- APA Styner, James K. MD The Birth of Advanced Trauma Life Support, Journal of Trauma Nursing: April-June 2006 - Volume 13 - Issue 2 - p 41-44
- ATLS student course manual, The American College of Surgeons, 10 ed.
En 2025, dans tous les hôpitaux, un patient avec un traumatisme est pris en charge par un personnel spécifiquement formé à ce type d’urgence. Tous les intervenants savent ce qu'ils font et agissent à l'unisson, sous la coordination d'un chef d'équipe. Ils suivent un parcours de soins codifié, appelé ATLS (Advanced Trauma Life Support).
Ce protocole repose sur des évaluations répétées, schématiques et simplifiées des signes et symptômes spécifiques, ainsi que sur l’identification et la prise en charge immédiates des complications vitales. Il permet de standardiser la réponse aux traumatismes et d’assurer une prise en charge précoce du patient selon le principe : « le bon patient, dans le bon hôpital, au bon moment ». Il optimise également l’utilisation des ressources, en facilitant, par exemple, les décisions concernant l’activation d’un transfert en hélicoptère ou la nécessité d’un scanner en urgence. En définitive, il contribue à améliorer les résultats pour les patients.
Mais comment ce système a-t-il vu le jour ? Voici l’histoire du Dr James Styner, dont l’expérience personnelle a changé la prise en charge des traumatismes.
Pour comprendre comment les événements se sont enchaînés, il faut remonter dans le temps et traverser l’Atlantique…
Nous sommes au Nebraska, aux États-Unis. Cet État couvre 200 520 km² pour à l’époque 1 490 000 habitants, ce qui correspond à une densité d’environ 7 habitants au km². Avec ses kilomètres et kilomètres de pâturages, ses quelques villes ici et là et surtout ses immenses étendues vides, on l’appelle le “territoire des Grandes Plaines”.
Notre histoire se passe en 1976. Vol au-dessus d’un nid de coucou, de Miloš Forman, remporte l’Oscar du meilleur film, et les Eagles, Bob Dylan et Queen dominent les charts. La SIMCA 1307-1308 est la voiture de l’année tandis que le téléphone portable n’est encore qu’un prototype. Les secours préhospitaliers, que ce soit aux États-Unis ou en Europe sont alors essentiellement assurés par des bénévoles non formés, sans organisation centralisée, avec des véhicules de fortune, souvent civils. Parfois, ils utilisent même des corbillards, car ce sont les seuls véhicules disponibles adaptés à un brancard.
Notre personnage principal est le Dr James Styner, un chirurgien traumatologue et pilote d’avion amateur exerçant à Lincoln dans le Nebraska. Un après-midi de février, il monte à bord de son avion avec sa femme et ses quatre enfants pour rentrer de Californie.
Après cinq heures de vol, la fatigue se fait sentir. Il décide de faire une escale pour se ravitailler en carburant. Il repart cependant assez vite pour devancer une tempête qui s’annonce.
À 18 heures, alors qu’il est arrivé dans le Nebraska, il se trouve face à une couche de nuages bas. Il est alors épuisé et il fait nuit. S’il sait s’orienter en vol à vue, Styner n’est pas qualifié pour le vol aux instruments. Comme il ne peut pas faire demi-tour à cause de la tempête, il décide alors de descendre en altitude pour sortir des nuages et gagner en visibilité. Mais il descend trop bas et perd ses repères. Il percute alors une rangée d’arbres et l’avion s’écrase au sol.
Credits: American College of Surgeons
Sa femme, Charlene, est touchée à la tête par un morceau du moteur. Elle meurt sur le coup.
Parmi ses quatre enfants, seul l’aîné âgé de 10 ans, Chris, reste conscient. Il a une fracture du bras. Les trois autres enfants, Randal, 8 ans, Richard, 7 ans et Kimberly, 3 ans ont subi de graves traumatismes crâniens et perdu connaissance. Styner souffre lui-même d’un traumatisme thoracique et d’une fracture de l’orbite.
Terrifié, aveugle d’un œil et souffrant, Styner n’a qu’une obsession : sauver sa famille. Avec l’aide de Chris, il parvient à sortir ses trois autres enfants inconscients de l’épave de l’avion pour les éloigner de ce qu'il perçoit comme le premier grand danger : un possible incendie.
Il retrouve ensuite sa femme à une centaine de mètres, mais comprend immédiatement qu'il ne peut plus rien faire pour elle.
Le feu ne représente plus une menace. Même s'ils sont encore inconscients, les enfants ne présentent pas d'hémorragies externes visibles. Styner identifie cependant un nouveau danger immédiat : l’hypothermie. La température est alors négative. Il récupère autant de vêtements que possible dans les valises, crée un abri de fortune pour ses enfants. L’avion est équipé d’un système de signalement de détresse, ils attendent les secours.
