Il y a environ 750.000 naissances en France chaque année. Même si la tendance est à la baisse depuis le début de la pandémie, environ 2% de ces accouchements débutent en dehors de l’hôpital, soit environ 15.000 naissances. Bien évidemment, tous ces enfants ne naissent pas au domicile ou sur le bord de la route : le SAMU, à l’aide des SMURs, des services d’ambulance et de secours (les sapeurs-pompiers) parvient souvent à emmener la parturiente vers une maternité qui permet l’admission directe en salle d'accouchement.
En raison d’une tendance à un retour à la «nature», les accouchements à domicile jouissent d'une popularité croissante. En outre, certaines «petites» maternités ferment faute de praticiens (obstétriciens, anesthésistes et pédiatres) et d’une baisse du nombre d’accouchements. Cela a pour conséquence une augmentation régulière du nombre de naissances préhospitalieres et un taux de complications à la naissance qui semble lui aussi augmenter (du moins en Europe).
En d'autres termes, les accouchements inopinés extrahospitaliers deviennent un mode de déclaration de naissances plus fréquent. On estime que chaque année entre 3 et 5 naissances pour 1.000 sont prises en charge par un moyen médicalisé et/ou secouriste. Nous n’avons donc pas fini de pressuriser nos surrénales en SMUR, car c’est une situation que les urgentistes n’affectionnent pas particulièrement. Une bonne raison pour nous attaquer au sujet...
La naissance est classiquement divisée en phases de dilatation, phase d'expulsion et post-partum. Si la poche des eaux se rompt prématurément, c'est-à-dire avant le début des contractions régulières, le travail survient dans les 24 heures dans 70 à 90% des cas.
Compte-tenu du seuil utilisé dans certains scores prédictifs de survenue d’un accouchement, on considère qu'un intervalle de contraction de moins de 5 minutes est caractéristique de la phase d'expulsion. En fait, la durée de cette période est très variable et dépend également du fait que la femme est une primipare ou une multipare.
Par ailleurs, une péridurale (qui n’est jamais réalisée en préhospitalier) a également un effet sur la durée de la phase d'expulsion qui s’en trouve rallongée. Ainsi, la durée maximale pour les primipares est de 2 heures sans péridurale et de 3 heures maximum avec péridurale. Pour les multipares, les délais sont de 1 heure sans péridurale et de 2 heures avec péridurale.1
Il s'agit de la phase entre la naissance de l'enfant et la délivrance complète du placenta. Elle dure jusqu'à 45 minutes. Si elle est prolongée au-delà, on suspecte une hypotonie ou une atonie utérine. Les contractions du post-partum sont des contractions de faible intensité et d'espacement irrégulier qui s’intensifient jusqu’à la délivrance.
Pendant le post-partum, des pertes hémorragiques physiologiques de 200 à 400 ml et allant jusqu'à 500 ml sont possibles. Tout saignement abondant et au-delà de cette quantité doit faire suspecter une hémorragie de la délivrance révélatrice d’une délivrance incomplète (persistance de résidus de cotylédons placentaires ou une possible atonie utérine).
Pour la prophylaxie des hémorragies de la délivrance, il est recommandé d'administrer de l'ocytocine précocement. Des doses de 5 UI sont recommandées en perfusion courte. Malheureusement, l'accouchement est souvent réalisé à l’arrivée des moyens médicaux ou secouristes et l’ocytocine n'est souvent pas administrée.
Si le placenta est expulsé, il faut vérifier qu'il soit complet. Cela n'est guère possible pour un secouriste mais un médecin urgentiste doit pouvoir l’évaluer. Il est également recommandé de transporter le placenta avec la patiente à la maternité et de le faire examiner à nouveau par une sage-femme ou un obstétricien.
Le carnet de maternité est pour beaucoup de parturientes un dossier blanc avec un joli liseré rose ou bleu vantant la modernité de la structure d’accueil avec des photos de grossesse radieuse, de parents heureux entourant un nourrisson souriant et tous aussi rose. Ceci étant,et pour peu qu’il en dispose, l’urgentiste se limitera aux informations essentielles :
Il est parfois possible de consulter l’obstétricien, la sage-femme, le maïeuticien ou le gynécologue pendant les heures ouvrables, mais comme ces naissances ont le plus souvent lieu la nuit, cela est plutôt illusoire.
