En tant que Président du Syndicat des Médecins Libéraux, vous êtes en contact direct, avec les professionnels mais aussi les patients les plus concernés par le problème de la désertification. Constatez-vous de réelles inquiétudes ?
C’est un sujet qui est mis sur la table depuis des semaines, des mois voire des années parce qu’il y a des alertes statistiques fondées sur des chiffres sur le nombre de médecins, de départs à la retraite, par rapport à la pyramide des âges et ces chiffres nous ont alertés sur les désertifications à venir. Après il faut ajouter le fait qu’il y a depuis quelques années une augmentation de la consommation d’actes médicaux, une augmentation qui est en train de se démentir depuis quelques semaines, mais qui surcharge les praticiens sur le terrain et donne l’impression d’être vraiment surchargé de travail. Depuis quelque temps que lorsqu’un praticien part à la retraite il ne trouve pas de repreneur du cabinet comme ça se faisait il y a quelques années. Tous ces phénomènes se sont mélangés pour ensuite s’ajouter au problème de l’aménagement du territoire : à l’heure actuelle il n’y a plus de direction à l’aménagement du territoire, ce qu’on appelait DATAR et qui permettait d’anticiper les évolutions. Dès lors les médecins comme beaucoup d’autres professions et citoyens se sont détournés des campagnes rurales, des petits bourgs, des petites villes pour aller vers les grandes villes, vers le Sud, vers l’Ouest et ça crée bien entendu sur les terrains abandonnés une désertification réelle. Géographique. Parce que dans cette désertification la part de cette désertification géographique est importante mais elle ne suffit pas à expliquer l’ensemble. Nous avons aussi des désertifications dans les grandes villes, dans certains quartiers par exemple, dans les banlieues, là ce n’est pas la répartition géographique qui est en jeu, mais la sécurité parfois et l’impression d’une activité qui est peu satisfaisante pour les médecins. Donc ça entraîne là aussi des départs ou des non-installations dans ces régions.
Ainsi ce problème est beaucoup plus complexe qu’on ne croit. Nous avons malgré tout 37000 cabinets médicaux libéraux classiques aujourd’hui en France, c’est à dire soit isolés soit en groupe, mais je ne parle pas de maisons de santé pluridisciplinaire ou de centres de santé ou d’institutions de ce type-là. Donc ce nombre est relativement important et une réponse médicale peut ainsi être donnée assez rapidement en dehors de l’urgence. Le problème de l’urgence c’est que c’est encore autre chose, mais pour une demande de consultation, cette demande peut être satisfaite dans un nombre de cas satisfaisants avec c’est vrai l’impression d’une augmentation des délais de consultation. Mais cette augmentation n’est pas un désert. Ce n’est pas un synonyme de désert mais c’est synonyme d’une grosse activité des praticiens localement.
Donc voilà un petit peu tous les éléments, j’ai fait un tour de France pendant neuf mois et j’ai eu à peu près 60 réunions en province (quand je dis province, ce n’est pas péjoratif par rapport à la région parisienne) avec les praticiens sur le terrain et l’impression que dégagent mes confrères de province c’est cette impression de surcharge, cette monotonie, je ne dirais pas de découragement mais cette impression qu’ils travaillent un peu pour rien. Alors ça se sont des problèmes économiques ressentis, pas forcément réels mais ressentis en tous cas et c’est plus fort qu’une impression de désertification réelle.
Je pense que c’est un problème qui est trop stigmatisé par certains élus locaux. Moi j’en ai reçu un l’autre jour pour me demander un conseil car il n’a plus de médecin dans sa commune de 2 700 habitants et il voudrait faire quelque chose pour satisfaire ses administrés. C’est une commune de région parisienne, dans l’Essonne et tout autour de sa commune il y a des communes un peu plus grandes qui elles ont un nombre de médecins suffisant. Et les administrés de ce maire, en dehors de l’urgence peuvent aller consulté ailleurs, c’est ce qu’ils font depuis quelques temps. Mais ce maire il a l’impression de désertification par rapport à sa commune, alors qu’il y a encore des réponses aux demandes de soins à moins de 5 ou 10 kms. Le désert est ressenti par rapport aux habitants de cette commune mais en réalité ils peuvent se soigner. On a quand même en France un tissu libéral encore satisfaisant on peut trouver des solutions pour les problèmes de consultation.
