Parmi les nouveautés qui seront introduites avec le nouveau code de la route italien figure l'obligation pour les enfants de moins de 12 ans de porter un casque sur leur vélo. Une mesure destinée à les protéger, qui pour le Dr Donnarumma, neurochirurgien, ne s'attaque pas à la racine du problème : la vitesse des voitures.
J'ai été stupéfait d’apprendre comment était mort Eschyle, le grand poète tragique de la Grèce antique, décédé en Sicile en 456 av. J.-C. La légende raconte qu’il serait mort d’un traumatisme crânien d’origine fort particulière, puisque provoqué par la chute depuis le ciel d'un objet contondant : en l'occurrence, une tortue.
L'Oracle l'avait pourtant prévenu qu'il mourrait de «quelque chose tombant d'en haut» mais Eschyle pouvait-il imaginer que pendant qu’il marchait dans les rues de la belle Syracuse un aigle tournoyant dans le ciel ferait tomber sur lui la proie qu'il tenait dans ses serres ? La tortue, tombant telle une pierre sur la tête chauve du dramaturge le tua sur le coup.
En relisant cette histoire avec les yeux d'un contemporain, nous pouvons nous interroger : si Eschyle avait porté un casque ce jour-là, aurait-il été sauvé ? La réponse qui nous vient à brûle-pourpoint semble évidente. Le casque est cet accessoire si utile pour protéger le crâne des traumatismes en tous genres, causés par des chutes d'objets, ou des chutes tout court.
En Italie, ces jours-ci (et depuis longtemps dans le reste du monde), le débat sur le port du casque pour les cyclistes fait rage. Doit-il être obligatoire ? Qu'en est-il de son efficacité réelle ? Dans une interview au Telegraph, un neurochirurgien anglais qualifiait en 2014 les casques de vélo d'«inutiles»... Je vous propose un aperçu fort instructif des articles les plus récents de la littérature scientifique.
Une étude1 réalisée en 2018 par un groupe d'ingénieurs en mécanique japonais a conclu que le port d'un casque de vélo réduit considérablement le nombre de fractures de la boîte crânienne en cas de choc frontal contre un véhicule (à 35 km/h) ou contre le sol (à 20 km/h). En revanche, un groupe d'ingénieurs américains a publié la même année une étude2 portant spécifiquement sur la forme et le type de casques de vélo, en particulier les casques «légers» qui ne protègent pas précisément les parties temporales.
Ces parties de la boîte crânienne, c’est bien connu, sont très fragiles. Elles sont parmi les plus sensibles aux traumatismes latéraux et obliques. Or ce sont précisément ces types de traumatismes qui sont le plus fréquemment observés dans les accidents de la route. Par ailleurs, certains modèles de casques de vélo – en forme de «bol» par exemple – n’assurent aucune protection de la zone temporale. Cette étude en conclut que, pour améliorer l'efficacité des casques contre les chocs obliques, il est nécessaire d'améliorer les tests sur leurss zones périphériques. Zones pour lesquelles nous disposons de peu de données. Il est également utile de mentionner une étude3 récente (mars 2019) réalisée par un groupe de chirurgiens maxillo-faciaux allemands. Ils ont souligné que si le casque de vélo est utile pour prévenir les traumatismes de la boîte crânienne, il ne l’est pas pour prévenir les traumatismes de la face.
Après cette première revue de la littérature récente, arrêtons-nous un peu et tirons-en quelques conclusions. Si les casques conçus pour rouler à vélo sont relativement utiles pour prévenir les traumatismes crâniens, mais pas toujours efficaces pour limiter les dommages aux zones temporales et absolument inefficaces contre les traumatismes faciaux, pourquoi sont-ils utilisés par les cyclistes en usage urbain ? En effet, puisque une majorité de chocs à la tête se produisent lors de l’impact avec un véhicule qui lui roule à une vitesse bien supérieure, pourquoi les cyclistes n’utiliseraient-ils pas des casques intégraux comme ceux utilisés par les motards ?
