Internet des objets et m-santé

Les objets connectés interagissent avec le monde physique via des capteurs. Ils génèrent des données précieuses pour alimenter les intelligences artificielles. Cet «Internet des objets» envahit le champs de la santé. Il facilite l’auto-mesure chez les patients et s’invite dans la pratique quotidienne des médecins. Ce flux de données de santé rendra d’autant plus nécessaire leur traitement par des IA.


Joris Galland est spécialiste en médecine interne. Après avoir exercé à l'hôpital Lariboisière (AP-HP) il a rejoint le CH de Bourg-en-Bresse. Passionné de nouvelles technologies, il se propose dans notre blog «Connexion(s)» de nous en expliquer les enjeux.


Nous avons vu dans un précédent article que le développement des intelligences artificielles (IA) dépend en grande partie du recueil d’une masse colossale de données, les big data. C’est grâce à ces data que les IA apprennent, s’autoprogramment, se perfectionnent.

Avant l’ère d’Internet et des réseaux sociaux, le recueil de données en masse était inimaginable ! Dans les années 1990, le recensement de la population française entière prenait plusieurs mois (voire plusieurs années pour traiter les données) et nécessitait de déployer des moyens humains et financiers colossaux. Il se ferait désormais en seulement quelques secondes.

De nos jours, Internet et les réseaux sociaux sont de formidables outils pour cette collecte de masse en un temps record. En 2018, les plus de deux milliards d’utilisateurs actifs de Facebook ont généré quatre pétabits de données par jour, c’est-à-dire deux fois la masse de données que l’on trouve dans tous les livres de l’ensemble des bibliothèques universitaires américaines.1

La création et le recueil de cette masse faramineuse de données s’accélèrent d’année en année ; c’est pourquoi les IA ne cessent de se multiplier et d’améliorer leurs compétences. L’essor des objets connectés et de l’internet des objets (Internet of Things, IoT en anglais) joue un rôle prépondérant dans cette révolution des data.  


Définition et description de l’IoT

A la fin du XXe siècle, l’accès à internet était limité aux seuls ordinateurs. Très rapidement l’Internet s’est répandu dans des objets plus en plus insolites (réfrigérateurs, aspirateurs, etc.) et de plus en plus portatifs (tablettes, smartphone, montres). Ces objets sont désormais capables non seulement de télécharger des données mais aussi d’en générer grâce à des capteurs, voire d’interagir avec le monde physique : c’est ce qu’on appelle «l'Internet des objets».

L’IoT est l’évolution naturelle des technologies, c’est un lien inévitable entre le monde numérique et le monde physique. Dès les années 2010 l’IoT a pris son envol avec l’utilisation exponentielle des smartphones. En 2020 on estime à 50 milliards le nombre d’objets connectés dans le monde. Nos téléphones sont les plus gros générateurs de données : en France, la durée moyenne d’utilisation des réseaux sociaux était en moyenne de 153 minutes par jour en 2017, pour un temps d’écran quotidien de plus de quatre heures. En 2020, pendant la période de confinement, cette durée moyenne a atteint plus de cinq heures par jour. Le monde des data a de beaux jours devant lui.

Le téléphone portable n’est pas le seul objet à générer des data et à interagir avec notre environnement physique. Le catalogue des objets connectés - pour la plupart monotâches - ne cesse de s'étoffer. Ils sont omniprésents dans notre quotidien : montres, enceintes de salon, voitures avec aides à la conduite, caméras de circulation routière , capteurs pour la prédiction de catastrophes écologiques, détection d’incendies, analyse de l’air, robots à domicile pour le ménage, etc. Ces objets sont capables d’acquérir des signaux issus du monde physique (génération de data via des capteurs) mais aussi d'agir sur le monde physique (déclencher une alarme, activer un robot de ménage, etc.).

Les mondes de l’électroménager et de l’automobile possèdent sans doute les domaines d’IoT les plus médiatisés. Mais l'univers de la santé n’est pas en reste, à tel point que la prise en charge des patients et le quotidien des professionnels de santé seront totalement bouleversés d'ici quelques années.


L’IoT déferle sur la santé  

«Votre smartphone sera votre futur stéthoscope» ; c’est la métaphore que j’avais utilisée en 2015 lors d’une conférence sur la e-santé.2 En 2020 cette prédiction se vérifie avec l’émergence de la m-santé (m-health pour mobile health) qui regroupe les objets portables connectés utilisés par les professionnels de santé (saturomètres, échographes portatifs, applications, etc.).