Ressentez-vous dans votre pratique quotidienne de la médecine les effets de la désertification médicale et le désamour des jeunes médecins pour la pratique libérale de la médecine?
C’est un peu paradoxal parce que ces jeunes médecins diplômés ne connaissent pas l’exercice libéral puisqu’on ne l’enseigne pas à la faculté et on a l’impression qu’ils ne savent pas trop ce qu’ils veulent. Si j’étais un jeune médecin diplômé qui veut s’installer en libéral, je ferais comme j’ai fait il y a 30ans, une fois diplômé on fait un tour géographique et puis on voit le nombre de médecins dans les communes, leur activité, on va au Conseil de l’Ordre, on se renseigne, tout ça est possible aujourd’hui. J’irais par exemple dans la commune, dont je vous ai parlé tout à l’heure, voir le maire en lui disant: “Il n’y a plus de médecin dans votre commune et moi je suis partant”. Voilà, mais maintenant on a l’impression que les jeunes ne veulent pas s’installer parce qu’ils ne veulent pas se fixer, ne pas être dépendants d’une installation. Ils veulent plutôt faire des remplacements car ils veulent la mobilité et ils veulent être à plusieurs simplement parce qu’ils n’ont pas envie d’être seuls à devoir gérer une patientèle. Donc on se pose des questions sur les orientations des jeunes médecins qui souhaiteraient s’installer en libéral. Nous, syndicats, ce qu’on voudrait c’est les informer, pouvoir leur montrer que c’est un métier extraordinaire quand on s’engage et que ça valorise beaucoup d’avoir une patientèle, des gens qui ont confiance en vous, des relations qui évoluent dans le temps et des gens qui vous montrent leurs enfants, parents, oncles, tantes. C’est ça qui est intéressant dans ce métier.
Est-ce que vous pensez que toutes ces polémiques et discussions peuvent aussi apeurer ces jeunes diplômés ?
Bien sûr. Quand les jeunes entendent que leurs confrères libéraux se plaignent de trop travailler, d’être trop dépendants ou de plus pouvoir gagner leur vie, c’est vrai qu’ils se posent des questions. Et puis quand on leurs dit « il faut absolument que vous vous installiez dans des maisons pluridisciplinaires » l’information n’est pas forcément donnée en toute neutralité, c’est un parti pris. En France on peut s’installer dans un cabinet isolé et être à distance tout à fait respectable d’autres spécialistes ou confrères avec qui on peut s’entendre sans être obligés d’être dans les mêmes murs. Une grande partie des patients peut se déplacer de quelques kilomètres pour une consultation. L’obligation d’être parqués dans des maisons pluridisciplinaires n’est pas légitime mais on leurs dit que c’est l’avenir, on leurs dit qu’il faut qu’ils travaillent en groupe mais eux ce qu’ils veulent ce n’est pas ça, ce n’est pas le fait de travailler en groupe, c’est le fait de pas être seuls à gérer une patientèle, si j’ai bien compris. Parce que c’est prenant, quand vous êtes seul à gérer une patientèle mais c’est aussi le métier. Je ne parle pas que des généralistes, j’ai les mêmes discussions avec les spécialistes libéraux qui veulent rester en libéral. Quand on leurs dit qu’il faut se concentrer dans les maisons disciplinaires, on crée une désertification géographique artificielle, parce qu’au lieu d’avoir des cabinets qui se répartissent dans les communes, vous allez tout avoir dans un même lieu. Ce qui veut pour les administrés de la commune dire qu’il faut se déplacer un peu plus alors qu’ils auraient pu avoir des solutions plus près. Vous voyez, c’est à double tranchant.
En février 2014, la Ministre de la Santé a dressé un bilan positif du Pacte Territoire Santé mis en place un an plus tôt. Que pensez- vous de ces mesures ? Suffiront-elles selon vous à enrayer la tendance à la désertification ?
Ces mesures traduisent une envie d’étatiser le système, c’est à dire de la prendre vraiment sous la coupe réglementaire de l’organisation de l’État, ministère et reste compris. C’est une volonté politique, une vision politique de l’exercice de la médecine, qui n’est déjà plus tout à fait libérale. C’est une vision où on souhaite flécher l’installation des jeunes. L’éventualité de proposer aux jeunes de s’installer pendant 2 ans dans des zones désertiques se fait sur contrainte entre guillemets, une contrainte est plus ou moins attractive et là on leur donne comme un plus qu’ils auront un salaire minimum garantie si on peut dire.
