Par Bernard KRON, Membre de l’Académie Nationale de Chirurgie
Depuis 1998 est apparue une compétence en chirurgie digestive alors que de nombreux chirurgiens généralistes effectuent aussi cette activité. Ce sont les « chirurgiens viscéraux » ce qui englobe également les actes de chirurgie pelvienne, gynécologique ou de chirurgie du sein. C’est ce type de chirurgie que j’ai exercé pendant35 ans.
L’augmentation de la productivité chirurgicale dans le privé n’est pas suivie par celle des hôpitaux. Ces derniers ont pourtant bénéficié de plateaux techniques lourds mais il n’y a pas toujours un acteur performant derrière la machine. Le retard par rapport à la chirurgie libérale persiste, en particulier pour la vidéo chirurgie.
Le différentiel financier de plus en plus important avec les autres métiers de même durée de formation ou de responsabilité décourage les plus motivés et les pousse à la routine ou à la démission :ainsi 57 chirurgiens ont démissionné de l’AP-HP en trois ans !
La perte d’indépendance de ce métier très individualiste entraîne une grave crise d’identité. Le chirurgien est devenu un simple acteur social qui se sent de plus en plus maltraité par l’administration et les tutelles.
Ira-t-on jusqu’à le baptiser ingénieur de salle d’opération lorsqu’il sera robotisé et soumis au chef de bloc et à la check-list ?
Les CHU qui ont formé des chefs-de-clinique hyperspécialisés et performants ont vu leurs postes désertés car nombre de ces derniers étaient partis en clinique(c’était déjà le cas pour ma génération comme je l’explique dans mon livre “Chirurgie chronique d’une mort programmée”.
Le secteur public
Le budget hospitalier représente déjà près de la moitié des dépenses de santé. Les hôpitaux continuent pourtant de faire l’objet de toutes les attentions. Le manque de postes valorisant en CHU et la dégradation des conditions de travail à l’hôpital public entrainent ces départs. La relative faiblesse des salaires en comparaison avec ceux d’autres professions du secteur public, entraîne actuellement nombre de praticiens à démissionner pour partir à l’étranger ou dans le privé.
Certes, sur le plan juridique l’administration protège les médecins hospitaliers, mais ils sont de plus en plus tracassés par le poids administratif, par les difficultés de carrière et les coteries.
Les contraintes horaires annexes sont de moins en moins compatibles avec l’activité chirurgicale au bloc opératoire. Les Commissions Médicales d’Établissement (CME), les staffs de services ou de pôles, l’enseignement des internes et des jeunes chefs de clinique sont chronophages.
Dans leur exercice professionnel les chirurgiens prennent rarement leurs patients en globalité. Les soins sont partagés ou délégués et on leur attribue en moyenne trois fois plus de personnel pour une activité moitié moindre qu’en libéral.
La productivité est pourtant inférieure, conséquence d’une gestion trop lente des blocs opératoires et de l’inertie de la chaîne. Le pouvoir infirmier, celui de l’administration et des urgentistes participent à cette évolution où le chirurgien n’est plus qu’un rouage de la lourde machine hospitalière. Avec un département d’anesthésie désormais indépendant et l’augmentation des tâches administratives le rôle du chef-de-service devient marginal. La difficulté de constituer un secteur privé à l’hôpital s’ajoute à tous ces problèmes.
L’exercice de la chirurgie en établissement privé est devenu un parcours semé d’embûches, Victime de sa réputation d’opulence apparente, la chirurgie libérale a été délibérément sacrifiée par le monde politique pourtant 60% des actes chirurgicaux y sont effectués.
Les contrats d’exclusivité ont disparu et le chirurgien est de plus en plus condamné à l’itinérance. En effet, nombre de cliniques privées ferment ou se transforment, ce qui peut priver certains chirurgiens de leurs lieux de travail et d’une patientèle qui ne les suivrait pas.
L’accréditation des chirurgiens a été imposée dans notre société normative. Les quotas imposés en cancérologie empêchent des chirurgiens compétents d’opérer ces patients en dehors des centres accrédités. Or, les praticiens de ces établissements ne sont pas tous chevronnés. L’état décrète, légifère, impose des normes, crée de nouvelles structures qui paralysent le système libéral.
La médecine doit sortir de l’emprise des tutelles. Cette machine accomplit la tâche ruineuse pour laquelle elle a été mise en place. Elle secrète ses propres services, développe ses systèmes, sans se rendre compte qu’elle stérilise la médecine. Elle enlève l’envie à nos enfants de choisir ces métiers qui ont cessé d’être attractifs et prestigieux pour devenir trop pesants.
Les responsabilités sont de plus en plus écrasantes, ce qui change totalement le paradigme. Le chirurgien a été formé en milieu hospitalier avec une responsabilité avant tout administrative, la responsabilité juridique personnelle étant des plus limitée. En l’absence de faute pénale ou de faute particulièrement lourde, seul l’hôpital est responsable.
En revanche, en libéral, le chirurgien est personnellement responsable de tous ses actes, même de ceux qu’il déléguerait. Depuis les lois de 2002 sur les « droits des malades » et l’inversion de la charge de la preuve les procédures contre les chirurgiens se sont multipliées. Pourtant 90% ne sont pas justifiées où ne sont pas liées à une faute.
Deux chirurgiens ont pris position sur cette situation :
Le Pr Laurent Hannoun, chirurgien à la Pitié-Salpêtrière et auteur d’un rapport interne présenté la semaine dernière à la direction, à la communauté médicale et aux doyens des universités, estime que «les départs de l’AP-HP doivent être vus comme un signal d’alarme. Pour la première fois, des chirurgiens seniors, très impliqués dans l’institution, ont démissionné pour s’installer à quelques centaines de mètres de leur service d’origine ».
De son côté, Philippe Cuq, co-président du syndicat de chirurgiens « le Bloc », note qu’”il y a 20 ans, jamais on n’aurait imaginé que des chirurgiens français partiraient ainsi à l’étranger, cela témoigne d’un vrai malaise au sein de notre profession”.
Des évolutions qui devront passer, prévient Martin Hirsch, notamment par “le regroupement et la réorganisation d’un certain nombre d’activités au sein des hôpitaux du groupe”.
Ce n’est pas à mon sens la solution :Les Chefs de service devraient être les vrais Patrons !
Je développe ces idées et les remèdes dans le livre « Chirurgie chronique d’une mort programmée » publié aux éditions L’Harmattan.
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Vidéo YouTube : Loi de “Modernisation” de notre système de santé.
Texte : bk / esanum
Photo : Tyler Olson / Shutterstock