Ma vie d’étudiant – SAMU, une nuit de septembre

C'est une nuit pluvieuse qui enveloppe Rennes. Dans le SMUR, Maxime accompagne pour la première fois Cathy, Julie, Édouard et Nicolas. L'étudiant en médecine entre par la petite porte dans le bal des urgentistes. Entre drames et routine, silences et accélérations, les heures et les gestes s'enchaînent, toujours intenses mais toujours fluides.



Nous publions ici, avec son accord, le Journal Club que le Pr Nicolas Peschanski * propose à ses étudiant.e.s afin de leur présenter certaines études relatives à sa spécialité. Nous l'en remercions chaleureusement.

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Aujourd’hui, pas de Journal Club mais le témoignage d’un étudiant de 3e année venu découvrir l’activité d’un SAMU-SMUR. L’occasion d’avoir un regard curieux mais novice sur notre activité, et une excellente source d’enseignement et d’analyse objective de notre activité quotidienne.

Merci Maxime !

(les autres prénoms - sauf le mien - ont été modifiés pour respecter l’anonymat).


Maxime a 35 ans. Diplômé en masso-kinésithérapie en 2010, il a repris le cursus médical à Rennes en 2019 en 2e année via la passerelle santé. Passionné par la pédagogie et titulaire d’un Master 2 en Sciences de l'Éducation, il a enseigné depuis l’obtention de son diplôme d’État.
 


Fabien, mon copain infirmier, connaît les gardes de nuit. Avant d’enfourcher Pégase – ma vespa – en direction du SAMU de Rennes, j’ai donc fait ce qu’il m’a conseillé : une sieste.

D’habitude, ce genre de stage avec le SAMU se fait en 5e ou 6e année. J’ai tenté le coup dès ma rentrée en 3e année. Le chef de service a accepté que j’accompagne une équipe pour découvrir l’activité. Peut-être parce que je ne suis plus tout jeune, moi qui avant de faire Médecine ai eu une autre vie.   

Est-ce que la victime simule ? Julie, l’infirmière assise dans le SMUR à côté de moi en a vu tant, des «crises d’épilepsie» qui se sont révélées être des crises de tétanie, spasmophilie, anxiété ou hyperventilation. Elle semble un peu blasée de partir pour ce genre d’intervention. Fallait-il vraiment  déplacer une équipe médicale ? Je dois dire que sa réaction me déçoit un peu.

La jeune fille prise de tremblements a 17 ans. Sophie, la médecin régulateur qui a traité l’appel, a pu la voir en visio grâce au smartphone du père de la victime. Expérimentée, toujours calme, Sophie a préféré ne pas écarter l’hypothèse d’une réelle crise d’épilepsie. Nous partons pour ce qui sera ma première intervention.



Toutes sirènes hurlantes

Je le sais, ma présence ne sert pas à grand-chose. J’adopte pourtant une attitude professionnelle en me calquant sur le comportement des professionnels que j’accompagne. J’ai les sens en éveil, conscient qu’il y a urgence à ce que nous arrivions. Malgré la pluie drue nous voici à 180 km/h sur la rocade de Rennes, toutes sirènes hurlantes. Pour un «bleu» comme moi, le calme et le silence dans l’habitacle sont presque pesants. 

Elle a vomi, un peu. Allongée sur le carrelage, dans l’entrée, la jeune fille tremble de ses quatre membres. Ses jambes sont sans cesse parcourues de spasmes. Elle répond aux questions simples et serre nos mains à la demande : nous pouvons maintenant commencer à écarter l’hypothèse d’une crise tonico-clonique.

Le temps passe. Édouard – interne en 4e année d’anesthésie-réanimation au tempérament bonhomme – tente de sortir notre patiente de sa torpeur. Julie prend le relais, l’aide à se lever et la fait asseoir tant bien que mal dans le canapé du salon.

Il faut du temps, encore. La jeune femme se calme grâce aux douces paroles de Julie. Sa respiration s’apaise, les contractions aussi. Elle reprend contact avec son environnement et nous observe. Édouard est assis à table avec les parents ; il liste les éléments de gravité qui doivent les inciter à rappeler le SAMU. Nous repartons.

À peine revenu dans le service je repars avec la deuxième équipe, devenue en notre absence l’équipe de premier départ. Nicolas, la cinquantaine, est devenu professeur de médecine d’urgence sur le tard. Il est surtout un urgentiste aguerri, serein et amical.

Idem pour Cathy, l’infirmière anesthésiste, qui me rappelle de prendre une parka réfléchissante ; nous partons sur un accident de la voie publique, il fait nuit et il pleut, je dois être visible.

En vingt minutes nous avalons quarante kilomètres et rejoignons sur place une équipe du SAMU de Fougères. Ils essaient d’intuber un jeune homme, 17 ans lui aussi. Victime, seul, d’un accident en mobylette, il a pu appeler les secours juste après son accident. Instinct de survie... Le voici enfin intubé, sédaté, installé dans le véhicule des pompiers.

