Loic Libot
Médecin urgentiste
Fondateur du Centre médical de soins immédiats du Grand Nancy et Épinal
Président de l’Aprusi
Loic Libot est médecin urgentiste depuis 15 ans. Il a créé en 2012 près de Nancy un Centre médical de soins immédiats. Il préside d’ailleurs l’Association pour la promotion et le regroupement des unités de soins immédiats (Aprusi).
En ces temps où chacun donne son avis sur la crise des urgences, notamment ceux qui n’y ont jamais mis les pieds et encore moins les mains… Entretien avec un homme de terrain, novateur et lucide.
C’est né du constat que 70 à 80 % des patients n’ont rien à faire aux urgences, et qu’ils y vont à défaut de trouver une autre solution. Souvent parce qu’ils ont peur de ne pas avoir un rendez-vous chez leur médecin traitant le lendemain. Donc, ils arrivent par leurs propres moyens, et ils rentrent chez eux après une consultation, parfois un examen. Autre constat : le modèle avec d’un côté des médecins généralistes isolés et de l’autre des énormes services d’urgence est complètement obsolète.
Donc nous sommes partis de là et nous avons monté une structure adossée à un centre d’imagerie, capable de prendre en charge ces urgences non vitales, sans rendez-vous, de 8h à 20h. C’est le même fonctionnement dans la quarantaine de centres similaires en France, qu’ils soient publics ou privés. On les trouve surtout dans les agglos de plus de 150 000 habitants. Parfois ce sont d’ailleurs des anciens services d’urgences de CH qui ont été reconvertis.
Dans notre centre, le personnel est composé de libéraux, 7 médecins et 6 infirmiers. Tous ont une expérience en service d’urgence, sauf un médecin généraliste qui vient juste de nous rejoindre. Pendant ses vacations il y a toujours un médecin urgentiste présent. Ça lui permet de se former, et lui nous apporte son expérience, sur les maladies chroniques par exemple.
Sutures, perfusions, ECG, contentions, nous savons faire et nous avons l’habitude. Donc nous prenons en charge la petite traumatologie, les douleurs abdominales, etc., et nous orientons si besoin. Mais dans 96 % des cas la personne rentre chez elle. Sur un plan juridique nous sommes une société interprofessionnelle de soins ambulatoires.
Sur l’année 2019 nous en accueillerons environ 25 000, et pourtant la majeure partie arrive seuls, de leur propre initiative. Ils ont entendu parler de nous, ou bien ils sont déjà venus. Nous avons fait récemment une enquête de satisfaction sur 1 mois : 97 % de nos patients sont très satisfaits, qu’il s’agisse du délai d’attente, de la prise en charge paramédicale ou médicale, etc. Donc ils reviennent.
Les médecins généralistes nous en adressent aussi de plus en plus, pour des soins auxquels ils sont peu habitués ou qui nécessitent de l’imagerie. Ils savent qu’ils recevront une synthèse dès la sortie du patient. Nous savons que les collègues généralistes sont tellement sous pression qu’ils ont rarement le temps de faire un courrier avec toutes les infos, alors on reprend les antécédents et on appelle la pharmacie si besoin. La généralisation du DMP rendra ces échanges plus fluides.
Encadrer les structure, les labelliser, garantir leur financement. En faire un modèle réplicable. Pour ça, il faut rassurer tout le monde. D’abord, le ministère. Nous avons rencontré des représentants, mais avec 40 centres l’Aprusi ne semble pas peser assez lourd pour faire émerger les centres de soins immédiats. En France, on est un peu les champions de la frilosité : tant qu’on n’a pas 20 ans de recul sur une innovation, on s’en méfie. Sauf que là, on n’a pas 20 ans devant nous avant que les urgences ne coulent. 20 jours peut-être. Ou alors c’est déjà trop tard.
Il faut aussi rassurer la population, pour lui faire changer ses habitudes. Si les personnes sont sûres d’être vues par un médecin le lendemain, d’avoir un bilan complet, elles n’iront plus emboliser les urgences avec des problèmes sans gravité immédiate. Ce sont les patients qui créent les filières de soins, et ça ne les amuse pas d'attendre 6h pour une entorse.
Les Centres de soins immédiats, c’est un modèle qui pourrait s’implanter en zones rurales. On y réfléchit. Il suffit d’un exercice partagé entre généralistes motivés et d’un plateau technique minimal avec un manip’ radio. Le tout coordonné par un infirmier par exemple. On pourrait envoyer les images à un radiologue pour une télé-expertise. Ça éviterait aux patients de faire 100 km.
En attendant, notre priorité c’est de nous faire connaître. Mais vu qu’en tant que libéraux nous ne pouvons pas faire de pub, nous comptons sur le bouche à oreille. Dans l’idéal, il faudrait que le 116 117 et le 15 nous adressent des patients. Mais on sait bien que tant que la T2A sera appliquée, le 15 enverra les personnes vers l’hôpital public en priorité.
Pour les patients, c’est simple, le coût est identique : nous sommes en secteur 1 et nous pratiquons le tiers payant sur la part obligatoire. Pour la société, l’économie est évidente*. Mais pour que notre modèle se développe, il nous faudrait un forfait spécifique, en plus de la consultation à 25 euros, pour englober les locaux, le matériel, le personnel. Notre activité est spécifique : pas moyen de déléguer les rendez-vous à Doctolib, il nous faut un secrétariat physique. Aux urgences, en plus de la consultation le patient paie un forfait ATU de 25 euros environ. Nous, on souhaiterait un forfait d’une vingtaine d’euros.
Pour ouvrir ce type de structure, il faut embaucher des personnes souvent issues de l'hôpital public et qui prennent le risque de renoncer au salariat. Sans garantie financière, elles hésitent. À Nancy, nous sommes soutenus par l’ARS, via un fond FIR. C’est un bon début, mais ce n’est ni suffisant ni pérenne. Notre activité augmente de 15 % par an, mais le fond est lui remis en question chaque année.
Améliorer l'organisation actuelle des soins d’urgence, voilà ce que l’on fait concrètement dans les Centres de soins immédiats. Pour pouvoir le faire à plus grande échelle, nous sommes ouverts à toutes les idées, tous les partenariats.
*D’après la Cnam, le coût moyen global d'un passage aux urgences est estimé à 227 euros (source Sénat.fr)