Poursuivant notre analyse de la littérature scientifique avec cette étude4 de 2017 menée par un groupe de médecins urgentistes issus de deux grandes universités américaines. Leur travail portait sur les facteurs qui influencent la gravité des blessures des cyclistes impliqués dans des accidents de la route. Parmi les facteurs identifiés : l’utilisation d’une piste cyclable, la consommation d’alcool des protagonistes, l’éclairage, la vitesse et le port du casque. Les chercheurs en ont conclu que les facteurs les plus liés aux traumatismes crâniens des cyclistes sont dans l’ordre :
Ces trois facteurs sont largement plus responsables de la gravité des traumatismes crâniens que l'utilisation ou non de la piste cyclable et, contre toute attente, du port du casque.
Mon expérience de plus de dix ans en tant que neurochirurgien et neurotraumatologue me permet de confirmer que la vitesse est toujours la principale cause de blessures graves dans les accidents de la route. Bref, je ne me souviens pas être jamais intervenu sur une hémorragie cérébrale chez un patient impliqué dans un accident à basse vitesse. Jamais. Par contre, j'ai parfois dû opérer pour cause d’hémorragie intracrânienne des cyclistes pourtant équipés de casques, impliqués dans de très graves accidents pour lesquels ils n'étaient quasiment jamais responsables.
Un casque, même intégral, même incassable, peut certes sauver des vies, mais pas toujours, pas dans tous les cas. Quand la vitesse est excessive, l'énergie cinétique qui est déchargée sur le cerveau peut produire des dommages cérébraux irréversibles même en l'absence de fractures ou de saignements (lésions axonales diffuses5). Sans oublier les lésions cervicales et celles de la jonction cranio-cervicale, qui peuvent être mortelles même en présence d’un casque.
J'ai encore sous les yeux le terrible accident qui coûta la vie au formidable Marco Simoncelli [pilote de Moto GP décédé lors du Grand prix de Malaisie, en 2011, après avoir été percuté par deux concurrents]. Enfin, citons les autres types de dommages, potentiellement mortels ou invalidants : hémorragie abdominale, fractures vertébrales et des membres, lésions vasculaires, lésions pulmonaires, etc.
La plupart des traumatismes crâniens graves chez des cyclistes sont causés par une voiture6. Certains pays commencent à émettre l’hypothèse qu'en augmentant le nombre de cyclistes, et surtout en réservant à leur seul usage la circulation et les routes, le nombre de traumatismes crâniens et leur gravité peuvent être considérablement réduits. C'est le modèle adopté par la ville de New York, qui l’a baptisé «la sécurité par le nombre» [le nombre de New-Yorkais se rendant à leur travail a triplé entre 2005 et 2017]. Un modèle suivi par de nombreuses villes du nord de l'Europe, Copenhague et Amsterdam en tête.
L'augmentation du nombre de cyclistes augmentant leur sécurité, l'objectif est de mettre «en selle» le plus de personnes possible. Les effets de cette politique sont bénéfiques pour tous : pour le cycliste qui réduit son risque cardiovasculaire7, pour les émissions de CO2, pour la qualité de vie dans nos villes, pour le trafic automobile sur nos routes et pour la réduction de tous les types d'accidents de la route.7
Le casque, en tant qu’accessoire de protection, devrait être recommandé aux cyclistes, en particulier aux enfants, aux personnes âgées et aux personnes les plus à risque. Un casque bien conçu, de qualité et bien fixé peut sauver des vies en cas d'accident. Mais son caractère obligatoire peut être discuté, car il a été constaté à plusieurs reprises qu'il dissuade certaines personnes de prendre leur vélo, ce qui s’oppose à ce concept de «sécurité par le nombre». Si l'on veut protéger les cyclistes, voici les mesures les plus efficaces :
Enfin, n’oublions pas un ultime argument clinique. La plupart des traumatismes crâniens provoqués par des accidents de la route ne concernent pas les deux-roues mais bien des piétons et des automobilistes. Ce n’est pas très intuitif, mais il faut rappeler que la plupart des hémorragies cérébrales traumatiques nécessitant une intervention chirurgicale sont causées par l’implication d’un piéton ou par une collision entre deux véhicules. Environ 48% des chirurgies pour traumatismes crâniens sont dues à la vitesse des voitures et à leur effet destructeur.
