Cela doit bien faire un an déjà qu’on nous en parle : plusieurs manifestations étaient organisées, d’abord à la faculté de médecine, puis au CHU, enfin des bus et trains étaient affrétés pour les étudiants voulant manifester à Paris. Tout ceci m’a poussé, tout comme mes camarades, à me renseigner un peu sur le sujet. Il s’agirait d’étendre le tiers payant à tous les assurés, qui n’auraient alors plus besoin d’avancer les fameux « 23 euros » au médecin généraliste lors d’une consultation. Cette mesure se veut lutter contre le renoncement de soins des patients n’ayant pas les moyens de payer une consultation (bien qu’elle soit remboursée plus tard). Vu comme ça, ça a l’air plutôt une bonne idée ! Mais alors pourquoi une telle opposition, presque unanime, des professionnels et étudiants concernés ?
Car si la consultation est « gratuite » pour le patient, il faut bien que quelqu’un paye le médecin ! Ce « quelqu’un », c’est la sécurité sociale et les mutuelles. Les médecins savent déjà bien comment fonctionne le système, le tiers payant étant déjà accordé aux personnes qui en ont le plus besoin : bénéficiaires de la CMU, de la CMU-C, de l’AME (ce qui prouve que ce n’est pas le tiers payant en lui-même qui poserait problème, mais sa généralisation). En PACES (première année des études de santé), on nous apprenait déjà la complexité du système de santé, et son fonctionnement. Supprimer le paiement pour tous les patients à l’acte, c’est en quelque sorte supprimer le principe de la « profession libérale », le médecin devenant alors un « employé » de l’assurance santé, dont ses revenus dépendront entièrement. C’est aussi le risque d’une « étatisation » du système de santé, avec une « privatisation » en parallèle par les mutuelles et assurances privées. Le système anglo-saxon en quelque sorte. Mais alors pourquoi modifier aussi fondamentalement le système de santé français, reconnu comme « le meilleur au monde » ?
En tant qu’étudiant en troisième année, je ne sais pas encore vers quoi je m’orienterai. Neurologie ou cardiologie me plairaient beaucoup. Après les ECN, examens de sixième année, les étudiants s’orientent, entre médecine spécialiste et générale. Cette dernière souffre d’un manque notable de popularité chez les étudiants. « Tu as intérêt à bosser plus sérieusement, sinon tu finiras médecin généraliste » reste la menace ultime, entendue aussi bien par des étudiants que par certains professeurs. Comme si la médecine générale n’était qu’un choix par défaut, de celui qui n’aurait pu atteindre « quelque chose de mieux ». Pourtant, ce métier a l’air passionnant, et c’est la seule spécialité qui permet une si forte relation soignant-patient selon moi. Ce désaveu des étudiants pour la médecine générale se justifie par des horaires de travail rédhibitoires, des contraintes professionnelles et une surcharge de travail corrélé au nombre croissant de patients. Mais aussi par des mesures annoncées comme la suppression de la liberté d’installation, pour forcer les jeunes médecins à exercer dans les « déserts médicaux », qui sont en réalité des déserts tout court, parfois sans école ni commerce.
Le généralisation du tiers payant ne sera qu’une surcharge administrative pour le médecin, l’obligeant à passer un temps considérable entre vérifier s’il a été payé, relancer la sécurité sociale, et relancer les différentes assurances privées et mutuelles. Tout cela s’ajoutant à un emploi du temps déjà intense. C’est en fait prendre les inconvénients de l’installation libérale, mais sans les avantages. A l’heure où le Numerus Clausus stagne, alors que l’on fait face à un manque de médecins sur le territoire, tout ceci parait incohérent.
Pour conclure, je pense que cette généralisation du tiers payant, passée sans vraie consultation des médecins et étudiants, sera un élément de plus dans la détérioration de l’image de la médecine libérale. Sans lien direct, on peut ajouter à cela la colère des internes, et leurs revendications sur le temps de travail : actuellement 70 heures par semaine, avec une rémunération insuffisante pour le travail fourni, et le peu de place accordée à la formation. Interne, je le serai dans quelques années. D’ici là, je ne sais toujours pas comment le système sera concrètement organisé pour nous, futurs jeunes médecins. Les études de médecines sont des longues, difficiles, mais passionnantes, la médecine a toujours été pour moi une vocation. Je trouve vraiment dommage de dissuader ainsi de plus en plus d’étudiants à la pratique de la médecine. Aussi, dans le futur, je m’imagine déjà plus spécialiste hospitalier que médecin général, tant pour le cadre de travail que pour la profession.
Texte : sb
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