Ils attendront longtemps, huit heures après l’accident, toujours rien. Mais les nuages se dissipent enfin et la pleine lune lui permet d’apercevoir une route non loin. Styner n’en peut plus de cette attente et décide d'aller chercher les secours lui-même. Il laisse son fils aîné avec ses frères, en lui ordonnant de ne pas partir à sa recherche et de ne bouger sous aucun prétexte.
À 2 heures du matin, Rick et David, deux automobilistes, voient surgir sur la route un homme en sang, hurlant. Heureusement pour lui, les séries comme Esprits Criminels ne seront écrites que vingt ans plus tard et les deux hommes prennent la décision de s’arrêter plutôt que de s'éloigner le plus vite possible. Ils font alors monter Styner et ses enfants dans leur voiture - sept personnes, dont cinq enfants traumatisés, dans une voiture des années 70 - et foncent vers l’hôpital le plus proche. On pourrait croire que le cauchemar prend fin ici pour cette petite famille, mais non. Le pire n'avait en réalité pas encore commencé.
L’hôpital où ils arrivent dispose d’un service d’urgence, mais il est fermé. L’infirmière de garde, paniquée, ne sachant que faire, appelle les deux médecins d’astreinte : les Drs Pembry et Bunting. Ce sont des généralistes. Ils arrivent rapidement, mais sont tout aussi désemparés que l’infirmière.
L’un des enfants, Richard, devient agité à cause de son traumatisme crânien. Il est transporté en radiologie pour une simple radiographie du crâne. Les premiers scanners venaient d’arriver dans les hôpitaux deux ans plus tôt, mais le petit hôpital perdu au cœur du Nebraska en était bien sûr encore dépourvu. Suite à la radiographie, le médecin annonce joyeusement qu’il n’y a pas de fracture crânienne. Il ne se pose nullement la question d’immobiliser la colonne vertébrale ou de rechercher des lésions médullaires. Il ne savait tout simplement pas qu'il aurait dû le faire !
À ce stade, c’en est trop pour Styner. Il décide de prendre les choses en main et appelle son ami et collègue Bruce Miller pour qu’il organise un transfert immédiat vers l'hôpital de Lincoln. La garde nationale aérienne de Lincoln envoie un hélicoptère de transport pour ce qui sera la première opération civile de sauvetage dans la région. L’équipe médicale à bord est composée du Dr Pembry (le généraliste de l’hôpital) et d’une infirmière.
À 8 heures du matin, soit 14 heures après le traumatisme, le Dr Styner et ses fils atteignent l’hôpital de Lincoln, où son ami Bruce Miller et une équipe de chirurgiens les attendent. Styner et tous ses enfants survivent à l’accident.
Styner est un père de famille et un époux qui a vécu un drame terrible, mais c’est aussi un médecin, un chirurgien traumatologue. Il se pose alors une question cruciale : « Si, avec des moyens limités, je peux prodiguer sur le terrain des soins de meilleure qualité que ceux que mes enfants et moi avons reçus dans un établissement hospitalier, c’est que quelque chose ne va pas dans le système. Et ce système doit être changé. »
Styner, qui est un homme d'action et non de paroles, décide de changer le système. Il implique Ron Craig, directeur du service des urgences de Lincoln, Paul Collicott, un chirurgien vasculaire et Jodie Bechtel,une infirmière. Ensemble, ils s’appuient sur le travail de Steve Carvith, qui avait développé l’ACLS (Advanced Cardiac Life Support), et conçoivent un protocole similaire pour les traumatismes : l’ATLS. Il est schématique, par points, basé sur quelques paramètres fondamentaux. Il n’y a là aucune technique révolutionnaire, aucune innovation majeure : la force de ce projet réside dans sa simplicité. Il contribue à mettre de l'ordre dans le chaos des choses à faire et des personnes qui doivent les faire en organisant les actions à mener et les personnes qui doivent les exécuter. La prise en charge est standardisée, notamment durant la première heure après le traumatisme, qui est si cruciale (“the golden hour”).
Les premiers médecins formés à l’ATLS sont ceux des zones rurales du Nebraska en 1978. C’est un succès, si bien que l’année suivante, le Comité de traumatologie de l’American College of Surgeons adopte officiellement le programme. Depuis, le cours a été modernisé et révisé à la lumière des découvertes scientifiques et technologiques. D’abord avec l’apparition des scanners (CT), puis, plus récemment, avec le développement du FAST et des échographes aussi compacts que des ordinateurs portables.
Aujourd’hui encore, l’ATLS reste une référence incontournable pour tous les professionnels impliqués dans la prise en charge des traumatismes.