C’est dans ces conditions (heureusement rares) qu’il faut serrer les fesses et tracer la route en avalant le bitume toutes sirènes hurlantes…
C’est, et de loin, le plus fréquent, donc détendez-vous… Tout d'abord, tout le monde prend une grande inspiration puis expire doucement… La future maman, le futur papa et enfin (et surtout) vous !
La plupart des naissances sont spontanées et c’est la chose la plus naturelle du monde (depuis la nuit des temps et même avant l’arrivée du petit Jésus). Des milliards d’enfants sont nés sans assistance médicale et participer à une naissance, c'est quand même pas mal… Nous aussi, on a parfois envie d'être heureux.
La principale question qu’on doit se poser en régulation puis, si c’est le cas, une fois sur place, c’est de savoir si l'on peut encore transporter in-utero ou si l'on doit effectuer l'accouchement in-situ. C’est à la fois passionnant mais parfois vraiment difficile de répondre de façon tranchée.
Certains scores peuvent nous aider à prendre des décisions. Citons le SPIA (Score Prédictif de l'Imminence d'un Accouchement) et le score de Malinas-Bourdon. Mais parfois, même après une évaluation rigoureuse, l’évidence apparaît devant nos yeux… Autant connaître les signes qui annoncent une naissance imminente.2
Bon ben, quand faut y aller...
Tout d’abord, écartez les grandes lèvres et regardez : la tête est-elle visible ? Si oui... pas le choix, il va falloir rester et accoucher sur place. Sinon, réévaluez constamment la situation, y compris si vous décidez après le toucher vaginal que le transport in-utero est faisable. Enfin, si nécessaire, laissez-vous l’opportunité d’une naissance dans l'ambulance en préparant la situation : équipement de naissance prêt et parturiente la tête à l’arrière de l’ambulance (sous peine de réaliser l’accouchement sur la route…).
Maintenant que les règles de bonnes pratiques ont été précisées… le meilleur moyen de vous en sortir, c’est de suivre ma devise : ne paniquez pas ! Si vous avez ressenti brièvement un frisson vous traverser l’échine, cela ne sert à rien de rester fixé dessus. Sachez que nous passons tous par là avant de jouer les caïds.
Tout d'abord, il est important de créer un environnement calme, chaleureux et qui préserve l’intimité. Il ne s'agit pas d’un accouchement public à la cour du Roi mais d'une naissance, donc d’un moment intime.La présence des «badauds» nuit au bon déroulement de l’accouchement, ils doivent partir.
La femme qui accouche doit se positionner de manière la plus confortable possible pour elle. Cela peut se faire avec le haut du corps surélevé et les jambes pliées et écartées, mais une position plus assise est également possible. Dans l’accouchement extra-hospitalier, le syndrome de compression de la veine cave est rarement décrit et si c’est le cas il n'est généralement pas un problème majeur. Cependant, dans l’attente du positionnement adéquate de la parturiente, il faut si possible privilégier la position latérale gauche.
Enfin, ce que nous apprend l'expérience, c’est surtout de prévoir : le kit de naissance doit être prêt bien avant la naissance de bébé. En effet, dans une situation mouvementée, il peut être péjoratif pour la mère et/ou l’enfant de devoir chercher l'aspirateur de mucosités.
Passons maintenant à l'essentiel, c’est-à-dire au processus de naissance à proprement dit. La bonne nouvelle, c'est qu'au début, vous n'avez pas grand-chose à faire lorsque la position de l'enfant est céphalique. L’enfant arrive généralement tout seul mais une chose est fondamentale : ne jamais, jamais, jamais tirer la tête du fœtus !
Lorsque la tête a passé la filière utérovaginale, la protection périnéale peut être utile. Cependant, l’utilité de l’épisiotomie en préhospitalier est très controversée et il faut être réaliste : l'expertise des urgentistes est souvent très limitée. Une fois la tête entièrement expulsée, il arrive qu’elle soit enserrée par le cordon ombilical. Dans ce cas, il convient de dérouler délicatement le cordon ombilical et le dégager de la partie cervicale.
