«Sarei felice se tu pubblicassi i miei tweet !»
[Je serais vraiment heureuse que tu publies mes tweets !]
La Doc est une jeune anesthésiste italienne. Elle travaille dans la région des Marches, à l'est de Florence. Comme tant d'autres médecins d'Italie, d'Espagne, de France ou d'ailleurs, elle s'occupe des patients COVID-19 les plus critiques. Nous reproduisons ses mots jetés sur Twitter, avec son accord. Voici son histoire, une histoire de brancards entassés, d’heures sans fin, de collègues infectés, de colères et de joie. C’est aussi une histoire à l’italienne, avec Pâques et des pâtes, avec Annunziata qui s’accroche et Matteo Salvini qui dévale.
Du 22 février au 28 mars défilent ses journées, semblables et écrasantes, à peine rythmées par la fatigue, la peur, et quelques éclats de vie. Sa vie se résume aux heures passées dans le service. Chez elle, elle n’a que le temps d’une douche, d’une caresse à sa chienne, et d’un peu de repos hâché de ces pensées sombres qui poinçonnent l’âme et le cœur. Tout le reste, la vie, la vraie vie, la famille, les amis et l’amour, tout est suspendu.
D’abord vous faites les fanatiques : «Les virus sont une invention des compagnies pharmaceutiques». Et maintenant que le virus arrive en Italie - comme c'était inévitable sans quarantaine appropriée - vous paniquez et vous répandez la panique…
Chapeau bas, les scientifiques version 2020.
On nous explique pourquoi personne ne répond au 1500 [numéro vert d’information Covid-19]. Les lignes étaient brouillées. Alors les gens vont aux urgences…
Je vois qu’on gère bien cette crise.
Allez vous faire foutre !
Il y a une crise #COVID19 et vous partez en vacances au ski.
[Ces jours-là, les stations de ski étaient pleines, malgré la quarantaine instaurée en Lombardie pour les personnes testées positives et les personnes contacts].
Si on n'est pas en première ligne, on ne va pas s'amuser.
Ça fait 16 heures que je suis à l’hôpital.
Et toi, Salvini, ça va, tout va bien sur les pistes ?
[Matteo Salvini était lui aussi au ski].
Si on ne meurt pas du coronavirus, ce sera d'épuisement.
Quoi qu’on dise, le patient d’aujourd'hui est jeune. Jeune et sans comorbidité. Alors on arrête les conneries. Ne paniquez pas, mais ne faites pas de conneries.
Le prochain qui dit «Tout est sous contrôle» à la télévision - alors que j’assure comme je peux toutes les gardes de mes collègues mis en isolement - je me jette par terre et je me mets à hurler.
Hier, mes collègues et moi étions accusés d’alarmisme.
Aujourd'hui, à la télévision, on parle enfin de l'insuffisance de lits et de personnel dans les unités de soins intensifs.
Attention au contacts étroits, aux mains, au PORTABLE. Désinfectez toujours tout.
Nous sommes prêts pour mettre en place une aile entière du service pour les patients COVID-19.
Nous ne sommes pas assez, mais nous ne pouvons pas nous arrêter.
Ce soir, c’est l'anniversaire de ma petite chienne. Alors je débranche mon cerveau.
Dès que j'ai reçu le résultat positif du test d’un patient que j’avais vu aux urgences, j'ai enfilé les EPI.
Je me suis fait insulter par le médecin des urgences : «Vous utilisez les EPI n’importe comment, vous n'avez eu de contact avec personne.»
Chers collègues, ne sous-estimez jamais une fièvre et/ou une insuffisance respiratoire !
Ce soleil vous met de bonne humeur ! Prêts, partez !
Aujourd’hui, tout l'enfer s’est déchaîné.
Nous, médecins, n’avons pas de restrictions particulières. Mais nous n'avons plus de vie sociale.
Je vais enfin me coucher. Je reçois ce message d'une collègue en isolement à la maison :
«Je suis en colère, parce que j'aimerais être là pour vous aider et je ne peux pas.»
