«Nous cherchons à comprendre comment les gens prennent des décisions et agissent, afin d’intervenir de manière préventive.» résume Lisa Moussaoui, chercheuse en psychologie de la santé à l’Université de Genève (UNIGE). L’enjeu : fonder les actions de santé publique sur des données probantes plutôt que sur l'intuition.
Dès le 20 mars 2020 une équipe de l’UNIGE a scruté les comportements de 1006 britanniques via une enquête en ligne. Au Royaume-Uni le confinement n’avait pas encore été décrété (il le fut trois jours plus tard), les premiers cas n’ayant été rapportés que deux semaines auparavant. La fermeture des écoles était par contre déjà effective, et les gestes barrières vivement encouragés par les autorités sanitaires.
Dix comportements ont été évalués, adaptés des recommandations en vigueur à l'époque. Pour chaque comportement, les participants ont indiqué dans quelle mesure ils l'avaient adopté au cours d'une journée type avant l'épidémie, et depuis le début de celle-ci (les dix derniers jours). Les réponses ont été enregistrées sur une échelle de réponse Likert à 5 points allant de 1 (= jamais) à 5 (= très souvent/toujours).
Les variables socio-démographiques suivantes ont été mesurées : âge, sexe, niveau d'éducation, état civil, nombre de personnes vivant dans le ménage, fréquence des contacts sociaux et zone géographique (région/pays et comté).
Les psychologues ont constaté que les gestes barrières étaient spontanément adoptés par une grande partie de la population. «C’est un phénomène connu. Informer de la présence d’un danger suffit à provoquer un changement massif et rapide de comportement. On l’a vu dans d’autres situations tragiques, comme la pandémie du SIDA. Des poches de résistant-es existent malgré tout.», précise Olivier Desrichard, professeur de psychologie et co-auteur de l’étude.
Le niveau d’éducation, l’environnement familial, l’âge et le nombre de cas déclarés dans la région n’influencent en rien les comportements. «Ce résultat contredit les rumeurs prétendant que certaines catégories de la population, comme les jeunes, étaient moins respectueuses des consignes que les autres.» ajoute Lisa Moussaoui.
Les recherches antérieures portaient sur ce qui motive une personne à se protéger de la maladie. Fait nouveau avec l'épidémie de COVID-19, il s’agissait aussi d’éviter de transmettre le virus à d'autres.
Cette motivation pro-sociale est particulièrement pertinente, car l'accent a été mis sur la faible gravité de la COVID-19 dans certains groupes (c'est-à-dire les «jeunes»). Parmi ces groupes moins concernés, la motivation à se protéger peut être inférieure à la motivation à protéger les plus vulnérables.
Par conséquent, la motivation à adopter des comportements de protection peut prendre la forme d'un dilemme social à grande échelle : les intérêts personnels immédiats des individus sont en conflit avec l’intérêt collectif.
Parmi les variables qui influencent négativement l’adoption des mesures de protection, le «drop in the bucket» («la goutte d’eau dans le seau», soit le sentiment que sa propre contribution ne sert à rien par rapport à l’ampleur du danger). On est peu enclin à agir s’il nous semble que notre contribution sera trop faible pour faire une différence tangible.
Autre résultat notable : l’étude met en avant le fait que plus les participants ont des contacts sociaux (comme les rapports professionnels), plus ils se sentent vulnérables, mais sans que cela stimule pour autant leur adoption des bons gestes. Les personnes ayant plus de contacts sont moins susceptibles de croire qu’en adoptant les mesures barrières elles diminueront la probabilité de transmettre le coronavirus à d'autres personnes (auto-efficacité).
Concrètement, pour encourager ces personnes à fréquence élevée de contacts sociaux, il faudrait qu’elles perçoivent davantage la gravité de la situation, mais aussi le contrôle effectif qu’elles peuvent exercer sur cette situation.
Dans l'échantillon, les hommes étaient moins susceptibles de suivre des mesures de protection. Par rapport aux femmes, ils sont plus enclins à penser que leur propre action individuelle ne fera pas de différence dans la réduction de l'épidémie (le fameux «drop in the bucket»). Généralement, Ils sont plus en proie au dilemme social, et ont un niveau de croyance en l'auto-efficacité plus faible.
D'autres croyances ont été identifiées. Florilège...
Les dilemmes sociaux influencent donc les comportements. Cette constatation remet en cause l’approche classique focalisée sur la dangerosité du virus et sur l’importance du respect des consignes. «Il est important de connaître les vrais déterminants des comportements avant d’entamer une action de prévention pour ne pas passer à côté du but escompté. La plupart des personnes interrogées étaient déjà convaincues de l’importance de respecter les recommandations. Ce type de messages n’influence donc pas leur comportement.» précise Lisa Moussaoui.
Les déterminants modifiables identifiés dans l’étude pourraient donc être ciblés dans les actions de communication sur la COVID-19, surtout dans celles à destination des sous-groupes spécifiques qui ne respectent pas les mesures de protection.
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