Casque détruit, traumatisme crânien, fracture des fémurs dont une légèrement ouverte au niveau du genou. Les deux fractures ont été réduites rapidement pour éviter les complications. Nous prenons le relais de l’équipe de Fougères et ramenons le patient à Rennes. C’est  la valse du matériel, nous remplaçons le matériel des collègues par le nôtre : moniteur, respirateur, pousses-seringues électriques.

Avec Nicolas et Cathy nous restons près du patient dans le véhicule des pompiers. Serge, notre adorable ambulancier, nous suit avec le monospace. Direction le «trauma center» des Urgences du CHU de Rennes. Nous finissons de conditionner le patient, prenons ses constantes. «Nous» car Cathy me demande de prendre la température du patient. Anodin, peut-être, mais je suis ravi d’effectuer mon premier geste de la soirée !

Sur la route, nous discutons avec Nicolas et Cathy de nos parcours respectifs. Elle s’étonne de voir un étudiant de 3e année en garde SMUR. Je lui explique comment j’y suis parvenu : beaucoup de motivation et un peu de culot.

Arrivés aux Urgences de l’hôpital Pontchaillou nous transférons le patient avec tout le matériel dans le trauma center, vaste salle double de déchoquage dotée de tout le matériel de réanimation avancée. L’équipe des urgences s’affaire déjà : rasage des poils en vue de la chirurgie, installation de l’appareil de radiographie portable, relais des médicaments anesthésiants, etc.

Serge et moi nettoyons notre matériel puis repartons vers le SAMU. Chacun de nos déplacements est autonome : nous ne laissons aucun matériel sur place et devons être prêts à repartir à chaque instant.

On me propose à chaque fois d’intégrer l’équipe de premier départ. Je pourrais bien sûr passer mon tour mais cette fois-ci… «C’est un arrêt». Un arrêt cardiaque, je ne veux pas rater ça.



Retiens la nuit

Il est fan de Johnny. Ça se voit dès que l’on arrive devant la porte de son appartement, recouverte d’une photo du chanteur. Un peu de sang a coulé sous sa tête, sur le sol. Un pompier lui fait un massage cardiaque, un autre aspire dans sa bouche avec une sonde. Cathy s’affaire avec la boîte qui contient les aiguilles, les seringues et tout le matériel «circulatoire». À ce moment précis du sang commence à sortir de la bouche du patient au rythme des compressions toraciques.

Rupture de varices œsophagiennes. Édouard demande l’arrêt du massage cardiaque qui ne peut qu’accélérer le désamorçage. Diabétique en rupture de traitement et gros consommateur d’alcool, l’homme avait 60 ans. Il vient de rejoindre son idole. Édouard me demande si ça va.

Oui, ça va. Parce que j’ai déjà vu des personnes décédées dans un contexte médical. Et parce que c’est plus simple d’accepter la mort d’un patient lorsqu’elle est explicable, presque logique. Comme si la mise à distance était plus facile.

Reste à prévenir l’amie et le voisin du patient qui sont dans la cuisine. Édouard s’en charge, au calme, seul avec eux. Puis il rédige le certificat de décès ainsi que le formulaire «Arrêt cardiaque» du SAMU pour détailler la prise en charge et les raisons apparentes qui ont conduit à son interruption. Édouard me demande si j’ai des questions ; j’explique ce que j’ai vu, ce que j’ai compris.

Pour chaque étape administrative, Édouard prend son temps. Pendant que Cathy et l’ambulancier s’impatientent, je m’attarde sur la décoration de l’appartement. Gobelet ramené d’un concert de Johnny, horloge et bol à son effigie, un magazine Salut les copains. Le patient arborait même des pattes à la Elvis.

L’appel suivant du régulateur, une heure trente plus tard, est aussi pour un arrêt cardiaque. Nous partons avec Cathy et Nicolas, direction Bruz à une vingtaine de kilomètres au sud de Rennes. Il pleut, encore. 

Nous montons au 6e étage. Cette fois-ci la victime a 69 ans. L’homme souffre d’une cardiopathie ischémique et depuis l’après-midi se plaignait d’une dyspnée. Lorsqu’il s’est effondré, le voisin alerté par la femme du patient a aussitôt commencé à masser. Depuis quinze minutes les pompiers ont pris le relais et installé leur défibrillateur. Le patient n’a donc pas eu de ​no flow, son sang n’a jamais cessé de circuler.

Nous branchons notre moniteur et faisons l’ECG. Le patient est en ​asystolie, un choc électrique ne servira à rien. À l’occasion, il faudra rappeler ceci aux scénaristes des séries télé sur le monde médical. Cathy pose une perfusion et nous commençons la première séquence adrénaline + massage cardiaque. Les minutes s’égrènent. Je prends le relais du pompier pour les compressions thoraciques. 2e séquence adrénaline + massage cardiaque.

La voix de Nicolas est calme, posée : « Cela fait 25 minutes que le patient est en ​low flow [que la circulation du sang n’est assurée que par le massage cardiaque], nous avons fait deux injections d’adrénaline, il est toujours en asystolie et aucun signe de reprisse. Nous pouvons  arrêter ». Il se lève et va annoncer le décès du patient à sa femme et son fils.