Le problème, c'est pas les embauches. C'est qu'il n'y a plus d’anesthésistes.
Lors du dernier recrutement, seuls quatre se sont présentés pour six places.
Ça fait des années que la santé et l'université sont gérés de manière totalement malsaine.
Maintenant, nous en payons le prix. Et ça nous coûte très cher.
Quel titre !
«Le document secret pour décider qui sauver. Directives choc pour les médecins»
Tellement secret qu’il est accessible à tous sur Google…
[À propos d’un document de la SIIARTI, équivalent de la SFAR, pour aider les médecins confrontés au choix des patients à admettre en réa].
J'ai des escarres sur le nez, à cause du masque. Je ne sais pas combien de temps nous allons tenir comme ça.
Je constate avec joie que nos amies femmes n'ont pas renoncé aux grandes tablées pour fêter le 8 mars [journée internationale du droit des femmes].
Quelle partie de la phrase #StateACasa n’est pas claire ? !
Les premiers collègues Covid+… Je suis désespérée.
Une journée si intense que j'ai oublié que j'aurais dû mesurer ma température.
Cette angoisse, chaque matin, je me rends à l'hôpital et je pense «Qui sait ce qu'on va devenir ?»
Ça passera.
Nous sommes en vie. À moitié cassés mais vivants.
Aujourd'hui, un patient que nous prenons en charge dans le service parce que nous n'avons pas de place en réa m’a pris la main et a murmuré, la peur dans les yeux : «Ne me quitte pas».
Non, je ne te quitte pas. Je ne te laisserai jamais, même si le monde s'effondre.
J'ai sommeil. Tellement, tellement sommeil.
«Pouvez-vous parler à mon fils au téléphone ? Je n'ai pas assez de souffle. Dites-lui de ne pas s'inquiéter pour moi».
Je lui ai parlé. Puis je me suis enfermée dans la salle de bains, le visage ravagé, et j'ai pleuré.
J'ai pleuré toutes les larmes que j’avais.
Je suis sortie des toilettes, ma collègue me regardait : «Je voudrais te serrer dans mes bras, mais bordel, je ne peux même pas.» S'il elle m'avait dit cela autrefois, je ne l’aurais jamais crue.
«Si vous pouvez guérir, soignez ; si vous ne pouvez pas guérir, soulagez la douleur ; si vous ne pouvez pas soulager la douleur, réconfortez.»
Oublions nos angoisses et nos peurs.
Oublions aussi nos espoirs, qui ne sont pas toujours bons pour nous.
Faisons avec ce que nous avons, et affrontons ces 12 prochaines heures avec le sourire.
Je termine cette semaine après 66 heures de travail. N'abandonnons pas. Ni nous, ni vous.
J'ai toujours eu trop foi en l’humanité.
[Dessin reçu en réponse, peu après]
«D’Emma, 10 ans. Pour vous.»
Une belle surprise en arrivant dans le service !
Nous finirons tous avec un syndrome de stress post-traumatique.
Nous faisons déjà des cauchemars, qui nous volent nos quelques heures de sommeil quotidiennes.
Sur une photo prise à Wuhan, lors de la sortie du dernier patient après 70 jours d’épidémie, tous portaient des combinaisons de type Ebola. Nous, après deux semaines, nous devons jouer à Art Attack [émission de bricolage sur enfants, sur Disney Junior] chaque fois que nous devons mettre les EPI.
Oui, on va s'en sortir. Mais il y aura de graves responsabilités.
On parle des appels vidéo pour tous les patients hospitalisés. Mais rien ne peut remplacer la chaleur d'une étreinte. C'est la seule chose qu'ils voudraient vraiment. Et une fois de plus on se sent inutile.
C'est la première raison pour laquelle je déteste cette merde de Sars-CoV-2. Ça te laisse seul. Complètement seul.