Suit maintenant l’expulsion du reste du corps. On dégage d'abord l'épaule antérieure en abaissant délicatement la tête (SANS LA TIRER BORDEL !!!) pendant une contraction jusqu'à ce que le milieu du bras soit visible. Puis, on dégage l'épaule postérieure en relevant la tête encore une fois délicatement. Là aussi, il faut veiller à ne pas exercer de traction sur la tête. Les dommages aux plexus brachiaux doivent être évités à tout prix ! Une fois que c'est fait, il ne reste plus qu'à sortir les jambes et les pieds. Cela se déroule très majoritairement sans le moindre problème.
Les soins du cordon peuvent être déjà préparés. En pratique, il y a généralement des kits de naissance emballés dans les sacs de soins préhospitaliers. Vous y trouverez deux pinces ombilicales, des ciseaux stériles, un scalpel, de nombreuses compresses stériles et une couverture «de survie» en argent.
Alors, ça a l'air compliqué comme l'enfer ?
Ben non, ce n'est pas le cas et vous pouvez le faire !
D'après de nombreuses expériences, vous n'avez le plus souvent rien à faire et les enfants viennent seuls au monde… Et, de toute façon, sachez que vous vous attirerez de toute façon le mécontentement des sages-femmes un fois arrivés en salle d'accouchement, quelle que soit la façon dont vous vous y êtes pris..
Vous regardez la tête du nouveau-né et à la place vous voyez un cordon qui pulse ? Dans le pire des cas, vous voyez toujours la tête et, entre les deux oreilles, un cordon pulsatile ? C’est méga pas cool ! C'est une véritable urgence.
Cela ne sert à rien de poursuivre la descente du fœtus, il va falloir faire marche arrière (un peu, ça suffit). En effet, la petite tête doit revenir en arrière pour que l'enfant puisse récupérer une oxygénation suffisante et ne pas subir de lésions cérébrales hypoxiques (ou même mourir). Pour vous rassurer, ce phénomène est rare et se produit dans environ une naissance sur 200.
En préhospitalier, il y a finalement peu de choses que vous pouvez faire :
La définition de la dystocie des épaules n'est pas quelque chose de classique pour l’urgentiste et nous allons donc la réduire à l'essentiel. L'épaule ne passe tout simplement pas par la filière utérovaginale. Bref, le bébé est coincé. C'est aussi une urgence car elle peut entraîner une hypoxie rapide. Dans ce cas-là, repousser le fœtus n'est plus une option. Ce serait idiot... vraiment idiot !
Elle permet de régler le problème dans environ 80% des cas de dystocies des épaules.
Deux personnes étirent d'abord doucement les jambes de la femme qui accouche – idéalement, on les étire même un chouia trop. Ensuite, il convient de lui replier les jambes au niveau des hanches et des genoux en les ramenant rapidement vers l'abdomen. Répéter la manœuvre deux fois. Si nécessaire, appliquer en même temps une pression sur la symphyse pubienne.
Et voilà...Simple non ? Enfin, espérons-le…
Il faut aider la femme qui accouche à se mettre à genoux. Poussez le bassin vers l'avant puis passer en position du quadrupède. Là encore, répétez deux fois.
Encore une fois, je ne le répéterai jamais assez…. Ne tirez jamais sur la tête !
Il n'y a pas mieux pour vous mettre dans la #@%! et vous risquez d’endommager le plexus brachial !
L’accouchement par le siège présente des risques et nécessite des manœuvres obstétricales particulières. Que l’enfant présente en premier les fesses ou les pieds, il est à exclure de faire un tel accouchement à domicile, même pratiqué par quelqu’un de compétent.
Bonne nouvelle (enfin…) : on a souvent un peu plus le temps pour le transport à la maternité par rapport à un accouchement normal, car les fesses ou les pieds descendent moins vite dans le bassin et appuient moins sur le col pour en favoriser la dilatation.
Si un tel accouchement doit se faire à domicile :
Habituellement, il ne faut pas toucher le fœtus tant que les bras ne sont pas totalement sortis. Lorsqu’il ne reste plus que la tête à sortir, attraper les pieds de l’enfant pour les ramener sur le ventre de sa mère. Cette manœuvre de renversement a pour but l’expulsion de la tête fœtale.