Comme l'a noté l'Observatoire national de l'environnement et des traumatismes, la principale cause de traumatisme crânien en Italie reste les chutes accidentelles, notamment celles des personnes âgées, à leur domicile (33% du total8). Si les traumatismes crâniens sont aussi fréquents chez les personnes âgées à domicile, chez les piétons et les automobilistes, ne faudrait-il pas recommander voire – petite provocation – rendre obligatoire le port du casque pour ces personnes «à risque» ?
Revenons à notre Eschyle. L'Oracle l'avait pourtant prévenu : quelque chose le frapperait à la tête. Comment nous serions-nous comportés s'il avait vécu aujourd'hui ? Qu'aurions-nous fait ? Lui aurions-nous suggéré de porter un casque en permanence ... même en balade ?
Sources :
1- Matsui Y, Oikawa S, Hosokawa N. Effectiveness of wearing a bicycle helmet for impacts against the front of a vehicle and the road surface. Traffic Inj Prev. 2018;19(7):773-777. doi: 10.1080/15389588.2018.1498089. Epub 2018 Oct 23.
2- Bland ML, McNally C, Rowson S. Differences in Impact Performance of Bicycle Helmets During Oblique Impacts. J Biomech Eng. 2018 Sep 1;140(9). doi: 10.1115/1.4040019.
3- Stier R, Jehn P, Johannsen H, Müller CW, Gellrich NC, Spalthoff S. Reality or wishful thinking: do bicycle helmets prevent facial injuries? Int J Oral Maxillofac Surg. 2019 Sep;48(9):1235-1240. doi: 10.1016/j.ijom.2019.02.018. Epub 2019 Mar 13.
4- Helak K, Jehle D, McNabb D, Battisti A, Sanford S, Lark MC. Factors Influencing Injury Severity of Bicyclists Involved in Crashes with Motor Vehicles: Bike Lanes, Alcohol, Lighting, Speed, and Helmet Use. South Med J. 2017 Jul;110(7):441-444. doi: 10.14423/SMJ.0000000000000665.
5- Sone JY, Kondziolka D, Huang JH, Samadani U. Helmet efficacy against concussion and traumatic brain injury: a review. J Neurosurg. 2017 Mar;126(3):768-781. doi: 10.3171/2016.2.JNS151972. Epub 2016 May 27.
6- Jun Chul Park, In Bok Chang, Jun Hyong Ahn, Ji Hee Kim, Jae Keun Oh, and Joon Ho Song. Epidemiology and Risk Factors for Bicycle-Related Severe Head Injury: A Single Center Experience. Korean J Neurotrauma. 2017 Oct; 13(2): 90–95. Published online 2017 Oct 31. doi: 10.13004/kjnt.2017.13.2.90
7- Kubesch NJ, Therming Jørgensen J, Hoffmann B, Loft S, Nieuwenhuijsen MJ, Raaschou-Nielsen O, Pedersen M, Hertel O, Overvad K, Tjønneland A, Prescot E, Andersen ZJ. Effects of Leisure-Time and Transport-Related Physical Activities on the Risk of Incident and Recurrent Myocardial Infarction and Interaction With Traffic-Related Air Pollution: A Cohort Study. J Am Heart Assoc. 2018 Jul 18;7(15). pii: e009554. doi: 10.1161/JAHA.118.009554.
8- Fernanda Tagliaferri, Christian Compagnone e Franco Servadei, “Inquadramento del trauma cranico e cenni di terapia medica e chirurgica“, in Salute e Sicurezza Stradale: l'Onda Lunga del Trauma, a cura di Franco Taggi e Pietro Marturano, C.A.F.I. Editore, Roma, 2007, pp. 281-292