C’est une volonté de changer l’organisation de l’offre de soins. Alors le côté positif pour nous c’est que c’est microscopique 200 praticiens territoriaux, ils envisagent d’en mettre 400, mais on nous annonçait à grand renfort que les 200 étaient atteints mais bon ils sont toujours pas là a priori. Et même s’il y en a 400, 400 pour 50 000 médecins généralistes libéraux, c’est encore limité. Alors est-ce qu’ils feront des petits, on verra. Il faudra revoir ces jeunes qui ont choisi de s’installer dans ce cadre du Pacte dans 2 ans parce qu’au bout de ces 2 années ils devront soit voler de leurs propres ailes, soit chercher une pérennisation ou une prolongation de leurs contrats. On verra.
Je n’en pense pas grand-chose, c’est le problème de la traduction d’une vision politique de l’exercice de l’offre de soins. On savait déjà qu’ils espèrent étatiser le système. Nous on a une vision un peu plus ouverte et libérale. Ce qui ne veut pour autant pas dire qu’on veut quelque chose sans contrainte totalement anarchique. C’est pas la jungle de l’exercice libérale, disons qu’on n’a pas une vision aussi dépendante de l’État. On voudrait un maintien d’une vraie indépendance des médecins, une indépendance aussi au niveau de l’exercice, parce qu’on plus on est dépendant financièrement, plus on est dépendant de la puissance qui paie sur le contenu de l’exercice par exemple sur le fait de ne plus prescrire que des génériques. Vous voyez ça peut aller relativement loin.
Aviez-vous été concerté par le ministère ?
Oui oui, bien sûr. On avait eu une grande fête, la Ministre avait inauguré une maison de santé avec un praticien territorial. On a été consulté, on nous a exposé les choses. Enfin consulté c’est un bien grand mot. On nous a poliment expliqué ce qu’ils allaient faire.
Dans votre discours on retrouve un peu les idées défendues par l’UFML qui est donc l’Union Française pour une médecine libre. Union assez médiatisée notamment sur Facebook grâce notamment au groupe Les Médecins ne sont pas des pigeons et on voudrait savoir ce que vous en pensiez.
Je vais mettre tout de suite les choses au point, cette union, c’est une coordination, ce sont des gens qui expriment des revendications non organisées. D’ailleurs c’est facile de dire qu’il n’y a qu’un faucon, de casser ce qu’il se fait etc, mais bon, au-delà de ça il faut proposer quelque chose. Et donc la différence avec le syndicat, c’est que nous on est représentatifs et qu’on a un rôle de proposition, de construction et de protection des médecins, parce que dénoncer tout ça ce n’est pas protéger nos confrères non plus. C’est attiser le coté populiste et après les confrères se retrouvent seuls devant la caisse d’assurance maladie, l’ARS parce qu’ils ont été un peu trop loin dans leurs allégations. Et puis d’autre part s’il y a en apparence des similitudes, je dirais très simplement que le SML existe depuis 31 ans et que nous on a toujours eu ces idées, ces valeurs. Et que bon, s’il y a eu un imitateur ce n’est pas le SML.
C’est vrai que ça peut se retrouver parce que nous dénonçons un certain nombre de choses et que nous avons l’impression qu’il a une organisation en face de nous qui veut supprimer l’exercice libéral mais à côté de ça nous proposons un nouveau contrat de santé libéral pour les Français. Vous savez une coordination c’est facile mais bon on n’est pas responsable de ce que l’on dit. Avec 10 personnes sur Facebook vous pouvez donner l’impression qu’il y a 100 000 personnes derrière vous. En France on est un pays libre, les gens peuvent s’organiser en coordination, s’exprimer, après c’est aux confrères de réfléchir et de voir quelle est la façon la plus intelligent de s’opposer ou de résister à quelque chose qui veut les détruire.
