Lipides membranaires et manifestations de la schizophrénie

La schizophrénie est un trouble psychotique multifactoriel caractérisé par des anomalies cognitives et une détérioration fonctionnelle cérébrale. Ces caractéristiques sont très variables d’un individu schizophrène à l’autre, donnant lieu à une grande hétérogénéité clinique. Contexte L’hypothèse lipidique de la schizophrénie évoque une susceptibi

La schizophrénie est un trouble psychotique multifactoriel caractérisé par des anomalies cognitives et une détérioration fonctionnelle cérébrale. Ces caractéristiques sont très variables d’un individu schizophrène à l’autre, donnant lieu à une grande hétérogénéité clinique.

Contexte

L’hypothèse lipidique de la schizophrénie évoque une susceptibilité à la pathologie par un dérèglement du métabolisme des acides gras. Les avancées techniques en lipidomique permettent d’investiguer davantage cette hypothèse. La composition lipidiques des membranes du cerveau est gouvernée localement ainsi que par des mécanismes globaux au corps humain. Ainsi, les changements dynamiques de composition membranaire dans le cerveau peuvent être évalués indirectement dans des cellules périphériques comme les érythrocytes. Des études animales ont mis en évidence une interruption du dysfonctionnement de la transmission dopaminergique associée à un métabolisme lipidique anormal.

Etude et méthodes

Une étude lipidomique des membranes de globules rouges de patients atteints de schizophrénie chronique a été récemment conduite afin d’identifier des groupements anormaux de lipides membranaires associés à la schizophrénie, et particulièrement à la symptomatologie liée à la dopamine, et potentiellement d’identifier des sous-populations de patients (DOI: 10.1038/tp.2016.142). L’étude a concerné 74 patients schizophrènes (SCZ) cliniquement stables et sous traitement antipsychotique, et 40 contrôles sains (HC) appariés en âge et niveau d’éducation. Les critères d’exclusion comprennent les traitements du cholestérol et les supplémentations alimentaires à base d’acides gras poly-insaturés (AGPI). Les habitudes de consommation des participants ont été évaluées par un questionnaire alimentaire. La psychopathologie et le fonctionnement général ont été mesurés par l’échelle des symptômes positifs et négatifs (PANSS), l’échelle d’évaluation globale du fonctionnement (GAF) et l’échelle d’impression clinique globale (CGI). La cognition a été évaluée par les tests de performance continue (CPT-AX), d’attribution de saillance (SAT) et de classement de cartes du Wisconsin (WCST). L’analyse de composition des membranes de globule rouge comprend les classes principales de lipides: phosphatidylcholine (PC), phosphatidylsérine (PS), sphingomyéline (SM), phosphatidyléthanolamine (PE, monoacyl PE: LPE et diacyl PE: DPE) et PE plasmalogène.

Résultats

Les groupes SCZ et HC sont similaires en termes de caractéristiques démographiques (âge, sexe et niveau d’éducation). Une différence de composition lipidique des membranes de globules rouges est observée chez les patients SCZ (baisse des SM: 27.38 vs 30.59% et hausse des PS: 8.73 vs 6.64%, p=0.001). Le diagnostic de la schizophrénie est fortement associé au taux de SM qui montre une distribution bimodale. Les analyses révèlent une valeur de 28.58%, en dessous de laquelle le taux de SM est anormal (seuls 22.5% des individus HC ont un taux de SM anormal contre 55.4% des individus SCZ, différence significative p=0.0015). La population étudiée peut ainsi être divisée en 4 sous-populations: SCZ c/SM-, SCZ c/SM+, HC c/SM- et HC c/SM+.

Cette sous-catégorisation basée sur une différence de phospholipide s’accompagne logiquement de changements compensatoires dans les taux des autres lipides membranaires. Ainsi, les individus SCZ c/SM- et c/SM+ montrent des différences significatives dans les taux de tous les phospholipides analysés (diminution des PC et PE plasmalogènes et augmentation des PE et PS, p<0.0001), ce qui est moins le cas pour les 2 sous-populations du groupe HC. Parmi les PE, la distribution DPE/LPE est également affectée au sein du groupe SCZ, en faveur des DPE chez les patients c/SM-, sans distinction de localisation membranaire (faces interne et externe). Ceci n’est pas observé au sein du groupe HC. Il est à noter que les deux sous-populations SCZ ne diffèrent pas en terme d’âge, sexe, niveau d’éducation, âge au début de la maladie, type/durée de la maladie et quantité des médications antipsychotiques reçues. La modification compensatoire de la composition en phospholipides chez les individus c/SM- est différente entre les patients SCZ et les individus HC (PE plus bas et PS plus élevé chez les SCZ). Les trois tests cognitifs réalisés révèlent des moins bonnes performances pour les patients SCZ. Cette observation générale est principalement le fait des résultats des individus c/SM-, spécifiquement dans le groupe SCZ. En effet, aucune différence de performance cognitive n’est associée au phénotype c/SM- dans le groupe contrôle HC. Les scores obtenus par les patients SCZ c/SM- sont moins bons que chez les contrôles HC c/SM-, tandis que les patients et contrôles c/SM+ atteignent des scores similaires dans la majorité des variables. Parmi les patients SCZ, la sévérité des symptômes évaluée par l’échelle PANSS est plus élevée chez les individus c/SM- (différences significatives pour les symptômes positifs et la psychopathologie générale, p=0.014 et 0.008 respectivement, ainsi que pour les sous-échelles relatives à la désorganisation et à l’excitation, p=0.041 et 0.038 respectivement). Les patients classés “sévères” (score > 45) sont deux fois plus nombreux dans le sous-groupe c/SM-.

Conclusions

La composition lipidique des membranes de globules rouges diffère entre des patients SCZ stabilisés sous traitement et des individus sains appariés. Des clusters lipidiques qui s’agrègent avec un contenu faible en sphingomyéline (c/SM-) ou normal (c/SM+) permettent l’identification de deux sous-populations de patients SCZ distinctives notamment par leurs ratio phospholipidiques membranaires. Au niveau clinique, cela se traduit par des patients c/SM- présentant une psychopathologie significativement plus sévère et des performances cognitives détériorées. Ces résultats, en lien avec la littérature existante, suggèrent une association avec un dysfonctionnement de la transmission neuronale dopaminergique chez les patients c/SM-, qu’il conviendrait d’étudier plus précisément. Si ces résultats venaient à être confirmés, une supplémentation thérapeutique en AGPI pour réajuster le contenu lipidique membranaire chez les patients SCZ pourrait être envisagée.

Texte : esanum / jd
Photo : Alex Mit / Shutterstock


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