Dr Franck Devulder
Président du Syndicat National des Médecins Français Spécialistes de l'Appareil Digestif (Synmad)
Ça nous laisse 5 ans pour nous préparer. Nous ressentons les prémices : les confrères et consoeurs trouvent très difficilement des successeurs. Les gros cabinets des villes universitaires ne cessent de croître et parviennent à recruter, mais dans les villes de taille plus modeste, les petits cabinets ou les confrères et consoeurs en exercice isolé ont toutes les peines du monde à trouver des candidats. Pour l’instant, les délais pour consulter un gastroentérologue demeurent acceptables. Mais cela ne va pas durer. À terme, l’offre de soins va en pâtir.
Les solutions, nous les connaissons. La première, c’est le regroupement. Travailler en équipe. C’est une modalité d’exercice qu’il faut soutenir. Nous ressentons parfois un certain individualisme des médecins - qui est d’ailleurs favorisé par le mode de sélection durant les études - mais l'évolution des conditions d’exercices est cruciale. Les confrères et consoeurs l’ont compris.
Dans le Nord, en Bretagne, à Toulouse ou à Reims, les regroupements sont effectifs, les astreintes et les gardes partagées. La dernière Loi de santé nous a donné la possibilité de créer des équipes de soins spécialisés. Qu’importe que ce soit moi, ou un confrère, un cabinet privé ou en établissement public qui répondent à la demande, ce qui compte c’est de se regrouper et se coordonner pour mieux mailler le territoire. Au sein de ces équipes, la délégation de tâches aux assistants medico-techniques et aux infirmiers en pratique avancée nous dégagera du temps.
Nous avons ce devoir d'assurer l’accès aux soins à toute la population, sur tout le territoire. Les gastroentérologues s’investissent, typiquement en assurant des consultations avancées dans les territoires sous-denses. Par exemple je vais consulter une demi-journée toutes les deux semaines à Rethel [env. 7800 habitants] dans les Ardennes. C’est sûr que je pourrais rester à Reims, ce serait plus confortable. Mais je suis convaincu que nous avons- en tant que profession libérale - des droits et des devoirs. Enfin, une partie de notre activité répond dès à présent aux critères stricts de la téléconsultation. À nous de jouer la carte du numérique.
La gastroentérologie est une spécialité vaste qui se retrouve en première ligne face au cancer colorectal. 40 000 nouveaux cas par an, troisième cancer le plus fréquent, deuxième le plus grave. 20 000 morts par an, et ce chiffre augmente. Nous avons deux angles d'attaques : le dépistage organisé pour la population générale et la coloscopie pour les personnes à risque.
Les chiffres du dépistage organisé restent décevants : on n'y arrive pas. L'INCa, l'assurance maladie, les confrères le savent : le taux de participation dépasse à peine 30 % de la cible alors que les recommandations européennes sont à 45 % si l’on veut réduire l'incidence. La CPAM de la Marne va lancer, à l'initiative des gastroentérologues , une campagne d'affichage massive - cabinets médicaux, paramédicaux et pharmacies - pour inciter au dépistage.
La coloscopie doit répondre aux critères de qualité publiés fin 2018. Cette prise en compte de la qualité n’est pas nouvelle. D'autres pays d'Europe de l'Ouest l’ont fait avant nous et le Québec est en pointe dans ce domaine. Grace à l’initiative de la Société Française d’Endoscopie Digestive, nous y travaillons depuis 2016 et avons publié des recommandations sur les critères de qualité de la coloscopie et du compte rendu de coloscopie en novembre 2018.
La prochaine étape consistera à choisir le système d’information adéquat et à inciter nos confrères et consoeurs à utiliser pour les comptes rendus de coloscopie un logiciel labellisé par le CNP HGE (Conseil National Professionnel en Hépato Gastro Entérologie). Cette incitation doit s’intégrer dans le paiement à la qualité tel qu’il est voulu par notre Ministre Madame Agnès Buzyn.
Récemment, nous avons abordé ce sujet avec Nicolas Revel, Directeur Général de la CNAMTS, qui a reçu très favorablement cette initiative de la gastroentérologie française. Nous avons pu lui expliquer ce que nous attendions, à savoir : choisir ensemble le logiciel ad hoc, qui sera utilisé par tous les gastroentérologues privés et publics mais aussi définir les modalités du paiement à la qualité des coloscopies.