En février 2013, le Sénat a publié un rapport d’information sur la présence médicale sur l’ensemble du territoire, l’une des mesures proposées était l’instauration d’une obligation de service pour les médecins en début de carrière dans les zones particulièrement sous dotées. Ces méthodes coercitives n’ont pas été retenues par Marisol Touraine. Pourtant certains de nos voisins ont mis en place des systèmes permettant de limiter l’installation des médecins dans les zones sur-dotées. Ainsi, en Allemagne les Vertragärzte (l’équivalent des médecins en secteur 1) ne peuvent s’installer que là où leur présence est nécessaire. Ne serait-ce pas un bon compromis ?
Alors j’en ai parlé il y a quelques secondes des pensées fortes qu’ont certains ministres ou certains sénateurs d’obliger les jeunes à s’installer quelque part. Je pense que ce n’est pas une bonne idée, il faut laisser le choix aux jeunes parce que si on entre dans l’exercice libéral par des contraintes administratives ça va pas, il faut leurs laisser la liberté de s’apercevoir eux-mêmes que s’ils s’installent dans certains coins, ils vont pouvoir avoir une patientèle rapide, sans problème et du travail, car au lieu d’être, par exemple, à Nice où il y a trop de médecins, ils s’installent 5 à 10 kilomètres dans l’arrière-pays et ils ont une patientèle en or. Il suffirait de se décaler un petit peu mais c’est à eux, jeunes installés de le décider. On ne devrait pas le décider pour eux. Simplement on doit leur donner des moyens chiffrés et statistiques, c’est là que les ARS et les ARPS ont un rôle à jouer pour que les jeunes diplômés sachent s’il y a des possibilités de s’installer dans telle ou telle région géographique.
Quant au problème de l’Allemagne, il se trouve que j’ai été en voyage avec des parlementaires au début de l’année et on a rencontré les confrères, les syndicats et la caisse locale ; les Allemands sont méthodiques et ils sont, comme en France, confrontés à des problèmes de désertification et de désintéressement des jeunes depuis quelques années. Du coup, ils ont inventé ce système qui a été un échec. Ça n’a pas résolu leurs problèmes. Ils sont toujours dans l’attente d’une solution pérenne à la désertification. Ils n’ont pas eu les résultats escomptés et pourtant ils ont fait des diminutions des nombres d’hôpitaux, pour qu’il y est plus de patientèle en libéral et donc plus de facilité à combler les zones puisque la patientèle est excentrée plutôt que concentrée à l’hôpital. Donc ils ont fermé des hôpitaux, ils ont fait ça très méthodiquement. L’évaluation qu’ils en ont fait en ce début d’année, ce n’est pas non plus un franc succès. Ils sont toujours en train de se demander quelles sont les solutions pour avoir une offre de soins sur l’ensemble de leur pays en sachant que le système allemand est fondamentalement différent du système français.
En France on a un système libéral qui est unique en Europe. Soit vous avez des systèmes totalement étatisés soit vous avez des systèmes totalement libéraux que ce soit en Allemagne, en Angleterre, en Espagne, en Italie ou en Hollande. Vous avez de la médecine à deux vitesses quand même. En France on n’a pas franchement une médecine à deux vitesses, même si on veut nous le faire croire avec les compléments d’honoraires etc. Mais globalement on n’a pas une médecine à deux vitesses surtout chez les généralistes. Je vous rappelle quand même que sur la France, 92% sont en secteur opposable quand même. Donc en premier recours il y a une majorité très très forte de généralistes qui sont opposables, l’offre de soins est relativement uniforme sur l’ensemble du territoire.
Alors pour l’Allemagne, je ne pense pas que ce soit un bon compromis compte tenu, de ce que j’ai compris de ce qu’on nous avait exposé. Surtout qu’en France ça n’apparaît pas nécessaire pour l’instant en tout cas.
Plutôt que de mettre en place des mesures coercitives, il faudrait par exemple créer un internat libéral c’est à dire qu’au lieu d’être interne dans un service à l’hôpital pendant 6 mois et changer tous les 6 mois, ils sont internes dans un cabinet libéral. Ça permettrait déjà de leurs montrer ce que c’est et puis ça permettrait peut-être aussi d’ouvrir des brèches géographiques dans l’offre de soins. Parce qu’un interne n’est pas encore docteur en médecine mais il a les capacités de responsabilités. Donc un internat libéral serait l’occasion d’ouvrir les étudiants vers le tissu libéral et de leurs montrer que finalement, l’exercice libéral peut aussi être intéressant.
