblement de terre, mais aussi rester opérationnels. 675 hôpitaux sont concernés. 

Nous l’avons vu, l’axe prioritaire de ce plan de relance est la transition écologique. La mission «Santé» intègre cette logique. Miser sur des soins de proximité, cela réduit le recours aux hôpitaux, donc la pollution engendrée par les déplacements. Le renouvellement de l'efficacité énergétique des infrastructures et des équipements obéit à la même logique. 



La transition numérique

Autre leçon tirée de la pandémie, l’indispensable modernisation des hôpitaux. Le plan prévoit l’achat de 2.648 dispositifs médicaux et le passage au numérique de 177 services de soins d'urgence de premier niveau.

Passer au numérique, c’est la priorité absolue du système de santé italien. Tous les secteurs sont concernés : 



Un projet ambitieux, parfois approximatif

Michele Usuelli est pédiatre. Il exerce dans un service de soins intensifs en néonatologie à Milan. Il est également conseiller régional de Lombardie, spécilaiste depuis trois ans des liens hôpital-territoire. Nous lui avons demandé son avis sur ce plan de relance. 

«Ma première impression est que ce document de cinquante pages écrites en anglais, qui redessine les soins de santé en Italie dans un avenir proche, ne fait pas beaucoup parler de lui. Je ne pense pas que quiconque dans le secteur de la santé en a pris connaissance. Le schéma général est très bon, mais, à mon avis, il y a des erreurs, encore corrigibles, qui peuvent faire la différence entre une planification efficace et un coup d’épée dans l'eau». 

Concernant la médecine de proximité, le Dr Usuelli constate que les trois entités qui en seront le socle – hôpitaux communautaires, maisons de santé et soins à domicile –sont censées «fonctionner comme des vases communicants». Mais il s'interroge. Comment feront-ils ? Cela n’est pas indiqué.  

Michele Usuelli s’étonne aussi des chiffres annoncés. «D'où vient ce chiffre de 2.575 maisons de santé ? Une pour 23.000 habitants, cela semble trop. En Émilie-Romagne, il y en a un pour 40 000 habitants». Dans un rapport précédent, il était question d’une maison de santé par district sanitaire, soit 60.000 personnes.

Idem pour les hôpitaux communautaires. «Il y en aura 753, soit 1 pour 80.000 habitants. Comment ce chiffre a-t-il été obtenu ? Ils semblent trop nombreux, ils seront probablement de taille restreinte et nous aurons du mal à trouver suffisamment de personnel pour y travailler». Le risque, c’est qu’in fine la moitié des usagers d'une maison de santé devra aller dans un hôpital communautaire et l'autre moitié dans un autre hôpital, parce que le calcul aura été mal fait. Pour Michele Usuelli, la personne qui sera chargée au sein de l’Union européenne d’évaluer ces chiffres estimera que le calcul ne part pas des besoins du terrain, mais vise à atteindre le montant annoncé de 7 milliards d’euros. 



Quelques leçons à  tirer

Autre incohérence, ce plan semble partir d’une situation «zéro». Michele Usuelli rappelle que certaines expérimentations ont déjà été faites. «Par exemple, nous devons partir du principe que les médecins généralistes ne décident pas spontanément de travailler dans une maison de santé. Nous avons besoin de mécanismes d'incitation». En effet, une étude a montré que les régions italiennes qui ont réussi à attirer les médecins dans ces structures sont celles qui ont fourni le plus d'incitations : pas de loyer, pas de salaire à verser aux collaborateurs...«Or, pour les médecins généralistes de Lombardie, il y a peu d'incitations à travailler, ni du point de vue économique, ni du point de vue professionnel.» Dans le plan de relance, il n'y a rien sur la formation des médecins ou ces incitations. Résultat : «Le risque est que les maisons de santé restent vides». 

Le constat est semblable s’agissant des assistants sociaux. En Lombardie, il existe treize centres censés être «médico-sociaux». Mais aucun assistant social n’y travaille. Là encore, Michele Usuelli est sceptique : est-ce au médecin ou à l’infirmière d’interrompre son activité pour s’occuper de ces prises en charge sociales, sans avoir les compétences pour le faire ?

La modernisation des équipements semble évidemment être une bonne idée, mais là aussi les modalités prévues étonnent le Dr Usuelli. «Le document dit en substance que s'il y a 80 scanners anciens, nous devons en acheter 80 neufs. Ce raisonnement n'est pas le bon. Il faut d'abord analyser les besoins actuels et faire une prévision des besoins futurs. De combien de scanners avons-nous besoin aujourd'hui ? 60, 80 ou 120 ? Et combien dans un ou cinq ans ? Un document de planification des investissements ne peut pas faire l’impasse sur ce raisonnement». 



Le casse-tête de la régionalisation

Autre exemple, à propos  des données de santé. Le document évoque la possibilité de les rendre accessibles depuis un autre État européen. Michele Usuelli constate l’ampleur de la tâche : «Aujourd'hui, nous avons des bases de données qui ne se parlent pas entre elles, parfois dans un même hôpital». Ce point est emblématique des difficultés qui attendent l’Italie, dont les régions tendent à agir de manière autonome

Michele Usuelli donne deux exemples. D’abord, celui d’un de ses collègues, urgentiste. «Il est allé travailler à Crotone [sud-est de l’Italie] et c'est là qu'il a reçu sa première dose de vaccin Covid-19. Lorsqu'il est rentré à Milan, il a bien cru qu’il n’obtiendrait jamais la deuxième dose».

L’autre exemple concerne la médecine pénitentiaire. «Chaque région a son propre système. Lorsqu'un détenu est transféré d'une prison à l'autre, et cela est fréquent, le médecin pénitentiaire s’arrache les cheveux pour récupérer le dossier médical». Cette fragmentation existe même au sein d'une région. En Lombardie, chaque hôpital a pu choisir son propre logiciel de gestion des lits. Ce sont le plus souvent des systèmes fermés qui ne partagent pas d'informations avec les autres logiciels. 

Enfin, le Dr Usuelli met en garde contre le mirage de la télémédecine, présentée comme une panacée par les politiciens. «C’est un concept très attrayant pour ceux qui ne connaissent rien ou presque de la médecine (...) Et pour de nombreux médecins, la télémédecine, c’est l'appel vidéo passé au patient». De même, le document de présentation du plan de relance évoque volontiers l'intelligence artificielle ou le Big Data mais sans les définir ni préciser leur champ d'application. «Ce document en discussion a une excellente structure, mais certains détails risquent de le rendre inefficace», conclut Michele Usuelli. 



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