Nos premiers DESMU1 achèvent leur cursus et vont se jeter dans le grand bain. De nouveaux médecins s'apprêtent à débuter leur formation à nos côtés. C’est l’occasion pour moi de transmettre humblement aux uns et aux autres ces quelques conseils, qui ne sont pas réservés d'ailleurs à nos jeunes collègues. Ces conseils, j’aurais aimé pouvoir les lire ou les entendre alors que je me tournais vers cette pratique de la médecine si singulière et si moderne.
Pour cela, je me suis inspiré de Mike Cameron. Avant de partir en retraite (ce n’est pas mon cas, je vous rassure), cet urgentiste australien s'est adressé aux internes qui entament leur cursus en médecine d’urgence.
Chaque tournant de ma carrière m’a permis de me retourner sur certaines périodes essentielles de ma vie professionnelle, en particulier sur mes débuts. Quand j'ai commencé mon internat en 1995, il existait trois stéréotypes de médecins seniors qui pratiquaient la médecine d'urgence : ceux qui se donnaient pour mission de sauver le monde, les accros à l'adrénaline et ceux arrivés là par hasard. En fait, quand on débutait, on était souvent un peu les trois en même temps. Cela a-t-il changé ? Quel que soit votre «profil», voici donc quelques conseils qui je l'espère vous seront utiles.
Peu importe sa durée, son intensité. Peu importe la pression à laquelle vous avez été soumis(e). Vous quitterez l'hôpital dès votre garde achevée et vous retournerez à la vraie vie, celle d'un être humain vivant en société.
Avant cela, assurez toujours des transmissions de qualité. Puis laissez quelqu'un d'autre porter la charge de ce qui va suivre aux urgences. Ne repartez pas avec à la maison.
Assurez-vous que lorsque votre garde se termine, vous avez quelque chose de prévu : sport, cinéma, sieste, musée, terrasse, etc.
Peu importe ce que c'est, faites-le !
Un rappel indispensable. L'empathie est assurément une bonne chose, mais la souffrance des patients est la leur. Elle leur appartient et il faut la respecter. Aider nos patients est notre crédo et nous devons nous efforcer de soulager la souffrance, chaque fois que nous le pouvons. Mais n'essayez pas de souffrir avec eux ; cela vous entraînerait inexorablement vers le bas.
Ces émotions sont des réponses normales à la pratique de notre métier, car nous faisons face à une demande croissante, parfois écrasante, dans un système de santé sous pression dont les ressources sont limitées.
Ressentir ces émotions signifie que vous vous souciez des malades et des conditions de leur prise en charge. L'affect est une bonne chose, si on sait le canaliser et l'exprimer avec calme.
Si aux urgences ou en SMUR vous ne vous souciez plus de vos patients, si vous ressentez moins leur souffrance, c'est que vous devenez insensible à tout. Donc à vous-même. Ne vous mentez pas, vous êtes en burn-out (et/ou en bore-out). Parlez à un collègue en qui vous avez confiance ; il y a presque toujours un moyen de prévenir cela et se remettre en selle.
Psychostimulants, psychotropes… Des moyens rapides pour se sentir détendu après une garde, une journée, une semaine difficile. Certes, cela vous apaisera. Peut-être que cela vous rassurera.
Après votre boulot, utilisez-les avec prudence et modération. Ou pas du tout. Mais au travail, ne faites confiance à aucun substitut chimique pour vous aider. Cela vous détruirait.
Aucun autre médecin ne fait le même job que vous. Certains peuvent l’imaginer, peuvent vous écouter, peuvent sympathiser. Mais ils ne font pas ce que vous faites si bien. Ne vous attendez pas à ce qu'ils en soient capables même s'ils affirment le contraire.
Vous pensez avoir échoué ? Vous pensez avoir laissé tomber un patient ? Vous pensez que vous n'êtes pas bon et que vous ne le serez jamais ? Prenez du recul, regardez objectivement ce qui vous a mis mal à l'aise et tirez-en quelque chose. Valorisez votre erreur, votre défaut, votre déception. Faites-en une force.