Le principal risque de la traction trop précoce (surtout en dehors des contractions) est que le bébé lève la tête et les bras provoquant un élargissement du périmètre maximal (les épaules) et favorise ainsi une position de crochetage du passage avec son menton.
On ne touche un bébé qui se présente par le siège que pour remettre son dos en antérieur, puis pour sortir sa tête. Dans ce cas, il faut faire en sorte d’éviter que le bébé ne se présente le dos en position postérieure et favoriser une manœuvre de rotation, la manœuvre de Bracht.
C’est pendant les contractions qu’il faut mobiliser le fœtus, en appuyant sur le fond utérin afin d’éviter que les bras et la tête ne se relèvent. L’idée est d’amener les 2 pieds à la vulve si possible.
On abaisse le bras supérieur en lui faisant garder le contact avec la paroi antérieure du thorax. On exerce une traction sur le bassin du fœtus. On fait faire une anse au cordon puis on exerce une traction vers le bas afin de dégager l’épaule supérieure. On relève le bébé par les pieds et on sort le bras post sur la paroi antérieure du thorax. Enfin, on relève doucement le tronc vers le haut en saisissant les cuisses, puis on rabat le dos du bébé sur le ventre de la maman. La tête sort.
Il existe une alternative à la manœuvre de Bracht lorsque le fœtus se présente en siège mais en position ventrale. C’est la manœuvre de Moriceau. Le bébé est a cheval sur l’avant-bras. On introduit 2 doigts dans sa bouche. La traction se fait par l’autre main, sur les épaules. Les doigts dans la bouche n’agissent que sur la flexion de la tête, permettant une solidarisation céphalo-thoracique. Le bébé est progressivement amené vers le ventre de sa mère.
À savoir :
Tout d'abord, félicitations !
Si vous êtes arrivé jusque-là, c’est que vous avez déjà fait le tour de la question… Bien que des complications puissent toujours survenir en cours de route.
La chose suivante la plus importante ensuite, c’est de sevrer le bébé de son apport en carburant, c’est-à-dire couper le cordon. Cela s’effectue à partir d'une minute de vie après la naissance sauf en cas de menace vitale pour le bébé ou la mère, auquel cas le cordon doit être coupé immédiatement. Pour couper le cordon, deux pinces ombilicales sont placées à 20 cm du bébé, à 3 cm de distance l’une de l’autre, et le cordon ombilical est coupé entre celles-ci.
L'enfant est séché et enveloppé dans une couche isolante pour le garder au chaud. On lui pose une jolie coiffe en jersey pour couronner le tout. Il est d'usage d’utiliser la couveuse pour le transport, car il y a souvent une perte de chaleur chez le nouveau-né en extra hospitalier.
Vous pouvez transporter le bébé en peau-à-peau s’il ne présente aucune défaillance, qu’il n’est pas hypotherme et que la maman le souhaite. Dans ce cas, le bébé est posé sur la poitrine de sa mère et la couche isolante recouvre les deux.
N'attendez pas la délivrance du placenta, mais ne la retardez pas non plus.
N'oubliez pas de :
Références :
1- Bagou G, et al. Recommandations formalisées d’experts 2010 : urgences obstétricales extrahospitalières.
Ann. Fr. Med. Urgence (2011) 1:141-155
2- Bagou G, et al. Accouchement extrahospitalier et complications. EMC Médecine d’Urgence (2016)
3- Billon M, et al. Accouchement inopiné extrahospitalier - prise en charge et facteur de risque. J. Gyn. Obs. Biol. Reprod. (2016) 45:285-290
Liens d'intérêts
Le professeur Peschanski déclare les liens d'intérêts suivants :
- sur les trois dernières années : Vygon SA (consultant), Fisher&Paykel (symposium), AstraZeneca (symposium)
- sur les vingt dernières années :
Symposiums : Fisher&Paykel Healthcare , AstraZeneca, Lilly, Sanofi, Daiichi-Sankyo, HeartScape, The Medicine Company, Thermofisher, Roche Diagnostics
Boards : Bayer, AstraZeneca, Vygon SA, Portola USA, Sanofi, Boehringer Ingelheim
Congrès : Lilly, Sanofi, Vygon SA, Portola, Roche Diagnostics, Thermofisher
Fonds de recherche (non personnels) : Servier, Boehringer Ingelhei