Aux États-Unis, l'American Academy of Sleep Medicine (AASM) est favorable à l'abolition du changement d'heure, et au passage définitif à l’heure d’hiver. Or le Sénat vient d’approuver le "Sunshine Protection Act», un projet de loi qui mettrait toutes les pendules à l’heure d’été, en permanence, à partir de 2023. «Malheureusement, la décision rapide prise aujourd'hui par le Sénat n'a permis ni une réelle discussion ni un débat» a aussitôt commenté l'AASM.1
Dans une prise de position de 2020, soutenue notamment par l'American College of Chest Physicians, le National Safety Council et la National Parent Teacher Association, l'AASM avait déjà expliqué qu'une heure fixe à l'échelle nationale (heure d'hiver) serait bénéfique.
«L'heure d'été augmente l'exposition à l'obscurité le matin et l'exposition à la lumière du soleil le soir, ce qui perturbe le rythme circadien de notre corps et a un impact négatif sur la santé et la sécurité», résume le porte-parole de l'AASM, la Dre Shalini Paruthi (St. Louis University School of Medicine). «L'heure standard permanente est mieux adaptée à la biologie circadienne de l'homme, car le cycle naturel quotidien de la lumière et de l'obscurité est un puissant temporisateur qui se synchronise avec l'horloge interne du corps», précise-t-elle.
De nombreux travaux ont déjà montré que nos systèmes ne s'accommodent pas si facilement du passage à l'heure d'été. Cela se traduit notamment par une augmentation des taux d'hospitalisation et des admissions aux urgences. Le taux d'AVC par exemple semble plus élevé dans les deux premiers jours suivant le passage à l'heure d'été. Ce phénomène concerne particulièrement les femmes, les personnes âgées et les patients atteints d’un cancer.2
Par ailleurs, une étude portant sur plus de 100.000 personnes a montré une augmentation de 5% des infarctus du myocarde au cours de la première semaine suivant le passage à l’heure d’été.3 La diminution de tels événements a aussi été signalée après le retour à l’heure d’hiver… sans toutefois compenser les augmentations observées au printemps.4
Une autre enquête, menée auprès de 55.000 personnes en Europe centrale, a mis en lumère des problèmes moins aigus.5 L'horloge circadienne ne s'adapte jamais complètement au gain d'une heure «supplémentaire» de lumière solaire en fin de journée pendant l'heure d'été, résume le Pr de chronobiologie allemand Till Roenneberg.5 Les personnes les plus impactées par le passage à l'heure d'été sont les «chronotypes tardifs» (celles qui tendent à se lever plus tard et être en pleine forme le soir).
Dans une société où le manque de sommeil est déjà chronique, la perte de sommeil entraîne un effet domino qui dure des semaines, voire des mois. Le risque ? Les personnes privées de sommeil sont plus souvent en surpoids, présentent un risque accru de diabète ou de maladies cardiaques ainsi qu’une dérégulation inflammatoire. Le psychisme souffre aussi : une augmentation du taux de suicide directement après le passage à l'heure d'été a déjà été décrite.5
La «disparition» d'une heure au milieu de la nuit, au printemps, a d’autres conséquences. Le Pr Roenneberg évoque une plus grande vulnérabilité aux maladies et une baisse drastique de la productivité.5 D’autres études abondent en ce sens, l'une montrant par exemple que les personnes en activité dorment en moyenne 40 minutes de moins, ont eu 5,7% d'accidents du travail en plus et ont perdu 67,6% de jours de travail en plus à cause d'accidents.6
Même constat avec les accidents de la route (+8% le lundi suivant le passage à l’heure d’été), les accidents mortels liés à l’alcool étant aussi plus nombreux pendant une semaine après le changement d'heure.
Une étude de la Mayo Clinic de Rochester, présentée à l'occasion du congrès SLEEP 2020 montre par ailleurs une augmentation de 18,7% des erreurs médicales au cours de la semaine suivant le passage à l'heure d'été.7 Comme tout cela se produit une fois par an, l'effet cumulé n'est pas négligeable.
Il n'existe pas de données définitives pour valider l'argument souvent avancé en faveur de l'heure d'été, à savoir la réduction de la consommation d'électricité. Les évolutions de la consommation montrées par certaines études ne sont pas significatives. En fait, les éventuelles économies réalisées le soir semblent être annulées par le fait que les élèves et la population active ont besoin de s’éclairer davantage le matin.8
Pour toutes ces raisons, plusieurs pays ou régions ont décidé de ne pas passer à l'heure d'été. Il s'agit notamment de la partie nord du Brésil, du Saskatchewan (Canada), d'une grande partie de l'Australie, de Porto Rico, des îles Vierges, de Guam, des États américains d'Hawaï et de l'Arizona.
Le Kazakhstan a aboli l'heure d’été en 2005, invoquant des intérêts sanitaires. Idem pour la Russie en 2011, le président Medvedev justifiant cette décision par «le stress et des maladies» que subit l’horloge biologique humaine.
Notes :
1- Sleep Experts Warn of Permanent Daylight Saving Time Risks.
2- Sipilä, J. O. T., Ruuskanen, J. O., Rautava, P. & Kytö, V. Changes in ischemic stroke occurrence following daylight saving time transitions. Sleep Med. 27–28, 20–24 (2016).
3- Manfredini, R. et al. Daylight Saving Time and Acute Myocardial Infarction: A Meta-Analysis. J Clin Med 8, (2019).
4- The Aftermath of Daylight Saving Time. Time Zone Report
5- Daylight Savings Time Costs You Extra — in Money and Health!
6- Barnes, C. M. & Wagner, D. T. Changing to daylight saving time cuts into sleep and increases workplace injuries. J Appl Psychol 94, 1305–1317 (2009).
7- Kolla, B., Coombes, B. J., Morgenthaler, T. I. & Mansukhani, M. P. 0173 Spring Forward, Fall Back: Increased Patient Safety-Related Adverse Events Following the Spring Time Change. Sleep 43, A69 (2020).
8- Frost, R. Will scrapping Daylight Savings Time reduce energy consumption? euronews