La pandémie COVID-19 a incité de nombreux médecins à partager sur les réseaux sociaux études scientifiques et expériences acquises sur le terrain. En Italie, c’est sur un groupe Facebook réunissant près de 100.000 médecins qu’a été publiée une lettre aux représentants des institutions en charge de la santé.
Le groupe facebook «Coronavirus, Sars-CoV-2 e COVID-19 gruppo per soli medici», fondé fin février, réunit actuellement plus de 99.000 médecins. Des dizaines de messages et des centaines de commentaires quotidiens en font l'un des groupes de médecins italiens les plus actifs. C’est dans ce groupe qu’est née l’idée d'écrire une lettre aux principaux responsables des institutions en charge de la santé : ministre de la Santé (Roberto Speranza), président de la FNOMCeO (Dr Filippo Anelli)1 et présidents des Ordres médicaux régionaux.
Cette lettre, publiée le 17 avril, n’a pas été signée par tous les membres du groupe. Mais c’est l’un d’eux qui en a eu l’idée, et la rédaction a été coordonnée par les administrateurs et modérateurs. Les signataires sont issus de «toutes les spécialités et de tous les services territoriaux et hospitaliers dispersés dans toute l’Italie.» Leurs demandes sont faites «indépendamment des affiliations politiques ou syndicales.»
Les appels émis précédemment par des organisations médicales portaient sur la sécurité des médecins : mise à disposition de tests et d’équipements de protection. Celui-ci va plus loin, en demandant davantage de prérogatives pour la médecine de ville.
«Nous sommes quasiment tous arrivés aux mêmes conclusions : les patients doivent être traités le plus rapidement possible sur le terrain, avant la maladie proprement dite, c'est-à-dire la pneumonie interstitielle bilatérale, qui conduit presque toujours le patient en réanimation.» Dans cette lettre, les médecins commencent par rappeler qu’«environ 15% de ces patients évoluent rapidement vers une pneumonie interstitielle bilatérale sévère et environ 5% vers un syndrome de détresse respiratoire aiguë, un choc septique et une défaillance multi-organique significativement associés à la mort.»
C’est pourquoi ils demandent «le renforcement de la médecine territoriale, véritable point faible du Service national de santé, avec la possibilité d'activer des équipes spéciales.» Ces équipes - chargées d'assurer le suivi à domicile des patients Covid-19 - devaient être déployées dans toutes les régions à raison d'une unité pour 50.000 habitants.2 Mais les médecins constatent que «beaucoup d'entre elles, en particulier dans le Sud, n'ont pas encore commencé.» Ils souhaitent qu’elles soient activées «de manière homogène, sans bureaucratie excessive, en utilisant l'expérience de chacun d'entre [eux] dans le traitement des patients à un stade précoce.»
Pour les signataires, la reconnaissance des premiers symptômes, même en présence de prélèvements pharyngés négatifs - ils évaluent les faux négatifs à 30% - relève de leur expérience clinique. Ils demandent donc à pouvoir exercer «sans obstacles bureaucratiques, pour prescrire des médicaments, des prélèvements, des gazs du sang, des radiographies, des scanners pulmonaires» car «tous ces éléments soutiennent la clinique, mais ne la remplacent pas».
La question des traitements est clairement abordée dans cette lettre. Rappelons que l’Agence italienne du médicament (AIFA) n'autorise l’utilisation des antiviraux et de l’hydrochloroquine que dans le cadre d'essais cliniques ou en milieu hospitalier,3 et que la question des traitements est aussi vive en Italie qu'en France. Les médecins signataires réclament la possibilité de prescrire ces «thérapies non conventionnelles, dont certaines sont déjà autorisées par l’AIFA» car ils sont arrivés à la conclusion «qu'un traitement précoce peut arrêter l'évolution de l'infection vers la maladie et donc endiguer l’épidémie.»
Les signataires de la lettre concluent en justifiant leur requête. «Nous le demandons pour que tous les efforts déployés jusqu'à présent en matière de distanciation sociale ne soient pas contrariés.» Ils s’inquiètent d'une deuxième vague d'admissions en urgence de patients actuellement sous surveillance active, mais qui n'ont pas encore fait l'objet d'une évaluation clinique et qui attendent toujours des tests.
Les médecins réclament donc une cartographie des patients, asymptomatiques ou paucisymptomatiques, et de tous les proches des cas confirmés. «C’est indispensable pour ne pas tomber dans un cercle vicieux, avec des vagues de retour de contagion et de réactivation de nouveaux foyers à la fin des mesures de distanciation sociale». Une inquiétude grandissante à l’approche du 3 mai, date prévue pour la fin du confinement.
«Je partage totalement le contenu de la lettre ouverte envoyée par les confrères et je les remercie pour leurs sollicitations» a répondu dans une note le président du FNOMCeO, Filippo Anelli. Il estime que «Beaucoup de questions soulevées ont été traitées» par l’Ordre, dont «la demande à l’AIFA pour la décision d'utiliser l'hydroxychloroquine et les antiviraux à domicile». Pour le président de l’Ordre, «il est nécessaire de combler le fossé entre les administrateurs et les professionnels de la santé, qui conduit à l'absence de mesures de sécurité sur le lieu de travail.» Dans sa réponse, il évoque enfin la nécessité «de réorganiser les hôpitaux afin qu'ils puissent reprendre le traitement des patients non-civid-19» tout en assurant la sécurité des professionnels de santé, «un droit constitutionnel, et non une concession.»
Pour Roberto Speranza, «Bon nombre des questions avancées font partie de la stratégie en 5 points que nous poursuivons», dont les enquêtes sur la séroprévalence. Le ministre de la Santé considère également que le thème du territoire est «crucial». Il souligne enfin que le ministère de la Santé et l’AIFA travaillent à plein régime pour identifier les thérapies les plus efficaces.»
Références :
1- Federazione Nazionale degli Ordini dei Medici Chirurghi e degli Odontoiatri (équivalent de l’Ordre des médecins).
2- Nommées USCA (Unità Speciali di Continuità Assistenziale), ces équipes sont composées de médecins généralistes et spécialistes et sont actives tous les jours de 8h à 20h. Les médecins perçoivent une rémunération brute de 40 euros par heure pour les activités exercées au sein de cette unité. Les USCA ont été créées par un décret ministériel du 10 mars 2020.
3- «Dans le contexte de COVID-19, ces médicaments ne doivent être utilisés que dans le cadre d'essais cliniques ou conformément à des protocoles convenus au niveau national.»
Comunicazione EMA su clorochina e idrossiclorochina (23 avril 2020)