Nous rangeons le matériel, Cathy retire la perfusion, nous remettons le patient dans son lit. «Faudrait que je lui mette au moins son pyjama» réalise sa femme. Cathy lui demande de choisir des vêtements pour lui puis lui conseille d’attendre l’entreprise des pompes funèbres.

4h05, nouveau départ, dans Rennes, pour une douleur thoracique. C’est un des motifs les plus fréquents pour lequel le SMUR est dépêché. Le couple est âgé, 85 ans pour elle, 90 pour lui. Il ressent des douleurs depuis 2h du matin. Je rentre doucement dans la routine, portant le moniteur/défibrillateur pendant que les autres se  chargent des caisses de matériel.

L’homme est cardiaque depuis longtemps, porteur d’un stent. Son état général semble bon, l’ECG n’est pas inquiétant. Édouard décide de l’emmener aux urgences cardiologiques. Le patient proteste, mais nous restons fermes. Nous l’apprendrons ensuite : il y est connu comme le loup blanc, et les douleurs du même type qui l’y ont conduit n’ont jamais nécessité autre chose que du paracétamol. Dans son dossier médical, huit courriers des urgences cardiologiques précisent que ces douleurs ne sont pas un motif de transfert à l’hôpital.

6h40. De nouveau nous partons pour une douleur thoracique, cette fois-ci chez une femme de 50 ans. Elle vit avec sa fille, jeune adulte qui paraît très calme et responsable. Julie pose la perfusion, moi le brassard à tension. L’ECG et l’auscultation ne montrent rien d’anormal. Par contre, sa douleur augmente quand elle se penche en avant. Édouard soupçonne une péricardite et préfère amener la patiente aux urgences cardiologiques. Ces quatorze heures de garde touchent à leur fin. 

Vers 9h, nous nous quittons sur le parking du SAMU, je remonte sur Pégase et rentre à la maison.



Ce qu'il me reste de cette garde ?

D’abord, que j’ai eu beaucoup de chance de pouvoir vivre cette expérience extraordinaire. À la longue, peut-être finirais-je par la trouver banale, mais quand j’écris «banale» je sais bien que ce métier ne sera jamais commun, qu’il nous amène à faire des choses qui sortent du quotidien et parfois même de l’entendable.

Ensuite, pendant ces quatorze heures, je me suis senti «au cœur du réacteur», vivant une mission utile et essentielle aux côtés de professionnels toujours calmes et dont l’action est étonnamment fluide. Nulle anicroche, ni stress, ni précipitation. Entre eux, la solidarité est palpable, les relations sont chaleureuses. Ces équipes ont l’habitude de tourner et accueillent sans méfiance les nouvelles têtes.

Même si j’étais moi-même loin d’être indispensable, j’ai eu cette sensation, le temps d’une nuit, de me fondre dans le SAMU, dans son mouvement et dans tout ce qu’il apporte à la population. J’ai glané au passage quelques connaissances médicales et, plus précieux encore, une certaine connaissance de moi-même face à des situations délicates.

Deviendrai-je urgentiste ? Ce n’est pas certain. Les conditions de travail sont tellement exigeantes. Je sais par contre que je reviendrai à la médecine d’urgence au fil de mon cursus, pour m’asseoir de nouveau aux côtés d’une Julie, d’un Édouard, d’une Cathy, d’un Serge ou d’un Nicolas et filer dans la nuit toutes sirènes hurlantes.




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* Nicolas Peschanski est professeur de médecine d'urgence et praticien hospitalier au CHU de Rennes. Membre actif de longue date de la SFMU – avec six années passées au sein de la commission scientifique – il siège depuis 2020 à la commission des référentiels.
Le parcours international du Pr Peschanski, notamment aux USA, lui a permis de devenir membre de la Commission Internationale de l'American College of Emergency Physicians ainsi que du comité de pilotage de l'EMCREG-International (Emergency Medicine Cardiac Research and Education Group). Il fait également partie de l'Eusem (European Society for Emergency Medicine) et plus particulièrement de son comité «Web & social media».
Le Pr Peschanski est très attaché au principe de la FOAMed (Free Open Access Meducation - Partage en libre accès des ressources éducatives médicales). Il utilise les réseaux sociaux (@DocNikko) à des fins pédagogiques et de partage des connaissances en médecine d’urgence.


Liens d'intérêts
Le professeur Peschanski déclare les liens d'intérêts suivants :
- sur les trois dernières années : Vygon SA (consultant),  Fisher&Paykel (symposium), AstraZeneca (symposium)
- sur les vingt dernières années :
Symposiums : Fisher&Paykel Healthcare , AstraZeneca, Lilly, Sanofi, Daiichi-Sankyo, HeartScape, The Medicine Company, Thermofisher, Roche Diagnostics
Boards : Bayer, AstraZeneca, Vygon SA, Portola USA, Sanofi, Boehringer Ingelheim
Congrès : Lilly, Sanofi, Vygon SA, Portola, Roche Diagnostics, Thermofisher
Fonds de recherche (non personnels) : Servier, Boehringer Ingelhei