Les sports d’endurance ont le vent en poupe. Nager, courir, pédaler… La majorité de la population a maintenant conscience des effets bénéfiques de ces activités. Le renforcement musculaire est par contre négligé, parfois stigmatisé. Pourtant, son rôle protecteur contre les pathologies chroniques n'est plus à démontrer. Une vaste enquête épidémiologique portant sur les pays européens a permis d’évaluer par pays la prévalence de l’activité musculaire anaérobie et d'identifier les freins à son développement.
Des études précédentes ont montré qu’en Europe environ 60% des personnes pratiquent une activité de type aérobie à un niveau correspondant aux directives concernant l'activité physique modérée à forte (Moderate to vigorous physical activity - MVPA) soit ≥150 minutes/semaine.
Cependant, la pratique d’une activité d’endurance ne suffit pas. Dans les pays européens, les maladies chroniques telles que le diabète, les maladies cardiovasculaires, le cancer, les maladies respiratoires chroniques et les troubles mentaux sont responsables de 86 % des décès et de 77 % de la charge de morbidité. Or plusieurs revues de littérature et études de cohorte ont récemment montré que les exercices de renforcement musculaire - à l'aide de poids, de machines, de bandes élastiques ou avec le poids du corps - ont de multiples bénéfices pour la santé. Ils sont d’ailleurs préconisés dans les directives de l’OMS en matière d'activité physique (2010).
De nombreuses études ont démontré les bénéfices du renforcement musculaire (RM) indépendamment de la pratique d'une activité d'endurance. Le RM semble même être plus efficace dans certains domaines spécifiques : prévention de la sarcopénie (perte de masse musculaire), du déclin de la fonction physique donc des chutes et du déclin du fonctionnement cognitif. Ces aspects sont primordiaux au vu du vieillissement global de la population.
Des études de cohortes prospectives ont aussi montré que le RM réduit le risque de mortalité toutes causes confondues. Plus spécifiquement, il diminue l'incidence du diabète, du cancer du côlon et du rein et celle des maladies cardiovasculaires. Des méta-analyses sur des interventions de courte durée (6-12 semaines) ont conclu que le RM augmente la masse/force des muscles squelettiques, la densité minérale osseuse et la santé cardiométabolique. Le RM réduit aussi les symptômes d'anxiété et de dépression.
Les études épidémiologiques portant sur les activités d’endurance ou la sédentarité sont légions. Par contre, il n’existait pas jusqu’alors d’étude d’envergure de ce type sur le renforcement musculaire.
Les données d'une étude australienne publiée fin novembre dans la revue Plos One 1 ont été tirées d’une vaste enquête européenne réalisée en 2013-14 dans 28 pays européens. 280.605 adultes avaient renseigné un questionnaire portant sur leur niveau de pratique d'exercices de renforcement musculaire : 0-1 jour/semaine ou ≥2 jours/semaine. Le genre, l’âge, le niveau d'étude, le type d’emploi (sédentaire ou non), les revenus et le lieu d’habitation (densité) ont été pris en compte.
Dans l'ensemble, 17,3% des européens ont déclaré avoir fait suffisamment d'exercices de renforcement musculaire, soit ≥2 jours/semaine. La prévalence la plus faible a été signalée dans les pays d'Europe du Sud-Est (Roumanie, Malte et Chypre) : 0,7% à 7,4%. Les islandais, suèdois, danois et finlandais ont indiqué les prévalences les plus fortes (respectivement 51,6%, 38,4%, 34,3% et 34,1%).
Les inégalités de richesse peuvent expliquer ces différences. Le RM peut nécessite l'accès à des équipements (haltères, machines, etc.) ou à des infrastructures spécifiques (salles de fitness). Les personnes à plus forts revenus sont favorisées, et les infrastructures communautaires plus accessibles dans les zones à hauts revenus. Autre explication, les représentations culturelles du renforcement musculaire varient fortement d’un pays à l’autre. Il est davantage valorisé dans certains pays.
Le renforcement musculaire n’a été évalué que pendant les loisirs. Celui lié à la pratique professionnelle (port de charges, etc.) ou aux travaux domestiques (jardinage,etc.) n'a pas été pris en compte. Cependant, les progrès technologiques ont entraîné depuis une cinquantaine d’années une diminution de ce type d’effort.
En outre, ces tâches professionnelles et domestiques sont souvent répétitives, à l’origine de positions corporelles contraignantes (se pencher, s'agenouiller, s'accroupir) et d'une intensité trop faible ou d'une durée trop courte pour avoir des effets bénéfiques sur la santé. Ce type de RM est probablement plus délétère que bénéfique ; il est responsable notamment de troubles musculo-squelettiques, d’inflammations chroniques ou d’hypertension. Enfin, l'étude n’a pas pris en compte le RM effectué à l’occasion d’une activité physique de type aérobie comme la natation ou la marche sur une pente.
Comment promouvoir le développement du RM en Europe ? Il s 'agit d’abord d’identifier les populations les plus «à risque». Les hommes et les étudiants ont plus de chances de satisfaire aux recommandations concernant le RM ; des interventions spécifiques doivent donc cibler notamment les femmes, les personnes âgées, et les personnes habitant hors des zones urbaines/métropolitaines à forte densité.
Le RM peut nécessiter l'accès à des équipements de base. Il nécessite surtout que la personne ait confiance en sa capacité à effectuer des exercices tels que des pompes, fentes ou accroupissements. Un frein important est l’existence de stéréotypes négatifs très ancrés : peur d'un gain musculaire excessif, d’une «hyper-masculinisation» chez les femmes, ou tout simplement d’une blessure.
Une politique de promotion du renforcement musculaire passe donc nécessairement par la mise à disposition d’installations communautaires abordables, de subventions pour les équipements à domicile, et de campagnes de communication ciblées présentant le RM comme essentiel pour un bon état de santé et déconstruisant ces stéréotypes négatifs. Une initiative clé serait d’encourager le RM dans les écoles, afin d'instaurer des habitudes que les élèves conserveront tout au long de leur vie.
Cette étude a deux points forts : le recrutement d'un échantillon représentatif dans plusieurs pays, et l'inclusion d'une grande variété de catégories sociodémographiques. Ces données peuvent être comparées à des études futures utilisant une méthodologie similaire.
Son constat est clair : plus de 80% des adultes européens ne respectent pas les recommandations mondiales en matière de renforcement musculaire. Les disparités sont fortes selon les pays. Les campagnes de santé publique dans ce domaine devraient cibler les adultes âgés, les personnes ayant un faible niveau d'éducation ou de revenu, les femmes et les personnes issues de milieux non urbains.