« Pasimafi ».
Le nom chantant du yacht acheté par la société que le Dr Fanelli aurait créée pour gérer des fonds provenant de firmes pharmaceutiques. Le nom, aussi, d’une opération de police de grande ampleur.
Au centre de l’affaire trône la figure du Dr Guido Fanelli, figure de proue de la prise en charge de la douleur. À la périphérie se trouve Mundipharma, branche internationale de Purdue Pharma qui fait l'objet d'environ 2 000 poursuites judiciaires aux États-Unis pour son rôle dans la diffusion à grande échelle d’antalgiques opioïdes.
La police et les carabiniers ont longtemps travaillé dans l'ombre, écoutant les conversations téléphoniques du Dr Fanelli. Le rapport d’enquête fait des centaines de pages. Il décrit en détail de quelles manières Fanelli a aidé les responsables de la branche italienne de Mundipharma, entre autres, à promouvoir l'utilisation des analgésiques opioïdes en Italie. Articles, conférences, relativisation des mises en garde des autorités sur l'augmentation de la consommation d'opiacés… Tout était bon pour souligner les bienfaits de ces drogues et minimiser le risque de dépendance.
Avec cette affaire, l'empire pharmaceutique de la famille Sackler a été judiciairement impliqué hors des États-Unis pour la première fois. Selon les enquêteurs, les pratiques contestables utilisées aux États-Unis à partir des années 1990 ont été exportées en Italie. Le marché américain s’étant restreint, il semble que l'objectif des Sackler consistait à augmenter la consommation d'opiacés à l'étranger.
En Italie, les écoutes ont commencé en 2015. Le Dr Fanelli était alors une star du monde médical italien. Chef du Département d'anesthésiologie et de thérapie de la douleur de l'Ospedale Maggiore de Parme, professeur d'université, personnage médiatique, Fanelli avait notamment apporté une contribution importante à l'élaboration de la loi de 2010 sur les « Dispositions visant à garantir l'accès aux soins palliatifs et à la thérapie de la douleur. » Une loi qui facilite la prescription des opiacés pour soulager les patients souffrant de douleurs chroniques.
Or il semble qu'en 2009 déjà le Dr Fanelli - qui contribuait alors à la rédaction de cette loi - avait commencé à rencontrer les responsables de Mundipharma, ceux de plusieurs sociétés pharmaceutiques italiennes ainsi que ceux de la branche italienne du Groupe allemand Grunenthal. Ces firmes auraient trouvé en lui le relais idéal pour populariser leurs médicaments. Selon les enquêteurs, Fanelli a depuis 2009 reçu des centaines de milliers d'euros de différentes sociétés pharmaceutiques dans le but de promouvoir la prescription d'opiacés. Des sommes versées, d’après ces firmes, pour rétribuer des prestations parfaitement légales comme du conseil ou l'organisation d'événements.
En 2015, Luca Pani, alors directeur général de l'AIFA (agence italienne du médicament) a commenté un rapport de l’OsMed (Observatoire sur l'utilisation des médicaments) lors d'une conférence de presse. Il a pointé l'augmentation de 30 % de la prescription d'opiacés, suite à l'introduction de la loi de 2010, pour inciter les médecins à la prudence. D’après l’enquête, c’est après concertation avec les firmes que Fanelli a contre-attaqué en publiant un article dans Minerva Anestesiologica, la revue officielle de la société italienne d’anesthésie, analgésie réanimation et soins intensifs.
Dans cet article « Opioïdes et douleur chronique. Data from the other side of the pond », Fanelli affirmait que les sonnettes d'alarme tirées aux États-Unis n’avaient pas lieu de l’être dans d'autres pays, et que les médecins devraient continuer à prescrire des opioïdes contre la douleur chronique. Comme aux États-Unis, des publications rédigées par des pontes venaient attester de l’innocuité de ces molécules, donnant aux allégations commerciales une patine scientifique.
Le 8 mai 2017, à 4 heures du matin, 200 carabiniers de la Brigade des contrefaçons et affaires sanitaires de Parme se sont déployés dans différentes parties du pays pour tirer du lit responsables commerciaux et médecins - dont Fanelli - et perquisitionner. Le ministère public a requis l'inculpation de 55 personnes et 10 entreprises. Mundipharma et Grunenthal Italia, qui ont aussitôt accepté des accords avec la justice, n'en font pas partie. Le Dr Fanelli a passé quatre mois en résidence surveillée dans son appartement de Parme. Suspendu, sans solde, il n’a plus le droit d’exercer en attendant l’issue de la procédure.
À suivre : Épidémie d'opioïdes - L'Italie, une petite Amérique ? (4/4)
Références :
- Galofaro C, D'Emilio F. Purdue foreign arm caught up in opioid probe in Europe. AP News. 29 mai 2019