Indiquer les calories sur les menus des restaurants pourrait éviter des milliers de décès

Selon une étude, plus de 9.000 décès dus à des maladies cardiaques pourraient être évités en Angleterre au cours des 20 prochaines années si les restaurants affichaient les calories.

Indication des calories obligatoires sur les menus en Angleterre pour lutter contre l'obésité

Au Royaume-Uni, plus d'un adulte sur quatre est obèse, et les chiffres devraient encore augmenter. À titre de comparaison, en France, le taux d'obésité des adultes est de 17%1. Le 6 avril de l'année dernière, une nouvelle réglementation est entrée en vigueur au Royaume-Uni pour ralentir cette tendance : les menus des restaurants et de la restauration à emporter doivent indiquer la teneur en calories de chaque plat, même en ligne, si les entreprises ont plus de 250 employés.

Une législation similaire est à l'étude au Pays de Galles et en Écosse. Elle a été introduite également dans d'autres parties du monde, comme les États-Unis en 2019 et certaines parties de l'Australie.

Les premières estimations de l'impact de cette réglementation suggèrent qu'elle pourrait prévenir ou retarder environ 730 décès dus à des maladies cardiovasculaires entre 2022 et 2041. Les bénéfices pour la santé seraient plus importants encore si cette réglementation s'appliquait à l’ensemble des établissements de restauration. Dans ce scénario, environ 9.200 décès dus à des maladies cardiovasculaires pourraient être évités dans les vingt prochaines années.

Des études antérieures menées au Royaume-Uni, aux États-Unis et au Canada suggèrent que l'indication des calories dans les menus incite non seulement les gens à commander des repas contenant environ 47 kcal de moins, mais aussi les entreprises de restauration à réduire la teneur en calories moyenne de leurs repas de 15 kcal.

Les calories sur les menus peuvent-elles vraiment réduire l’impact des maladies cardiovasculaires ?

Les auteurs de l'étude ont modélisé deux scénarios : 

Ces deux scénarios ont été comparés à un scénario de base prévoyant l'absence de toute réglementation et supposant que la prévalence de l'obésité en Angleterre en 2041 sera de 27%.

Selon les auteurs de l’étude, les résultats suggèrent donc qu’étendre l'obligation d'indiquer les calories sur les menus à tous les établissements de restauration anglais pourrait jouer un rôle important dans les futures stratégies gouvernementales de lutte contre l'obésité visant à aider les gens à faire des choix d’alimentation plus sains.

De plus, les chercheurs encouragent le gouvernement à poursuivre et à renforcer la stratégie de prévention de l'obésité en Angleterre via un large éventail de politiques, comprenant par exemple la lutte contre le marketing de la malbouffe ou l'augmentation des taxes pour l'industrie des boissons non alcoolisées. Cela permettrait de réduire à la fois l'obésité et l'écart choquant des inégalités sanitaires au sein de la société.

Les auteurs soulignent cependant que leur étude présente certaines limites, notamment le fait que les données sur la réduction des calories associée à la politique dans le modèle ont été prises à partir d'études américaines, qui pourraient ne pas être applicables à la population anglaise. De plus, ils soulignent que l'étude a uniquement modélisé l'obésité chez les adultes et n'est donc pas en mesure d'examiner l'impact sur l'obésité infantile.

Commentaires et critiques du modèle prédictif

Dans un commentaire, le Dr David D. Kim de l'Université de Chicago, qui n'a pas participé à l'étude, a déclaré : « Les preuves acquises à partir de conceptions d'étude conventionnelles sont parfois insuffisantes pour éclairer les décisions politiques. Elles ont tendance à se concentrer sur des résultats de santé à court terme (par exemple, des variations de poids ou des biomarqueurs) et pourraient ne pas représenter une population hétérogène. Il est peu probable qu'elles évaluent toutes les options pertinentes pour les politiques. La modélisation et la simulation peuvent toutefois contribuer à combler une lacune en matière de preuves en éclairant de multiples processus pertinents, en testant une multitude de scénarios plausibles qui seraient irréalisables et non viables dans les essais, en quantifiant l'ampleur des conséquences prévues et non prévues et en ayant la possibilité d'ajuster et de perfectionner les conceptions avant une expérimentation ou une mise en œuvre effective dans le monde réel. ».