J’ai pris 10 minutes pour lire Twitter. Je suis stupéfaite de voir l'ignorance des gens qui râlent parce qu'ils doivent rester à l'intérieur.
Pire encore, l'instrumentalisation politique. Je ne pensais pas qu’on puisse être aussi stupide et ignorant.
Premiers patients qui quittent la réa. Nous avons tous besoin de bonnes nouvelles. Passez un bon dimanche !
Et pourtant, j'ai de la chance, parce que j'aime mon travail à la folie.
Aujourd'hui, j'ai parlé une demi-heure avec Annunziata. Elle refusait de mettre un casque CPAP.
Je lui ai demandé de me parler de ses petits-enfants, des anniversaires, des pâtes qu'elle prépare à la main.
À l'idée d'une belle tablée, en famille, elle a accepté de se faire aider. Quelle joie !
Et puis elle m'a fait promettre d'aller chez elle et de les goûter, ses pâtes.
Une fois de plus, c’est très difficile de retenir les larmes.
#quandonpourrasortir [#quandoriusciamo]
Je veux aller voir ma famille. Et la remercier.
Car, même aussi loin, je ne me suis jamais sentie aussi proche d'elle que maintenant.
Un dimanche à la maison. Enfin. Un peu de temps pour me recharger l'âme.
Fatiguée. Je pense que je vais m’effondrer pendant les transmissions.
L'histoire de S : 25 jours d’hospitalisation, deux arrêts cardiaques. Aujourd’hui il sort de réa.
Les larmes de joie de sa femme, au téléphone, qui font tant de bien.
Merci à la pâtisserie Luigi 😋😋 Votre affection nous émeut ! 💓
Triste et démoralisée aujourd’hui. Les contaminations sont en baisse, c'est vrai. Mais nos patients sont devenus notre famille. Nous donnons tout pour eux.
Ce virus nous obligent à me battre, mais on ne voit pas les résultats.
Un collègue a envoyé une photo : dans une salle de réanimation, une patiente réveillée, avec une trachéotomie, regarde un dessin animé projeté sur un écran.
Des soins si humains, et tant de sourires. Ceux des patients, et les nôtres.
«Une joie partagée est une joie doublée.
Une douleur partagée est une douleur réduite de moitié.» (proverbe suédois).
Merci #Ferrero de rendre ces jours plus légers. C'est Pâques pour tout le monde ! 💓
Désolée d'être absente… Des journées trop remplies.
Mais nous sommes vivants. Et malgré la fatigue, la douleur, le découragement, tant d’entre vous font en sorte que l’on ne sente pas seuls. C'est merveilleux. Cela nous réchauffe le cœur.
En ce samedi de Pâques, cette nuit où le Christ a vaincu la mort, je veux penser à tous ceux qui ont réussi, qui ont pu de nouveau parler à leurs proches. À ceux qui sont rentrés chez eux. À ceux qui souffrent encore. Que ce soit une résurrection pour tous.
Lorsque vous faites sortir un patient de réa, c’est ce mélange de joie et de peur.
Un peu comme lorsque votre enfant monte pour la première fois sur une moto : vous espérez que tout ira bien, que vous n’aurez pas de mauvaises nouvelles.
Ce patient qui m’avait dit : «Ne me quitte pas.»
Il avait fini en réa. Le sevrage a été long et difficile. IL EST RENTRÉ À LA MAISON.
Je ne peux pas m'arrêter de pleurer.
J'ai oublié de souhaiter un bon anniversaire à mon oncle. Cela ne s’était jamais produit.
J'ai complètement perdu le contact avec la réalité.
Pourtant, c’est vous qui croyez que nous sommes les complices d'un système qui a créé le virus dans un laboratoire.
Pour beaucoup d'entre vous, ce coronavirus ne semble pas exister : les contacts, les rencontres, les bavardages entre amis... Et puis, les morts. Le virus ne s'arrête pas.
Une mauvaise gestion de la deuxième phase entrainera une reprise de la pandémie, et un effondrement économique.
(Traduction : Benoît Blanquart)