L'art de convaincre sur les réseaux sociaux : Ariana Grande, Tom Hanks, Kardashian ou le Dr Fauci ? (2/2)
Qui est plus efficace lorsqu'il s'agit de prôner la distanciation sociale ? Les mesures de restriction perdurent, la voix des experts s'essouffle, la tentation est grande de recourir à celle des célébrités. Dr Fauci vs Kim Kardashian ? And the winner is...
Comment transmettre efficacement des messages de santé publique en pleine pandémie ? L’enjeu est crucial puisque, malgré la lassitude de la population, les mesures de précautions devront être poursuivies pendant des mois.
Des recherches antérieures ont porté sur le contenu et la formulation de ces messages. Ainsi, en 2003, l’épidémie de SRAS avait été d’observer que la clarté du discours et l’ouverture du locuteur étaient deux facteurs clés pour optimiser la stratégie de communication. Mais qui sont les mieux placés pour porter ces messages ? Des célébrités ? Des responsables politiques ? Des experts ?
Juste avant la pandémie, des chercheurs en psychologie s’étaient déjà penchés sur la question. D’après les résultats de leur étude, les experts semblaient être les moins performants lorsqu’il s'agissait de convaincre sur les réseaux sociaux. La crise sanitaire fut l’occasion de vérifier cette conclusion.
Leur deuxième étude1, publiée récemment dans la revue PLOS ONE, à cette fois-ci porté sur l’efficacité du porteur d’un message incitant la population au respect de la distanciation sociale. Le «match» opposait cette fois des porte-paroles de trois catégories :
- Deux célébrités mondialement connues qui avaient déjà soutenu la distanciation sociale dans les médias : l’acteur Tom Hanks, lui-même contaminé dès le mois de février, et Kim Kardashian.
- Les responsables politiques en place dans ces pays : Donald Trump, Simonetta Sommaruga (Suisse), Giuseppe Conte (Italie), Pedro Sánchez (Espagne) et Moon Jae-in (Corée du Sud). Le président brésilien Bolsonaro n’ayant pas soutenu publiquement la distanciation, c’est le ministre de la Santé de l’époque, Luiz Henrique Mandetta, qui a été choisi comme porte-parole.
- Un expert médical, le Dr Anthony Fauci, connu dans ces six pays en raison de son expertise en maladies infectieuses et de sa position éminente aux États-Unis.
Une quatrième catégorie consistait en l’absence de porte-parole : l’appel à la distanciation sociale était alors délivré de manière anonyme.
L’étude
L’enquête s’est déroulée du 24 au 30 mars 2020 – soit deux semaines après que l’OMS a déclaré l’état de «pandémie» – dans six pays gravement touchés (Brésil, Italie, Corée du Sud, Espagne, Suisse, États-Unis). Ces six pays avaient émis des recommandations en faveur de la distanciation sociale. À l'exception du Brésil, les rassemblements publics y ont été interdits ou découragés.
- L'étude a été conçue comme un essai contrôlé randomisé dans lequel les données ont été recueillies par le biais d'un formulaire d'enquête en ligne.
- 12.194 répondants ont été recrutés via Facebook, et séparés en huit groupes (par genre et classe d’âge).
- Lorsqu'un répondant ouvrait l'enquête, le message «La distanciation sociale a été soutenue publiquement, entre autres, par...» s’affichait, suivi soit de l'identité d’un porte-parole tirée au hasard, soit sans qu’un porte-parole ne soit mentionné.
- Les répondants devaient ensuite indiquer dans quelle mesure ils étaient susceptibles de partager ce message sur leurs réseaux sociaux.
Résultat
- Dans tous les pays et toutes les strates démographiques, le Dr Anthony Fauci a obtenu le plus haut niveau de volonté de partager son appel à la distanciation sociale. Il a conservé son statut de porte-parole le plus influent quel que soit le niveau de sympathie des répondants à son égard.
- Ce sont ensuite les messages des responsables politiques des six pays qui étaient les plus susceptibles d’être relayés.
- Tom Hanks,ou encore la condition «pas de porte-parole» se situent à mi-chemin
- Kim Kardashian était de loin la porte-parole la moins efficace.
- La probabilité que le message soit partagé augmente avec l'âge des répondants, et lorsque ceux-ci expriment par ailleurs des sentiments positifs à l'égard du porte-parole.
Limites
- L’étude n'a pas mesuré le partage réel des messages, mais la volonté déclarée des répondants de les partager. Toutefois des études antérieures ont montré que de telles déclarations étaient suivies d’effets.
- Seuls quatre porte-paroles ont été comparés. Il faudrait que d’autres recherches portent sur des porte-paroles appartenant à d’autres sphères sociales, notamment religieuses. En effet, dans cette étude, la religiosité des répondants faisait partie des corrélations les plus élevées du partage des messages.
- Il faudrait élucider précisément les propriétés qui rendent un porte-parole plus efficace qu’un autre.
Doit-il être un expert reconnu ? Être titulaire d'un doctorat en médecine ? Être âgé ? Être très médiatisé ?
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Une piste intéressante serait de répéter cette étude mais avec une «série» de porte-paroles au profil quasiment similaire, afin d’identifier parmi leurs spécificités démographiques ou biographiques celles qui les rendent plus à même de relayer efficacement les messages de prévention.
- L'effet des porte-paroles n’est identique dans tous les segments de la population. Plusieurs porte-paroles pourraient être nécessaires pour toucher également l’ensemble de la population. Le partage des messages de prévention sur les réseaux peut augmenter s'il est encouragé par des cercles sociaux qui ne se chevauchent pas.
- Enfin, on peut se demander si la «montée en puissance» du Dr Fauci peut réellement être considérée comme un phénomène mondial. Mais les résultats de l’étude sont cohérents dans les six pays, y compris dans ceux dont le contexte culturel est très différent et où le Dr Fauci pouvait alors être considéré comme un «simple» expert.
Le cas du Brésil est particulier : le ministre de la santé y jouait un rôle d'opposition au gouvernement similaire proche de celui du Dr Fauci aux États-Unis.
Conclusions
Les chercheurs concluent que «les experts scientifiques et les gouvernements ne doivent pas sous-estimer leur pouvoir d'information et de persuasion en temps de crise et soulignent l'importance cruciale de choisir le messager le plus efficace pour propager des messages d'informations vitaux pendant une pandémie.»
Afin de lutter contre la désinformation, les gouvernements peuvent être tentés de recourir aux célébrités pour relayer leurs messages. Cela peut aussi leur sembler efficace dans un contexte d'affaiblissement, au fil du temps, de la parole des experts. D’après cette étude, il conviendrait plutôt de soutenir ces derniers.
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Note :
The effect of spokesperson attribution on public health message sharing during the COVID-19 pandemic
Ahmad Abu-Akel, Andreas Spitz, Robert West
https://doi.org/10.1371/journal.pone.0245100