Du cap Nordkinn à Tarifa on retrouve partout ces longues allées sans fin, coupées à fréquence régulière de larges portes à double battant. Afin de faciliter la circulation de l’employé, usager et visiteur du grand labyrinthe hospitalier, leurs murs sont peints d’une couleur vive, uniforme à tout l’étage. Sur tout leur long, des rampes sont prêtes à soutenir les corps faibles de l’homme à la santé dérobée par le labeur du temps. Au-dessus des rampes, quelques tableaux de paysages et de fleurs exotiques viennent vainement tenter d’arracher le patient à sa maladie.
La cohue gronde sur cette avenue au trafic dense. Le chariot restaurateur cède la place au passage du lit de madame C. qui revient de son IRM cérébrale pendant que l’agent sanitaire parvient à faufiler sa serpillère entre le kit de réanimation et l’échelle de l’équipe de maintenance venue changer les néons cassés du couloir.
Les alarmes des moniteurs et une riche variété de sonneries de téléphones se disputent continuellement les portées d’un concerto décousue, à l’harmonie brisée par la télévision hurlante de monsieur P..
Plus loin, le chef de service entouré de sa cour, consulte les actes des patients de la 26 avant de faire son entrée en chambre. Autour de cet îlot gravitent quelques jeunes stagiaires sans cesse en mouvement, dont l’occupation principale est de trouver la place dérangeant le moins la fluidité de l’activité du service.
En face, à la fenêtre, monsieur L. perdu quelque part entre la terre et le ciel n’a toujours pas fini de compter les nuages. Il s’évade. Heureusement qu’il lui reste la fenêtre à monsieur L., parce que de ces longs couloirs il n’en voit jamais le bout. Car oui, on peut en sortir de ce couloir, pour enfin retrouver sa famille après une longue hospitalisation, on peut en sortir et enfin prendre du bon temps après une longue journée de travail. Mais Monsieur L., lui, ne le quitte que pour en gagner un autre, puis un autre, et porté de service en service, de couloir en couloir, le voilà pris dans ce long tunnel dont il attend patiemment la fin pour retrouver ses nuages de plus près.