Dépistage : la coloscopie remise en question

Un essai randomisé d'envergure montre que les bénéfices de la coloscopie dans le cadre du dépistage systématique du cancer colorectal sont particulièrement décevants. Faudra-t-il revoir son statut d'examen de référence ?



Troisième type de cancer le plus fréquent et deuxième cause de décès par cancer dans le monde, le cancer colorectal est une cible de choix pour le dépistage à grande échelle. 

Le New England Journal of Medicine a publié les résultats du premier essai randomisé sur la coloscopie de dépistage. L'objectif de l'étude NordICC était de vérifier si l'invitation à un tel dépistage réduit le risque de développer un cancer colorectal ou d'en mourir.

Le critère d'évaluation principal était l'incidence du cancer colorectal et le décès par cancer colorectal. Le décès toutes causes confondues constituait le principal critère d'évaluation secondaire. D’après les résultats de cette étude, les bénéfices du dépistage sont particulièrement décevants.

Pas de réduction significative de la mortalité  

La Northern-European Initiative on Colorectal Cancer (NordICC) est la première étude randomisée comparant le devenir des personnes effectuant un dépistage par coloscopie et celles qui n'en effectuent pas.

L'analyse primaire des résultats a révélé que la coloscopie dans un contexte de dépistage systématique ne réduisait le risque de cancer du côlon que d'un cinquième environ. Ce taux est bien inférieur aux estimations antérieures. Autre fait saillant : aucune réduction significative de la mortalité due au cancer du côlon n’a été observée. 

De nombreux gastro-entérologues, dont le médecin et chercheur norvégien Michael Bretthauer qui a mené l'étude, ont fait part de leur étonnement et leur déception en découvrant ces résultats.   

Certes, l’étude n'invalide pas la pertinence de la coloscopie en tant que moyen de dépistage du cancer du côlon. Mais elle pourrait amener à réévaluer son statut de gold standard. 

Les preuves d'efficacité manquent

Le dépistage du cancer colorectal est une intervention préventive qui peut faire appel à plusieurs méthodes. Outre la coloscopie, on peut citer la recherche de sang occulte dans les selles (RSOS), la rectosigmoïdoscopie et le test immunochimique fécal (TIF).  

Aux États-Unis, l'United States Preventive Services Task Force a approuvé la politique selon laquelle tout test de dépistage est préférable à l'absence de test. Dans cette situation, bien que la rectosigmoïdoscopie dispose des données les plus solides et aurait dû être prioritaire, les médecins ont souvent préféré la coloscopie qui permet d’examiner l'ensemble du côlon (peut-être aussi parce que ce test est bien remboursé).

Ce n’est pas le cas dans de nombreux autres pays, qui considèrent que les preuves concernant les avantages de cet examen font défaut. Des recherches antérieures ont bien montré, de manière cohérente, que la coloscopie peut réduire considérablement l'incidence et la mortalité du cancer du côlon (jusqu’à 70%). Mais aucune de ces études n'était un essai randomisé de grande envergure, considéré comme le summum de la preuve en matière de recherche clinique. 

Bretthauer et ses collègues ont donc lancé un essai de ce type il y a dix ans, recrutant plus de 80.000 personnes en Pologne, en Norvège et en Suède. Environ 28.000 participants, des hommes et des femmes âgés de 55 à 64 ans qui n'avaient jamais subi de dépistage auparavant, ont été sélectionnés au hasard. Ils ont été invités à subir une coloscopie. Les autres participants n’ont pas reçu d’invitation à ce dépistage. 

Dans le groupe «invités», 42% des personnes ont effectivement effectué une coloscopie de dépistage, effectuée entre 2009 et 2014. Ce pourcentage variait d'un pays à l'autre (de 33% en Pologne à plus de 60% en Norvège) et était globalement plus élevé chez les hommes et chez les participants les plus âgés.  

À noter : au début de l'étude, il n'existait pas de programmes systématiques de dépistage par coloscopie dans ces pays.   

Les résultats après un suivi à 10 ans

Les principaux critères d'évaluation étaient les risques de cancer colorectal et de décès par cancer colorectal après un suivi médian de 10 à 15 ans. Les chercheurs ont suivi les diagnostics de cancer du côlon, les décès dus au cancer du côlon et les décès toutes causes confondues. 