Ce sont des propositions que l’on fait et peut-être qu’un jour on nous écoutera, au SML on a souvent eu raison des années avant. Par exemple ça fait des années que l’on parle de la retraite active et qu’on dit qu’il faut faciliter le fait à nos aînés de poursuivre quelques années parce que c’est une transition pour une patientèle et puis en plus ça permet peut-être aussi de diminuer cette impression de désert quand vous avez les aînés qui continuent dans leurs cabinets à mi-temps ou à trois-quarts, quart de temps. Mais ils restent quand même présents, ça permet d’avoir une transition progressive avec des jeunes qui pourraient s’installer notamment dans le cabinet du senior qui est en train de partir. Cela pourrait être un bon compromis. On enseigne petit à petit aux jeunes avec la garantie qu’il ne partira pas du jour au lendemain en nous laissant seul. Ce serait comme une transition, qu’il faudrait faciliter, ce n’est pas si compliqué.
On a eu le sentiment que les syndicats médicaux étaient assez partagés sur le Pacte Territoire Santé. Pourquoi des entités défendant les mêmes causes ne partagent pas le même point de vue sur la question ? Ne pourrait-on pas parler de conflit “générationnel” ?
Non il n’y a pas franchement de partage des syndicats. Il y a un seul syndicat qui défend ça donc on n’est pas partagés. On est majoritairement contre. Globalement, le paysage syndical aujourd’hui est composé de cinq syndicats représentatifs en médecine libérale. Vous avez la CSMF qui est le premier, le plus ancien, ensuite vous avez le SML et vous avez la FMF. Ce sont trois syndicats qui représentent les généralistes et spécialistes. Ensuite vous avez un syndicat monocatégorie qui ne représente que les généralistes c’est à dire la moitié du corps médical : MG France, puis un syndicat qui ne rassemble que les praticiens qui travaillent en bloc opératoire : Le Bloc. Et parmi ces syndicats, un seul soutient cette réforme disons étatisante de l’offre de soin, c’est MG France. Que ce soit la CSMF, la SML ou la FMF on n’est quand même pas dans cette optique-là, même si on dit “Bon, faites vos expériences dans votre coin”. On n’est pas pour proposer la globalisation d’un tel système, pas du tout.
Il n’y a pas conflit générationnel. Nous on souhaite que les jeunes soient suffisamment bien informés de l’exercice libéral pour qu’ils puissent reprendre le flambeau. Il n’y a ni conflit générationnel ni opposition, je pense que pour beaucoup de jeunes qui ont sauté le pas et qui se sont installés dans le libéral, ils sont très contents de leur installation. C’est plutôt un conflit sociétal, parce que les jeunes qui veulent s’installer ont aussi envie d’avoir beaucoup de temps libre etc. Ce qui se comprend mais le problème c’est que la profession de médecin en exercice libéral, ne permet pas de s’épargner beaucoup. Ça implique un travail quasiment à temps plein quand même et c’est ça qui fait peut-être peur. On a des contacts avec des syndicats des jeunes et il y a aucun souci.
Des caricatures pleines d’humour et de critiques sont fréquemment publiées sur le site du SML. Sont-elles révélatrices de tensions intersyndicales?
C’est de l’humour, ça n’a pas plus de valeur que ça. De temps en temps il faut un peu faire rire, parce que cette situation est tellement triste que ça fait un peu du bien de rire. Mais ça n’a quand même pas plus de portée que ça. On aime bien et puis il y aura peut-être des élections professionnelles l’année prochaine et bon, ça montre qu’on fera aussi de l’humour. Mais ce n’est pas synonyme de tensions intersyndicales.
On a un contact cohérent et prolongé avec la CSMF, on représente d’ailleurs une forte majorité, ce qui est vérifiable sur les résultats des élections professionnelles maintenant. On a comme je disais des contacts privilégiés avec la CSMF et avec la FMF c’est un petit syndicat et puis on ne sait pas vraiment quelles sont leurs opinions et puis d’ailleurs ce n’est pas grave et Le Bloc il travaille que dans les cliniques donc c’est très particulier. On a des contacts avec eux sans vraiment de tension. Les tensions qui ont eu lieu avec Le Bloc c’est au moment de l’avenant n°8, les déplacements et compléments d’honoraires sont les plus importants chez les médecins qui travaillent dans les blocs opératoires, notamment les chirurgiens donc ça les touche de près du coup la signature de l’avenant n°8 a créé quelques tensions, mais c’est fini ça.
