Fédéralisme oblige, les mesures de restrictions liées à l'épidémie de coronavirus sont parfois disparates en Allemagne. Certains Länder (États régionaux) - la Bavière notamment - avaient déjà instauré des mesures strictes quant à la circulation des personnes. La ville de Fribourg, proche de la frontière avec la région française du Grand Est, a annoncé dès le 21 mars un confinement total de sa population.
Le 22 mars, le gouvernement fédéral et les Länder ont décidé d'un renforcement des mesures1 valables sur tout le territoire. Hors du cadre familial, les rassemblements de plus de deux personnes sont interdits, et une distance minimale d'au moins 1,5 mètre doit être maintenue. Les fêtes privées sont interdites, les restaurants fermés ainsi que tous services nécessitant une proximité physique (coiffeurs, etc.). Ces mesures sont annoncées pour une durée d'au moins deux semaines. En fait, le développement de l'épidémie pourrait nécessiter qu'elles se prolongent jusqu'en 2021.
Un article 2 du Spiegel présente le modèle de calcul du Pr Richard Neher, biologiste et statisticien, et de ses collègues de l'Université de Bâle. À l'origine de ce projet figure Jan Albert, épidémiologiste spécialiste du HIV à l'institut Karolinska de Stockholm.
Comme point de départ de leurs simulations, les chercheurs ont pris la situation en Allemagne au 1er mars 2020 avec environ 1700 personnes infectées. Les calculs se déroulent sur une année et tiennent compte de la capacité d'accueil des services de soins intensifs. Par exemple, s’il y a plus de patients gravement malades que de respirateurs, le taux de mortalité augmente. Ce modèle suppose qu'en moyenne environ 1% de tous les cas de Covid-19 se termineront par un décès et tient compte du fait que la mortalité augmente avec l'âge.
D'après ce modèle, si aucune mesure de protection n'est prise, un pic de 22,5 millions de personnes contaminées serait atteint mi-mai. Début juillet, ce nombre serait alors rapidement retombé en dessous de 100.000.
Dans cette hypothèse, l’épidémie se terminerait plus rapidement au prix d'une effroyable mortalité. 500.000 personnes auraient besoin de soins médicaux intensifs en même temps, pour 30.000 places disponibles. Plus de 700.000 personnes pourraient ainsi mourir en quelques mois. Au final, d'ici l'été, plus de 70 millions d'Allemands auraient été infectés par le coronavirus.
Aplatir la courbe… En Allemagne comme en France c’est le mot d'ordre depuis des jours. Le modèle prend comme hypothèse le fait que sans mesures de protection une personne infectée contamine en moyenne 2,7 personnes. En abaissant cette valeur, la courbe des nouvelles infections s’infléchit.
Dans ce deuxième scénario, des mesures modérées permettent de diminuer d'environ un tiers les nouvelles contaminations entre le 1er mars et le 1er mai, puis le chiffre se stabilise. Le pic de la courbe est décalé d'environ un mois (en juin donc). Au lieu de 22,5 millions de personnes infectées en même temps, elles ne seraient «que» 8 millions. En septembre, le nombre quotidien de personnes infectées serait alors inférieur à 100.000.
Même avec une courbe ainsi aplatie le système de santé ne peut pas faire face. En effet, dans ce scénario jusqu’à 200.000 personnes pourraient avoir besoin de soins médicaux intensifs en même temps, pour 30.000 places disponibles. Le prix à payer est là aussi insupportable : environ 500.000 morts.
Dans ce scénario, le nombre de patients gravement malades reste toujours inférieur au nombre de places dans les unités de soins intensifs (avec un maximum de 24.000 patients).
Le nombre de patients infectés ne culminerait alors pas avant janvier 2021. D’ici au 1er mars 2021, 100.000 personnes perdraient la vie. Problème : le retour à la normale ne serait pas attendu avant mars 2021, et les mesures de protection devraient être maintenues jusque là. «Tant qu'une grande partie de la population n'est pas infectée, les restrictions sont nécessaires pour empêcher une nouvelle augmentation du nombre de cas» rappelle Richard Neher.
Cette perspective inquiétante n’est peut-être pas une fatalité. Certains paramètres quant à la vitesse de propagation du virus ne sont pas encore connus. Le modèle utilisé est aussi délibérément pessimiste. Par exemple, nous savons que le nombre réel de personnes déjà infectées est beaucoup plus élevé que celui connu : le taux de mortalité et le nombre de patients nécessitant des soins intensifs pourraient donc s’avérer beaucoup plus faible que dans les projections.
L’idéal serait évident la mise au point rapide d’un traitement ou vaccin. «Je suis assez optimiste quant à la disponibilité d'un vaccin dans les douze prochains mois», déclare le Pr Neher. Autre manière d’assouplir certaines restrictions : rechercher, tester et isoler systématiquement les personnes potentiellement infectées.
La question est aussi de savoir quelles sont parmi les mesures de restriction celles qui fonctionnent et celles dont on pourrait se passer. L’évolution du nombre de personnes infectées sera un précieux indice. Dans tous les cas, comme le rappelle le Pr Christian Drosten, virologue à l’Hôpital universitaire La Charité (Berlin) : la lutte contre le virus n'est «pas un sprint, mais un marathon».
Source :
1- https://www.bundesregierung.de/breg-de/themen/coronavirus/besprechung-von-bundeskanzlerin-merkel-mit-den-regierungschefinnen-und-regierungschefs-der-laender-zum-coronavirus-1733266
2- Wie lange der Corona-Lockdown anhält, hängt vor allem davon ab, wie konsequent er umgesetzt wird. Dies zeigen Rechenbeispiele mit Pandemiemodellen.
Von Holger Dambeck, 20.03.2020
http://www.spiegel.de/wissenschaft/medizin/corona-krise-lockdown-koennte-bis-ins-naechste-jahr-dauern-a-ea2e318b-b388-4ccc-8493-318f892381b8