Pour cela, souvenez-vous de cette personne que vous avez aidée, ou de cette autre à qui vous avez sauvé la vie. Souvenez-vous de ce petit truc que vous avez un peu mieux fait, ou de ce geste difficile particulièrement réussi. Ensuite, concentrez-vous sur vous-même et sur le problème auquel vous avez eu à faire face.
C’est tout cela qui vous fait avancer dans votre pratique. Si vous travaillez correctement, il y a beaucoup plus de leçons à tirer d'une erreur ou d'un cas qui tourne mal que de la routine que vous maîtrisez.
Prenez des pauses régulièrement. Vous penserez mieux et travaillerez mieux : plus efficace, plus rapide, moins d’erreurs. Vous verrez clairement les priorités et ne vous noierez pas dans ces demandes multiples qui détournent votre attention.
Personne ne sait quoi que ce soit de ce que vous ressentez au moment de prendre une pause. Et qu’importe ce que pensent les sceptiques. Les urgentistes intelligents vous inciteront à prendre des pauses régulièrement.
Lorsque des pensées indésirables perturbent votre esprit, lorsque vous vous attardez sur ce qui a mal tourné, lorsque vous craignez de ne pas y arriver, faites ceci : arrêtez tout.
Apprenez à reconnaître les pensées indésirables, et concentrez-vous plutôt sur votre respiration. Quand ces pensées indésirables disparaissent, reprenez votre job. Cela prend moins d'une minute et vous pouvez le faire n'importe où et presque n'importe quand. Répétez cette «gymnastique» le cas échéant.
Vous vous êtes embarqué(e) dans l'une des carrières les plus difficiles et les plus enrichissantes de la planète médecine.
Vous avez des ressources insoupçonnées. Vous serez projeté(e)s bien au-delà de vos capacités à réfléchir simultanément à tous les cas que vous allez prendre en charge, encore et encore.
Vous ferez bien plus pour vos concitoyens sur une semaine que beaucoup d'entre eux durant leur vie entière.
Vous êtes privilégié(e), vous possédez un grand pouvoir – surtout la nuit et les week-ends – ce qui comme nous le savons «implique de grandes responsabilités». Malgré tout, votre salaire est plutôt correct. De plus, pour les soirées entre copains, vous aurez beaucoup d'histoires à raconter pour rire… ou pleurer.
Vous chercherez à être parfait(e). Vous échouerez comme nous l'avons tous fait. Apprenez à vous connaître pour améliorer tout ce que vous pouvez. Mais rappelez-vous que nous sommes tous faillibles.
Apprenez toujours de vos erreurs et pardonnez-vous régulièrement.
Quand vous prenez votre garde, demandez-vous ceci : le monde de l'urgence est-il un endroit meilleur qu'un autre, vaut-il le coup d'en faire partie ? Si c'est le cas, alors c'est que vous êtes à votre place, que vous avez la force de continuer. Sinon, c'est que vous êtes en difficulté. Parlez-en sans attendre à quelqu'un de confiance.
Cette personne vous aidera à reprendre confiance en vous, à obtenir ce que vous souhaitez. Elle vous aidera dans votre pratique mais aussi à tracer le chemin de votre vie professionnelle. Cette personne vous maintiendra loin de l'abîme. Plus encore, elle vous permettra d'entretenir cette passion de l'autre qui vous anime.
Note :
1- Diplôme d'études spécialisées de médecine d'urgence
Liens d'intérêts
Le professeur Peschanski déclare les liens d'intérêts suivants :
- sur les trois dernières années : Vygon SA (consultant), Fisher&Paykel (symposium), AstraZeneca (symposium)
- sur les vingt dernières années :
Symposiums : Fisher&Paykel Healthcare , AstraZeneca, Lilly, Sanofi, Daiichi-Sankyo, HeartScape, The Medicine Company, Thermofisher, Roche Diagnostics
Boards : Bayer, AstraZeneca, Vygon SA, Portola USA, Sanofi, Boehringer Ingelheim
Congrès : Lilly, Sanofi, Vygon SA, Portola, Roche Diagnostics, Thermofisher
Fonds de recherche (non personnels) : Servier, Boehringer Ingelhei