Sur 10 ans de suivi, l'invitation à une coloscopie de dépistage a modestement réduit le risque de diagnostic de cancer du côlon, mais n'a pas réduit de manière significative le risque de décès par cancer du côlon. La survie au cancer était presque identique dans les deux groupes. La mortalité toutes causes confondues était également identique.

Des résultats étonnants, qui pourraient évoluer avec le temps

Ces résultats ne concordent pas avec certaines études antérieures portant sur d'autres tests de dépistage du cancer du côlon. «Nous savons qu'il est possible, grâce à d'autres examens de dépistage, de réduire davantage la mortalité due au cancer», a déclaré Jason Dominitz, auteur d'un éditorial dans le NEJM. Il n'a pas participé à cette étude.

Dominitz a souligné que la rectosigmoïdoscopie, qui n'examine qu'une petite partie du côlon, a permis de réduire la mortalité due au cancer du côlon dans le cadre d'essais randomisés. «La coloscopie est une rectosigmoïdoscopie à laquelle on ajoute quelque chose d'autre, on pourrait donc penser qu'elle ne peut pas être moins efficace que la rectosigmoïdoscopie» a-t-il souligné. 

Par ailleurs, le traitement du cancer a également progressé au cours des deux dernières décennies et l'étude ne comportait [à ce jour] que 10 ans de suivi. Ces facteurs rendent plus difficile la mise en évidence d'un bénéfice du dépistage en termes de mortalité. «L'étude porte sur un suivi de 15 ans et je m'attendrais à une réduction significative de la mortalité par cancer à long terme» a encore déclaré le professeur Dominitz. «Ce n'est qu'avec le temps que nous en saurons plus».

Fallait-il tenir compte uniquement des personnes qui ont effectué la coloscopie ? 

Dominitz rappelle aussi que seule une minorité de participants invités à subir une coloscopie (42 %) se sont effectivement présentés à l'examen. Cela peut avoir dilué les bénéfices de la coloscopie observés dans l'étude. Cette observation sous-tend la principale critique de l'étude : on ne peut pas bénéficier d'une coloscopie si on ne l'a pas subie.  

Sur leur site web Sensible Medicine, John Mandrola et Vinay Prasad réfutent ce dernier point avec deux arguments. Le premier, c’est que le taux apparemment faible de réalisation effective d’une coloscopie parmi les personnes invitées n'est pas très différent de l'expérience américaine. Ce taux a d'ailleurs augmenté ces dernières années. Bien qu'il s'agisse d'une estimation approximative, elle n'est pas totalement différente des taux obtenus dans le NordICC et est proche des taux obtenus dans un site d'inscription, la Norvège, qui n'a pas rapporté de résultats différents.

La deuxième objection s'inscrit dans les méandres de la conduite de l'étude et des statistiques. L'idée de ne tenir compte que des personnes qui ont effectivement réalisé la coloscopie semble évidente, mais c’est en fait un peu plus compliqué. Les auteurs de l’étude NordICC ont en effet également effectué ce que l'on appelle une analyse «per-protocole», dans laquelle seules les personnes qui ont effectivement subi une procédure ont été comptées.

En statistiques, cependant, les puristes estiment que les résultats d'une étude doivent être basés sur le groupe qui a été randomisé et non sur ce qui se passe après la randomisation. Ce principe est appelé «intention de traiter» ou, dans le cas présent, «intention de dépister».

Pourquoi ? Parce que le but de la randomisation est d'équilibrer les facteurs de confusion connus et inconnus, d'équilibrer les distributions des résultats en l'absence d'effet. Une analyse per-protocole annule la randomisation, car les personnes qui acceptent une coloscopie de dépistage peuvent être différentes de celles qui la refusent : elles peuvent être plus riches, plus enclines à adopter d'autres comportements en matière de santé, ou simplement plus dociles et respectueuses des règles. 

En effet, si l'on s'appuie sur le per-protocole, pourquoi procéder à une randomisation ?  Les auteurs ont ajusté les covariables dans leur analyse per-protocole ; ils auraient pu le faire dans un ensemble de données d'observation.