Le Conseil national de l’ordre des médecins a publié un rapport (2015) pour définir la m-santé et préciser ses différentes catégories : «les pratiques médicales et de santé publique reposant sur des dispositifs mobiles tels que téléphones portables, systèmes de surveillance des patients, assistants numériques personnels et autres appareils sans fil».

325.000 apps de santé sont désormais disponibles sur smartphone, dont 78.000 nouvelles en 2017. Ces applications séduisent les français : ils étaient 43% a déclarer les utiliser au quotidien en 2016, et probablement bien plus désormais.3 Par ailleurs, le monde de la santé a été bouleversé par l’arrivée des objets connectés et robots chirurgiens.

L’engouement croissant pour les appareils de santé connectée (smartphones, montres, vêtements, etc.) a permis l'émergence du «quantified-self» : l’automesure par le patient en temps réel. Exemple édifiant, celui des montres connectées vendues à 46 millions d'exemplaires dans le monde en 2018. La moitié étaient des Apple™ Watch, un modèle qui peut enregistrer la fréquence cardiaque, reconnaître les arythmies, faire un électrocardiogramme (rien que ça !), évaluer nos efforts physiques (calories brûlées, nombre de pas, distance, etc. Le dernier modèle est même équipé d’une fonction de saturométrie [lire à ce sujet Évaluer des patients Covid-19 à risque cardiaque avec une montre connectée]. Il y a déjà des exemples dans la littérature montrant que la montre d’Apple a sauvé des vies (mon avis personnel est qu’elle en sauvera d’autres). Pour les personnes diabétiques des prototypes de montres permettent déjà de lire la glycémie en temps réel afin d’adapter au mieux l’insulinothérapie [lire à ce sujet Mesure de la glycémie par montre connectée].

Inutile de préciser que cette masse d’informations médicales collectées ne pourra jamais être lue et interprétée par une seule personne.  Impossible pour un médecin généraliste d'analyser chaque jour les paramètres vitaux de ses 2.000 patients, en plus de son activité de consultation. Une IA sera donc nécessaire pour interpréter les données l'alerter seulement en cas d’anomalie. 

Le recueil de données physiologiques en temps réel, couplé à l’analyse des données par l’IA, participera indéniablement à l’émergence d’une médecine prédictive et préventive qui traquera les pré-symptômes d’une maladie. Les exigences des patients iront sans doute dans ce sens et la sécurité sociale saisira cette opportunité : prévenir coûte moins cher…

La vague m-health s’invite également dans le quotidien des professionnels de santé. Quel médecin n’a jamais consulté son smartphone au chevet d’un patient ou fait une recherche médicale sur Google ? Mieux, le smartphone deviendra littéralement un échographe-stéthoscope avec l’arrivée des sondes d’échostéthoscopie ultra-portables. Le projet EchoPen4 soutenu par l’AP-HP promet une sonde d’échographie qui tient dans la poche, reliée en wifi au smartphone, avec une qualité d’image impressionnante et pour une centaine d’euros seulement. À peine plus cher qu’un stéthoscope traditionnel.

L’arrivée de la 5G permettra d’autres prouesses technologiques. Par exemple, opérer un patient avec un robot, à distance et en routine. Cet exploit est déjà réalisable mais reste pour l'instant exceptionnel car il nécessite des connexions ultra-sécurisées et coûteuses. Autre avantage attendu, le déploiement accéléré de la télémédecine.


Des promesses et des ombres 

Le quantified self est donc une nouvelle arme au service de la santé. Les patients sont de plus en plus portés sur les nouvelles technologies ; surconsommateurs de réseaux sociaux et d’objets connectés, ils fournissent les data nécessaires pour perfectionner les intelligences artificielles.

Cet avenir étincelant de la médecine a un prix. Les GAFAMI américaines (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft, Intel) et BATX chinoises (Baidu, Alibaba, Tecent, Xiaomi) conservent le monopole technologique et collectent une part importante des données générées par l’IoT. Or ces mêmes entreprises ont un quasi-monopole en matière d’IA. La médecine du futur sera-t-elle dans les mains de firmes informatiques plutôt que dans celles des professionnels de la santé ou des entreprises spécialisées ?
GAFAMI, BATX et Santé… L’objet de mon prochain post !



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Références : 
1- https://www.blogdumoderateur.com/chiffres-reseaux-sociaux/
2- https://www.canal-u.tv/video/canal_u_medecine/conference_sur_la_sante_connectee.17335
3- https://www.conseil-national.medecin.fr/sites/default/files/external-package/edition/lu5yh9/medecins-sante-connectee.pdf
4 - http://www.echopen.org/