Les caricatures ne révèlent pas ce genre de choses et sont juste là pour apporter un peu d’humour pour que ce ne soit pas tout le temps noir et blanc. Un peu de couleur, un peu de rire.
Le Syndicat des Médecins Libéraux a pour principe la prévention, pensez-vous qu’une sensibilisation des étudiants en médecine pourrait aider à enrayer le problème de la désertification médicale en France ?
La prévention participe à autre chose, elle passera par un changement dans les études des jeunes. Aujourd’hui la prévention on en parle jamais, on leur donne le curatif, le curatif, le curatif, vous êtes les meilleurs, on va de plus en plus fort, les traitements vont être de plus en plus techniques, importants.
Mais il faut aussi leur montrer que la prévention primaire et organisée peut avoir des résultats sur l’état de santé de la population. Il faut leur donner ce souci de santé publique qui n’existe pas vraiment aujourd’hui. C’est surtout valable pour ceux qui vont s’installer en libéral, ceux qui travaillent à l’hôpital ou au ministère ils en font de la santé publique mais les libéraux doivent aussi y prendre part, ça fait partie de leur rôle, de leurs prérogatives si je puis dire, car ils ont aussi un contact privilégié avec la population. La prévention de santé publique, ce n’est pas seulement des messages qui viennent du gouvernement, du ministère mais aussi des messages qui peuvent être relayés par les médecins de proximité et donc les libéraux. C’est là où il faut une cohérence entre les deux, une cohérence qui devrait commencer dès les études de médecine et continuer après, à l’installation.
J’ai souhaité que dans le nouveau projet du SML, qui est donc un nouveau contrat médical avec les Français, la prévention joue un rôle prépondérant. Il y a aussi des incidences économiques. Si on arrive à mettre la prévention en tête des réflexions sur l’offre de santé pour nos concitoyens, on va faire diminuer le coût du curatif. Les chiffres montrent que c’est possible. Economiquement cela présente un intérêt. On pourra ensuite mettre plus de moyens sur des maladies où la prévention ne peut rien changer. Car sur toutes les maladies que l’on dit maintenant “évitables”, la prévention permettra une diminution de leurs coûts. Par exemple le diabète, qui est maintenant la maladie chronique la plus lourde en terme de coûts, on pourrait avoir une incidence et diminuer les coûts grâce à la prévention.
Vous avez écrit une lettre ouverte aux candidats aux élections municipales pour les sensibiliser aux questions de santé et plus particulièrement à la désertification médicale. Avez-vous eu des retours des candidats et/ou élus ?
J’ai eu des retours, quelques maires m’ont répondu et cela s’est traduit par des réunions locales. Mais nous n’avions pas comme prétention de faire de la politique, c’était simplement pour mettre la santé au cœur du débat des Municipales, parce que le premier magistrat de la commune a un rôle de santé publique sur l’offre de soins dans sa commune. On voulait susciter leur intérêt sur l’exercice libéral et justement aller contre cette impression de désertification que certains élus donnent à la population. On a eu quelques réponses mais ça n’a pas été un raz-de-marée et puis bon on n’avait pas non plus l’intention d’influencer les résultats.
Il faut s’adresser non seulement à la Ministre mais aussi aux élus locaux qui ont un rôle à jouer dans l’offre de soin libérale. On recommencera d’ailleurs dans d’autres élections locales, aux générales bien sûr. Parce qu’en France le débat sur la santé est rarement au cœur d’une campagne électorale. Hélas. Pourtant c’est quand même quelque chose qui préoccupe les Français à mon avis.
Certaines régions ont rappelé des médecins à la retraite à reprendre du service, cette solution est bien évidemment impossible à long terme mais elle permet de faire face à une situation d’urgence. Quelles autres solutions d’urgence pourraient-être développées ?