Absolument pas. Le seul débat porte sur les modalités. Le choix retenu en France pour le dépistage organisé est le test de recherche de sang dans les selles, alors que d'autres pays ont développé une stratégie multimodale : la personne a le choix entre un test tous les 2 ans ou bien une coloscopie « courte » tous les 3 ans ou encore une coloscopie tous les 10 ans. Mais ce n’est pas vraiment pas une controverse dans la mesure où aucune de ces solutions n'a fait preuve d'une efficacité significativement supérieure.
C’est l’un de nos devoirs, et c’est une condition pour que notre travail soit mieux reconnu. Quand nous avons rencontré M.Revel, nous lui avons demandé que l’acte pour une coloscopie soit mieux valorisé : la tarification n'a pas évolué depuis 1993... C'est à peine mieux pour les consultations, comme pour beaucoup de confrères d’autres spécialités d'ailleurs. Nous avons droit à une rémunération juste pour des soins de qualité.
Or celle offerte aujourd'hui me semble parfois indigente au regard de nos douze années d’études et notre responsabilité. Mais si nous voulons être mieux rémunérés, nous devons aller vers le paiement à la qualité et à la pertinence de nos actes et de nos prises en charge. Cela passera par une analyse permanente de nos pratiques. Les jeunes médecins y sont très favorables et vont nous y pousser aussi.
La certification au terme du 3e cycle d'études médicales rénovées deviendra systématique en 2021. Elle demeurera optionnelle pour les autres médecins, mais je pense que nous avons tout intérêt à être tous et toutes volontaires. Comment imaginer un cabinet avec dix médecins ou seuls les plus jeunes seraient certifiés et recertifiés, les seniors en étant dispensés ?
La coercition, ça ne fonctionne pas. Je crois davantage à un cercle vertueux où les médecins veulent constamment améliorer leurs pratiques. Cette certification, c’est aussi une opportunité pour évaluer des champs complètement nouveaux comme la relation avec le patient ou la santé et la qualité de vie du médecin. Comment un médecin en burnout peut-il être à l’écoute des patients et être efficient ?
Les jeunes médecins vont créer une émulation, j’en suis persuadé. Ils sont tout autant attachés à la qualité de leur travail qu’à leur qualité de vie. Cela va de pair : si je travaille 70 h par semaine, puis-je vraiment être toujours « bon » ?
Ce DMP, il est primordial. C'est fondamental de partager l'information. Mais cela reste complexe, malgré des réels efforts de la Cnam. Ce qui nous remonte, c’est un défaut d’information ainsi que des critiques sur le manque de structuration des données.
Ça reste parfois laborieux d’abonder un DMP ou d’y classer une multitude de documents, même avec un logiciel idoine. Par exemple, quand je fais un compte rendu de coloscopie, je le donne en mains propres au patient, l'envoie par messagerie sécurisée au médecin traitant, le stocke dans le dossier de la clinique mais je ne parviens pas à abonder le DMP du patient…
Elle devient une évidence : comment travailler sans ces nouveaux outils ? J'ai récemment pu tester un dispositif raccordé à ma chaîne d'endoscopie. C’est un outil de traitement d'image qui repère certains aspects de la muqueuse et les signale par un carré vert. Idéal pour repérer plus facilement les polypes. Les résultats semblent très fiables.
Autre innovation, un logiciel qui donne indication de la pression exercée sur la paroi de l'intestin pendant une coloscopie. Qui consultera désormais un médecin qui refuserait une telle assistance ? L’IA ne va pas nous remplacer, elle va juste faire évoluer les contours de notre métier.
Nous avons le devoir de participer activement à l’offre de soins. Il ne tient qu’à nous de nous regrouper, nous coordonner, déléguer, faire des consultations avancées et des téléconsultations. Nous avons aussi le devoir de tout mettre en œuvre face à cette urgence de santé publique qu’est le cancer colorectal.
Quant à notre droit légitime à une meilleure valorisation de notre exercice, acceptons le principe d'une auto-évaluation et du paiement à la qualité.
(Propos recueillis par Benoît Blanquart).
esanum.fr propose par ailleurs un Journal Club dédié à la gastroentérologie.