Mandrola et Prasad soulignent cependant que malgré ces limitations méthodologiques, l'analyse per-protocole a révélé que le risque de décès par cancer colorectal était de 0,15% dans le groupe invité par rapport à 0,30% dans le groupe recevant les soins habituels. Il s'agit d'une réduction conséquente. Mais Bretthauer, l'auteur principal de l’étude, insiste sur le fait que cette analyse secondaire n'est peut-être pas aussi solide que l'analyse primaire ou l'analyse en intention de traiter. 

«L'analyse en intention de traiter est la meilleure méthodologie, l'analyse dans laquelle il faut placer toute sa confiance» a déclaré Bretthauer. Il considère donc que lui-même et tous les autres acteurs du dépistage du cancer du côlon se sont peut-être trompés sur l'utilité de la coloscopie.

La coloscopie, un examen à revoir ? 

«Ce n'est pas l'atout que nous pensions avoir» a encore déclaré Bretthauer. «Je pense que nous avons surestimé la coloscopie (...) Les sociétés de gastroentérologie, dont je suis moi-même membre (...) parlaient d'une réduction de 70, 80 ou même 90% du cancer du côlon si tout le monde subissait une coloscopie. Ces données [de l’étude NordICC] ne le confirment pas».

Selon lui, le véritable avantage du dépistage par coloscopie pourrait plutôt se situer quelque part entre les analyses primaire et secondaire de son étude. «Si vous subissez une coloscopie, vous pouvez réduire votre risque de cancer colorectal de 20 à 30 %», a-t-il résumé.  

Avec de tels résultats, la coloscopie se rapprocherait des autres examens de dépistage du cancer colorectal, dont la RSOS qui peut être effectuée à domicile. Pour Bretthauer, cela soulève un point important pour les décideurs politiques. Les coloscopies sont plus onéreuses, plus longues et plus désagréables pour les patients. De nombreux pays européens se sont déjà opposés à l'idée d'allouer des fonds de santé publique à un programme vaste et coûteux, alors que les tests fécaux sont moins chers, plus simples et ont été plus largement fait l'objet d'études. 

«Aujourd'hui, l'approche européenne est beaucoup plus logique. Non seulement elle est moins chère, mais elle est peut-être tout aussi efficace» a encore déclaré Bretthauer.

Les conclusions de l’étude NordICC peuvent aussi éclairent la prise de décision individuelle quant au dépistage. Une personne qui décide de passer une coloscopie assume une charge non négligeable : entre la préparation à l’examen et l'éventuelle sédation, elle ne peut pas travailler pendant 1 à 3 jours. Cette charge est d'autant plus acceptable que la réduction du risque de cancer est élevée. 

Les études sur le dépistage du cancer colorectal ne s'arrêtent pas là. Une étude suédoise d’envergure compare actuellement la coloscopie aux tests immunochimiques fécaux d'une part et aux «soins habituels» (absence de dépistage) d'autre part. Deux études américaines sont aussi en cours.

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Réféerences :

- Bretthauer M, Løberg M, Wieszczy P, Kalager M, Emilsson L, Garborg K, Rupinski M, Dekker E, Spaander M, Bugajski M, Holme Ø, Zauber AG, Pilonis ND, Mroz A, Kuipers EJ, Shi J, Hernán MA, Adami HO, Regula J, Hoff G, Kaminski MF; NordICC Study Group.
Effect of Colonoscopy Screening on Risks of Colorectal Cancer and Related Death.
N Engl J Med. 2022 Oct 9. doi: 10.1056/NEJMoa2208375. Epub ahead of print. PMID: 36214590.

- Dominitz JA, Robertson DJ.
Understanding the Results of a Randomized Trial of Screening Colonoscopy.
N Engl J Med. 2022 Oct 9. doi: 10.1056/NEJMe2211595. Epub ahead of print. PMID: 36214591.

- Mandrola J, Prasad V.
Screening Colonoscopy Misses the Mark in its First Real Test. Sensible Medicine. Oct 10, 2022

- Chen A.
In gold-standard trial, invitation to colonoscopy reduced cancer incidence but not death.
STAT. Oct 9, 2022