Je vous en ai déjà parlé. C’est pas les régions c’est nous qui avons poussé les médecins à continuer en leurs donnant des éléments chiffrés de comparaison, parce que jusqu’à présent, et le SML a été un peu le moteur pour obtenir ça, le cumul d’un emploi retraite n’était pas facile en France, aussi bien en salarié qu’en libéral on avait des pénalisations à continuer de travailler. On ne pouvait pas aller au-delà de 32 000€ et puis il y avait des charges incompressibles. Alors on a obtenu des aménagements pour que les libéraux qui souhaitent continuer pendant quelques années, soit dans leur cabinet soit dans un autre cabinet, pour être un appui à d’autres confrères puissent le faire sans être pénalisés financièrement. Le comble était que les gens qui étaient volontaires pour travailler plus, ils gagnaient moins, pour reprendre une expression. On a donc obtenu quelques aménagements qui ne sont cependant pas suffisants, il faudrait des incitations plus fortes pour faire en sorte que les confrères séniors n’arrêtent pas brutalement leur activité libérale et permettent une passation en douceur.
Des solutions d’urgence il n’y en pas. À part envoyer des médecins militaires dans les désert, ça c’est une solution d’urgence. Mais je crois qu’il faut être plus calmes avec la présentation de ce qui est la désertification, être peut-être moins alarmants et puis donner plus d’explications aux jeunes. Il n’y a pas de situation d’urgence, on n’est pas encore dans une urgence sanitaire qui justifierait des mesures drastiques. On peut y arriver s’il y a trop de changements. Ceci dit les statistiques montrent que d’ici 4 à 5 ans, le nombre de médecins va être plus important. Donc ce qu’il faudra, c’est rendre l’exercice libéral attractif. Mais ça c’est encore une histoire de 4/ 5 ans supplémentaires.
Les maisons de santé développées par le ministère ne risque-t-elle pas sur le long terme de dénaturer le travail du médecin libéral ?
Ca dépend ce que vous appelez maisons de santé. Si vous parlez des maisons de santé pluridisciplinaires, je vous en ai parlé tout à l’heure, c’est pour l’instant assez anecdotique, c’est une volonté de regrouper les gens, de les mettre dans un système qui bon les encadre de plus en plus. Mais je ne pense pas que ce soit un avenir. L’avenir c’est qu’il y ait un partage d’informations entre les médecins et entre les médecins et les professions paramédicales. Ce qui ne veut pas dire être dans les mêmes murs, cela veut dire dialogue, possibilité de dialoguer avec des éléments concernant un patient, organiser le parcours du patient, c’est ça qui est notre but et non de mettre les gens dans des maisons pluridisciplinaires. Parce que pourquoi avoir nommé ça maisons de santé pluridisciplinaires ? C’est nous mettre un peu dans un cadre administré, c’est ce qui ne nous plaît pas dans cette histoire. Ce qu’on demande simplement nous, c’est qu’il y ait facilitation du partage d’informations. Or aujourd’hui, ce qui pourrait faciliter ce partage par voie informatique, le DMP, n’existe pas et ça ce n’est pas la faute des médecins. Nous on le réclame pour une utilisation simple, pratique sur le terrain. Mais on est toujours en attente. La balle est dans le gouvernement, depuis des années. Je vous rappelle qu’ils ont dépensé 500 millions pour un truc qui n’existe pas de façon pratique. Il y a des expérimentations.
Et dans ces maisons de santé ils veulent expérimenter des nouveaux systèmes de rémunération, ce qu’on appelle des UNMR avec comme arrière-pensée de transformer l’acte médical, l’acte unique, le paiement à l’acte en une espèce de forfait par-ci, forfait par-là. Mais ça, ça nous plaît pas forcément, car on considère que le paiement à l’acte est le fondement d’une relation de confiance entre le médecin et son patient et que quand vous remplacer la confiance vous dénaturez la relation médecin/patient.
Je vais faire une comparaison qui n’a pas lieu d’être mais c’est comme dans la distribution, entre la confiance que vous pouvez accorder à votre boulanger de quartier, que vous connaissez et un boulanger de supermarché. C’est la différence de la qualité du rapport humain et du produit. Toutes proportions gardées on semble vouloir nous parquer dans des supermarchés et ça nous plait pas parce que le principe fondateur de l’exercice libéral, c’est la relation qu’on peut avoir dans le temps avec des patients, la confiance qu’ils nous accordent. On ne va pas dans ce sens-là.
