La molécule testée (“BIA 10-2474”), lors de cet essai de Phase 1 du laboratoire portugais Bial, avait principalement des visées antidouleur. Six volontaires sains ont participé à cet essai clinique, qui s’est déroulé au centre Biotrial à Rennes. Ils avaient été hospitalisés en janvier et l’un d’eux était décédé, quatre des survivants présentaient, quant à eux, des lésions cérébrales.
Pour le Pr Bernard Bégaud, président du groupe d’experts ayant passé plus de 600 heures sur le dossier, “les règles semblent globalement avoir été respectées”, mais celles de “bon sens” ont été bafouées à plusieurs reprises. Selon lui, on a affaire à “une molécule moins efficace qu’un médicament” déjà commercialisé et “pas plus efficace que plusieurs molécules de la même famille qui avaient été abandonnées pour cause d’inefficacité”. “D’où la première recommandation du rapport qui est au minimum de s’assurer qu’un médicament a une chance de servir à quelque chose”, relève-t-il. “Justifier l’intérêt d’une molécule devrait être un préalable avant d’autoriser un essai”.
Selon les experts, qui s’étonnent de l'”accélération peu compréhensible” de l’augmentation des doses, la toxicité de la molécule a été facilitée par sa faible capacité à se fixer sur sa cible, l’enzyme FAAH. Ils évoquent de plus “une probable accumulation progressive au niveau cérébral” de la molécule, en raison des doses répétées de 50 mg données aux victimes.
Ce rapport est aussi l’occasion pour les experts, de faire une série de recommandations afin d’améliorer la sécurité des volontaires. Ils préconisent ainsi d’espacer l’enchaînement des tests avec les différents groupes de volontaires, voire d’éviter d’exposer tous les sujets d’un groupe au même instant.
De plus, ils souhaitent que les données utiles recueillies lors des étapes précédentes soient bien prises en compte pour poursuivre l’essai, ce qui n’a pas été le cas à Rennes. Les experts pointent par ailleurs “un assez grand nombre d’erreurs”, de “traductions erronées” et même d’omission dans la brochure du laboratoire Bial sur sa molécule. En particulier la disparition de la comparaison de son efficacité avec un médicament déjà disponible.
Les experts plaident aussi pour une meilleure sélection des volontaires avant d’effectuer un premier essai chez l’Homme, car les antécédents médicaux repérés chez des volontaires (traumatisme crânien pour le volontaire décédé, hypertension pour un autre hospitalisé) auraient dû conduire à les écarter de l’essai mené par le centre Biotrial. Selon eux, pour des médicaments visant le cerveau, la sélection des volontaires sains devrait impérativement comprendre une évaluation neuropsychologique.
“La gravité de l’accident de Rennes justifie que la réglementation et les bonnes pratiques internationales” concernant les premiers essais sur l’homme “évoluent”, notent-ils. Ils souhaitent aussi que les données sur les essais de phase 1 sur l’homme deviennent publiques. Ce qui n’est pas le cas actuellement pour des raisons de propriété industrielle.
Après la publication de ce rapport, le laboratoire Bial s’est félicité que les experts n’aient “identifié aucun non respect des recommandations et règles actuelles”. L’avocat de la famille du patient décédé, Me Jean-Christophe Coubris, a jugé pour sa part que ces conclusions, “sans surprise”, n’apportaient “rien de nouveau sur les circonstances” du décès.
Texte & crédits photo : AFP