L’hyperventilation volontaire est utilisée par de nombreux peuples et depuis des milliers d'années. On la retrouve dans des pratiques spirituelles comme le yoga Kundalini ou encore chez les amérindiens [«La danse endiablée a tendance à susciter l'hyperventilation et à causer la dissociation mentale que nous qualifions de transe»1]. Il existe des variantes plus récentes ou redécouvertes comme les techniques de respiration holotropique2, les techniques de respiration connectée à la conscience ou le rebirthing.
Ces techniques ont des caractéristiques différentes mais elles ont toutes un principe de base commun : intensifier la respiration par une inspiration longue et profonde et une expiration rapide et détendue. L'élément crucial, c’est que l'inspiration et l'expiration sont liées. Pour induire des états modifiés de conscience, les experts ont recours à la respiration circulaire. Ici, une longue inspiration est suivie d'une courte expiration, sans pause. Au bout d’un certain temps, la respiration devient plus rapide.
Selon la Dre Martha Havenith3, neuroscientifique, les premiers effets comprennent la sensation de petites piqûres d'épingle et un léger étourdissement. «Mais si vous continuez à respirer ainsi pendant quelques minutes, des choses plus intéressantes se produisent. Votre perception peut changer. Vous pouvez voir les couleurs différemment, ou constater que des parties de votre corps bougent sans que vous ayez l'impression de les contrôler consciemment. J'ai vu des gens qui n'étaient pas très sportifs devenir soudainement capables de tenir des figures de yoga extrêmes.» La spécialiste ajoute que chez certaines personnes des émotions ou des souvenirs ressurgissent, dont elles n'avaient pas conscience.
«Il y a aussi des expériences que j'appellerais des visions», précise-t-elle, en prenant soin de distinguer ces états de conscience modifiés de tout symptôme psychotique. Lors de séances de travail sur la respiration, des personnes voient, ressentent ou entendent des choses qu'elles ne connaissaient pas auparavant, tout en sachant très bien que ces choses ne sont pas physiquement perceptibles.
«Par exemple, vous pouvez être en train de parler avec quelqu'un, mais vous savez que cette personne ne se trouve pas juste en face de vous. C'est comme si votre cerveau traitait les informations en se basant sur les images et les sons plutôt que sur les mots.» Ces phénomènes ne sont pas rares : environ 80 à 90% des participants aux séances éprouvent des émotions inattendues, et 30 à 40% ont des visions.
Les effets physiologiques de la respiration circulaire sont bien documentés par des études. La teneur en oxygène du sang augmente et la teneur en CO2 diminue, le pH du sang devient plus alcalin, les vaisseaux sanguins se contractent, le rythme cardiaque et le cortisol augmentent. Une étude4 a montré, que suite à une hyperventilation, l’augmentation du CO2 entraîne une augmentation du flux sanguin cortical.
L’hyperventilation volontaire a-t-elle un effet à long terme sur le corps et/ou l'esprit ? Un article5 publié l'année dernière par les neuroscientifiques Brouwer et Carhart-Harris montre qu’il est possible d'induire dans le cerveau des états mentaux qui pourraient favoriser un apprentissage rapide et profond, mais aussi permettre des modifications du psychisme. L’augmentation de l'activité neuronale induite par l'hyperventilation pourrait dans certains cas aider à traiter les traumatismes, l'anxiété ou la dépression.
Les avantages de l'hyperventilation sont flagrants : elle ne nécessite aucune substance et tout le monde peut y avoir accès, à tout moment et en tout lieu. La technique n’engendre pas de perte de contrôle et est adaptée individuellement. Une personne qui se sentirait dépassée par ses sensations peut s'arrêter à tout moment. Ce que les substances psychédéliques ne permettent pas.
Notes :
1- Fondation autochtone de guérison – «Traumatisme historique et guérison autochtone» (2004)
2- Créée par le psychiatre tchèque Stanislav Grof, pionnier dans la recherche des états modifiés de conscience.
3- Cheffe du groupe de recherche Max Planck à l'Institut des neurosciences Ernst Strüngmann.
4- E.Bednarczyk and al. – "Hyperventilation-Induced Reduction in Cerebral Blood Flow: Assessment by Positron Emission Tomography" (1990)
5- A.Brouwer et R.Carhart-Harris – "Pivotal mental states" (2020)