Certains chercheurs ont pour leur part critiqué l'hypothèse de base de l'étude. Les auteurs de la recherche ont supposé que la mise en œuvre de l'indication des calories dans les menus réduirait la consommation d'énergie de 47 kcal (IC à 95 % : 15-78) pour chaque repas pris à l'extérieur. Ces estimations ont été tirées de la revue Cochrane et de la méta-analyse des essais contrôlés randomisés de Crockett et collègues. Les auteurs se basent sur cette hypothèse pour leur étude statistique prédictive. Selon les critiques, cette étude n'a pas été conçue pour vérifier les hypothèses de la revue susmentionnée de 2018, et elle souligne que les conditions préalables à la pandémie et à la crise économique pourraient ne pas refléter avec précision le comportement alimentaire actuel. En outre, ils émettent des doutes sur la prétendue uniformité des effets de l'indication des calories dans différentes catégories démographiques.

D'autres soulignent les complexités et les incertitudes impliquées dans l'évaluation de l'effet de l'indication des calories. Ils remettent en question l'hypothèse selon laquelle l'indication des calories entraîne automatiquement une réduction de la consommation de calories, en soulignant que certaines études suggèrent plutôt une augmentation de la consommation de calories en réponse à cette mesure (les gens commencent à ne plus y prêter attention, certains groupes peuvent raisonner en cherchant à obtenir un meilleur rapport qualité-prix).

Enfin, des préoccupations sont soulevées quant à l'impact financier et à la faisabilité du nouvel étiquetage pour les petites entreprises alimentaires, ainsi que sur le manque de prise en compte des effets négatifs potentiels, tels que le déclenchement ou le renforcement de troubles alimentaires. En effet, la loi actuelle a déjà suscité l'intérêt des associations anglaises qui s'occupent des troubles alimentaires, car cette mesure peut constituer un obstacle à manger à l'extérieur avec la famille et les amis pour les personnes qui se remettent d'un trouble alimentaire. Si la politique d'indication des calories dans les menus devait être étendue à toutes les activités de restauration, le risque pourrait être encore plus élevé.

"Tous les modèles sont faux, mais certains sont utiles"

Le professeur Kevin McConway, professeur émérite de statistique appliquée à l'Open University, a déclaré : « On pourrait se demander pourquoi cela vaut la peine d'être fait. Les modèles statistiques, en particulier ceux qui sont prédictifs, font souvent l'objet de mauvaises critiques dans la presse, car les choses ne se passent pas comme prévu par le modèle. Toutefois, de nombreux statisticiens (dont moi-même) citent souvent un éminent statisticien anglo-américain du XXe siècle, George Box, qui a dit : Tous les modèles sont faux, mais certains sont utiles. Les modèles simplifient inévitablement ce qui se passe dans le monde réel, ils en déforment donc certains aspects, tout comme une carte ne représente pas exactement ce qu'il y a sur le terrain. Mais les modèles peuvent nous donner une idée de ce qui s'est passé, ou de ce qui pourrait se passer, ce qui peut être très utile, tout comme une carte. Dans le cas étudié, les décideurs politiques doivent décider s'il faut ou non modifier les règles régissant l'indication obligatoire des calories pour les aliments fournis et consommés à l'extérieur sans pouvoir observer ce qui se passera au cours d'une période future de 20 ans. Un bon modèle, utile, peut les aider à comprendre ce qui pourrait fonctionner et ce qui ne fonctionnerait pas. Cela leur permet de comparer l'impact de différents choix politiques, d’une manière qui serait impossible à faire avec d'autres méthodes. On peut être assez confiant pour affirmer que les prévisions de cette étude de modélisation ne se réaliseront pas exactement comme prévu et, avec le recul, pourraient s'avérer assez imprécises. Mais, l'exercice indiquera quelles caractéristiques semblent être importantes et où résident les plus grandes incertitudes. ».

Sources

  1. Obésité en France : un enjeu de santé publique, viepublique.fr, 9 mai 2023
  2. Colombet Z, Robinson E, Kypridemos C, Jones A, O'Flaherty M. Effect of calorie labelling in the out-of-home food sector on adult obesity prevalence, cardiovascular mortality, and social inequalities in England: a modelling study. Lancet Public Health. 2024 Mar;9(3):e178-e185. doi: 10.1016/S2468-2667(23)00326-2. PMID: 38429017.
  3. Kim DD. The role of simulation modelling in public health policy evaluation. Lancet Public Health. 2024 Mar;9(3):e150-e151. doi: 10.1016/S2468-2667(24)00027-6. PMID: 38429013.
    Science Media Centre. Expert reaction to modelling study looking at menu calorie labelling, and obesity and deaths from cardiovascular disease in England. 28 february 2024