Certes on crée des zones où il y aura constamment une réponse mais pas une réponse qui soit relationnelle. Si vous allez dans une maison de santé ouvert 7/7 et 24/24 vous aurez tout le temps une réponse mais pas tout le temps le même médecin, pas la même confiance ni la même façon de dialoguer avec lui. Alors je ne sais pas quel est le meilleur, peut-être que le fait d’avoir une réponse en permanence c’est bien, mais peut-être que les Français ont besoin d’autre chose. Quand ils parlent de l’exercice médical, ils parlent aussi de l’exercice libéral, quand ils disent qu’ils aiment bien leur système, ils parlent aussi bien de l’hôpital qui est de haut niveau, mais ils parlent aussi du médecin de quartier avec qui ils ont établi une relation de confiance. C’est un ensemble, nous on souhaite en préserver une partie, c’est à dire l’exercice libéral et ne pas nous inscrire dans un truc où on sera plus ou moins non-identifiés.
Avez-vous été mis à contribution pour la mise en place de solution de lutte contre la désertification médicale?
Non on n’a pas été mis à contribution, on nous donne simplement ce que le gouvernement et certains veulent. On nous demande notre avis mais on n’en tient pas compte. Je ne pense pas que l’on puisse soigner l’ensemble de la population française avec 1000 maisons de santé. Ils ont besoin de continuer d’aller voir les 37 000 médecins généraux libéraux, même si c’est un peu plus loin. Ce qu’on veut c’est nous encadrer, car plus les médecins sont regroupés dans le même truc, plus vous les encadrez dans leur fonctionnement et dans leur exercice. La liberté et l’indépendance du médecin font partie de ce que les gens apprécient aussi. Les patients ont la liberté de choix et de changer, quand il n’y aura plus que des maisons de santé sur le territoire, il y aura plus le choix pour les patients, ce sera ça ou rien. Et quand vous ne serez pas contents du fonctionnement de votre maison de quartier, vous n’aurez pas d’autre choix. Aujourd’hui quand on est insatisfaits on peut toujours changer de médecin et on a a priori la même qualité dans chaque cabinet. Le relationnel c’est important en matière de santé, l’effet placebo il est permanent.
Nombre sont les critiques faites à l’encontre du numerus clausus imposé aux étudiants en médecine, êtes-vous du même avis que ses détracteurs, qui considèrent qu’il est la cause de la pénurie de médecins en France ?
Le numerus clausus, c’est la boite de Pandore, ceux qui aujourd’hui prônent l’ouverture sont absolument irresponsables, totalement irresponsables. Ca fait des années que le numerus clausus n’est pas fiable et qu’on a pas les éléments pour le rendre fiable. Il faut arrêter de jouer avec ce curseur, laissons le fixer et puis analysons tout le reste. Un médecin nécessite entre 10 et 15 ans de formation avant de potentiellement pouvoir s’installer donc si on déplace aujourd’hui le numerus clausus à l’entrée des études on aura des résultats éventuels sur la population médicale que dans 10 ou 15 ans. Sachant que tout change, il y a 5 ans beaucoup de choses étaient différentes.
Il faut s’adapter et c’est surtout à la sortie des études qu’il faut adapter, c’est à dire qu’il faut peut-être les réorienter ou leurs donner des éléments pour les inciter à s’installer en libéral. C’est totalement contre-productif de faire cela à l’entrée des études, ceux qui disent que c’est parce qu’il faut avoir un certain nombre pour payer les retraites dans 15 ans ou des médecins étrangers, c’est ridicule. De toute façon changer le numerus clausus ne changera pas le nombre de médecins étrangers qui ont envie de s’installer en France. Et eux c’est dès cette année qu’ils s’installent, pas dans 15 ans.
Donc il ne faut plus toucher au numerus clausus, on a aujourd’hui un nombre d’étudiants qui correspond à la densité moyenne qu’on peut avoir en Europe une fois les 10 années achevées. Arrêtons d’y toucher et cherchons des solutions à la sortie des études, c’est là qu’il y a un problème pas à l’entrée. Après, le fait que le concours soit difficile, écoutez moi aussi j’ai subi un concours il y a 35 ans et il y avait que 10% qui passaient en 2ème année. C’est nier les vrais problèmes et ce n’est pas ça qui cause la pénurie.
L’équipe esanum a réalisé plusieurs interviews avec différents acteurs de la santé en France, afin de mieux comprendre les enjeux des déserts médicaux en France. Des responsables politiques et syndicaux ont ainsi répondu à nos questions. Les autres articles sur le désert médical français sont à découvrir : ici !