En 2015, je fus le premier à utiliser un robot Da Vinci Xi pour une chirurgie de reconstruction du sein. L’Institut Gustave Roussy était équipé depuis peu de ce modèle, doté de quatre bras articulés. Il était déjà utilisé pour la chirurgie viscérale, gynécologique, urologique, etc. mais personne n’avait eu l’idée de l’utiliser pour le sein et le Da Vinci Xi n’était pas agréé pour cet organe.
J’ai tout de suite vu l’intérêt du robot, car il pouvait résoudre un problème récurrent lié à la chirurgie traditionnelle de reconstruction du sein : la cicatrice. D’abord parce qu’une cicatrice placée près du sein rappelle en permanence à la patiente qu’elle a subi une ablation. Ensuite, parce que ce type d’intervention peut entraîner des complications comme une nécrose ou une infection.
Grâce au robot, j’ai pu diminuer la taille de la cicatrice. Elle ne fait plus que 3-4 cm environ, versus 10 cm pour une chirurgie classique. Surtout, j’ai pu placer la cicatrice à distance, sous l'aisselle de la patiente.1 Ça change tout car la cicatrice devient invisible, cachée sous le bras, lorsque la personne se regarde dans un miroir. J’ai reçu des patientes qui venaient de toute la France et même de l’étranger car elles étaient porteuses de mutations génétiques qui les prédisposent au cancer du sein. Ces personnes refusaient l’opération à cause de la cicatrice. Désormais certaines l’acceptent, et avec cette technique elles ont ensuite beaucoup moins l’impression d’être mutilées.
Autre avantage, l’incision est éloignée des tissus cutanés du sein qui sont particulièrement fragilisés après une mastectomie. On insuffle du gaz durant l’intervention, donc il n’y a plus besoin de placer des écarteurs sous la peau. Au final, la vascularisation des tissus est préservée, ce qui diminue le risque de nécrose. Quant au risque d’infection, il est aussi réduit car la prothèse n’est plus au contact direct de la cicatrice. Seul bémol, cette technique ne convient pas à toutes les formes de seins, notamment s’ils sont trop volumineux ou présentent une ptose trop prononcée.
En 2015, j’ai eu l’autorisation d’opérer 80 patientes dans le cadre de l'étude clinique MARCI. Il s'agissait uniquement de personnes porteuses d’une mutation génétique qui les prédisposent au cancer. La première intervention a duré sept heures. Désormais, il faut une heure trente environ par sein, comme pour une chirurgie classique. Au final, j’ai opéré 130 seins.
«J’ai décidé de me faire enlever les deux seins de manière préventive après avoir découvert que je portais la mutation BRCA. Mon histoire personnelle et ma confiance dans la médecine ont motivé ce choix. Une fois ma décision prise, j’ai opté pour la solution inédite que me proposait le Dr Sarfati. J’ai préféré attendre huit mois, dus au délai d’obtention des autorisations, avant de pouvoir me faire opérer avec le robot qui évite une cicatrice sur le sein. Cette technique permettrait de supprimer un risque énorme de développer un cancer du sein sans mutiler la poitrine.» 2
Anna, première patiente opérée par le Dr sarfati dans le cadre de l'étude MARCI
Parce que le robot n’avait pas l’agrément pour ce type de chirurgie. L’étude est terminée depuis un an et demi. Grâce à ses résultats concluants la société Intuitive qui fabrique le robot a pu demander le marquage CE pour la chirurgie du sein. Elle vient à peine de l'obtenir et uniquement pour les interventions prophylactiques.
Durant tout ce temps je pouvais opérer des patientes venant du Brésil, des USA, etc. mais pas européennes. C’était rageant. En Asie, il y a eu un fort engouement pour cette technique, et vu qu’ils n’ont pas ce frein des autorisations les chirurgiens l’utilisent déjà au quotidien. Par contre, les américains en sont encore au stade de l’étude.
Nous allons enfin pouvoir créer à Gustave Roussy le centre de formation de référence pour cette technique. L’attente est énorme. La demande de chirurgie prophylactique a explosé avec la banalisation des dépistages génétiques et les progrès dans le domaine de la reconstruction mammaire. Nous devrons d’abord monter une équipe de formateurs. Je ne pourrai pas tout faire seul, d’autant plus que j’ai aussi une activité libérale de chirurgie esthétique.3
250 établissements français sont déjà équipés d’un Da Vinci. Pour les chirurgiens gynécologiques déjà habitués au robot, la formation sera rapide. Pour les néophytes, il faudra apprivoiser le robot puis apprendre spécifiquement notre technique, en quatre temps : formation théorique, observation au bloc opératoire, formation sur cadavre puis mentoring grâce aux doubles commandes.
Ils sont enthousiastes, que ce soit en France ou à l’étranger. Ils veulent venir à Paris se former. Le robot s’implante de plus en plus au bloc opératoire, en orthopédie, en neurologie, etc. C’est l’avenir de la chirurgie. Évidemment, il y a toujours des réfractaires, adeptes du «On faisait très bien avant». Certains estiment que les patientes se fichent des cicatrices. Je crois qu’ils finiront par se rendre à l'évidence : lorsqu’elles auront le choix, les patientes opteront pour la chirurgie robotique. Le coût est pour l'instant d’environ 3000 € par intervention. Le robot proprement dit coûte environ deux millions d’euros mais en France des dizaines d'établissements sont déjà équipés.
La priorité est maintenant de réaliser des études pour valider cette technique dans le cadre du traitement chirurgical d’un cancer. Mais il ne faut pas chercher à utiliser le robot à tout prix. Par exemple, le robot a peu d’intérêt pour la chirurgie esthétique car les incisions sont déjà de taille restreinte.
Propos recueillis par Benoît Blanquart
Notes :
1- Les techniques chirurgicales classiques entraînent une cicatrice située sur le sein, dans le pli du sillon sous-mammaire ou plus rarement sur le bord de l'aréole.
2- Institut Gustave Roussy – «Elles témoignent»
3- docteursarfati.com