DeepChest et DeepBreath sont des algorithmes d’apprentissage profond (deep learning). Nourris par des données issues d’images ultrasonores et de sons d’auscultation (thorax et poumons), ils sont capables d’identifier la Covid-19 grâce aux images pulmonaires et bruits respiratoires. Ces algorithmes pourront bientôt établir un diagnostic précis de Covid-19 et prédire le degré de gravité de la maladie. Ils permettront aussi de lutter contre d'autres maladies respiratoires.
DeepChest a besoin pour fonctionner d’une masse d’images ultrasonores pulmonaires. C’est l'hôpital universitaire de Lausanne (CHUV) qui lui fournit ces images, réalisées sur des patients présentant des symptômes évicateurs de la Covid-19. Noémie Boillat-Blanco, la chercheuse principale, tient à rappeler que ce projet a démarré bien avant la pandémie, en 2019 : l'objectif initial était de définir des marqueurs permettant de mieux distinguer la pneumonie virale de la pneumonie bactérienne.
DeepBreath exploite quant à lui les bruits respiratoires, obtenus grâce à un stéthoscope numérique. C’est un projet encore plus ancien. Le professeur Alain Gervaix - chef du département de la femme, de l’enfant et de l’adolescent aux Hôpitaux Universitaires de Genève - recueille ces bruits respiratoires depuis 2017. Il s’agissait alors de mieux diagnostiquer la pneumonie, en concevant un stéthoscope numérique «intelligent».
D’ici fin 2020 DeepBreath devrait permettre de diagnostiquer la Covid-19 à partir des bruits respiratoires. D’après les premiers résultats, l’algorithme est même capable de détecter une Covid asymptomatique en identifiant les modifications des tissus pulmonaires.
Le professeur Alain Gervaix explique que cette idée d’associer le pneumoscope et un algorithme lui vient… de sa fille. «DeepBreath peut être comparé aux applications capables d’identifier de la musique à partir d’un bref morceau joué. L’idée est venue de ma fille lorsque je lui ai expliqué que l’auscultation me permet d’entendre des sons qui m’aident à identifier l’asthme, une bronchite ou une pneumonie.» Une version moderne et médicale de l'antique Shazam, en quelque sorte.
Mary-Anne Hartley, médecin et chercheuse, est rattachée à un pôle mondial de spécialistes en intelligence artificielle situé à L’École Polytechnique Fédérale de Lausanne. Elle travaille sur ces deux projets. En mars 2020, pressée par la pandémie, elle a lancé un appel à la communauté des codeurs informatiques. Les algorithmes ont été rendus accessibles sur le site de son laboratoire. Depuis, des codeurs du monde entier apportent bénévolement leur aide dans le cadre de ce «hackathon» 1 baptisé «CODED-19».
L’idée est de ensuite développer une application permettant à ces algorithmes de fonctionner sur les téléphones portables. Une aubaine pour les régions les plus isolées. La docteure Hartley précise : «Nous continuons à améliorer et à valider les algorithmes, et à rendre la logique de boîte noire complexe plus facile à interpréter pour les cliniciens. Nous voulons créer des outils robustes et fiables, dont les capacités vont au-delà de cette pandémie.»
(Crédits : Ivan Savicev - EPFL 2020 / iStock)
L’intérêt de ces deux deux projets dépasse de loin la crise sanitaire en cours, puisque d’après l’OMS la pneumonie est à elle seule responsable de 15% du nombre total de décès d'enfants de moins de 5 ans dans le monde. L'Unicef alertait en 2018 sur cette maladie qui «a coûté la vie à plus de 800.000 enfants de moins de cinq ans l'an dernier, soit un toutes les 39 secondes.» Cette épidémie tueuse et oubliée sévit plus particulièrement dans cinq pays : Nigeria, Inde, Pakistan, République démocratique du Congo et Éthiopie.
Dans ces pays, les standards en termes d’imagerie ne sont pas les mêmes. «Nous voulons recueillir les données des populations sous-représentées de sorte que nos outils puissent être précis même dans les milieux défavorisés. Notre algorithme est par exemple spécialement conçu pour tolérer des erreurs dans la collecte d’images ou de sons mais aussi leur qualité inconstante, ce qui est davantage probable dans ces milieux.» détaille Mary-Anne Hartley.
Outre sa létalité, la pneumonie est dans certains pays l’un des principaux facteurs de résistance aux antibiotiques. Les chercheurs travaillent donc sur l'adaptation de ces algorithmes pour faire la distinction entre la pneumonie virale et la pneumonie bactérienne. Cela permettrait de réduire considérablement le recours aux antibiotiques.
Prise en charge des patients même en zones isolées, amélioration des résultats sanitaires, coûts réduits et contribution à l’utilisation raisonnée des antibiotiques… Autant d’arguments pour pousser plus loin ces projets, et élargir encore leur champ d'application. Ainsi, des sondes de collecte de données destinées à adapter les algorithmes pour lutter la tuberculose seront envoyées début 2021 dans les régions d’Afrique du Sud concernées. Une première étape, en attendant de trouver des fonds pour développer le projet.
La pandémie a mis en lumière l’importance et la complexité de la santé publique. Elle montre aussi l’apport précieux de l’intelligence artificielle pour analyser rapidement les données face à une brusque épidémie. «Espérons que cet élan se poursuive au-delà de la pandémie et permette un accès équitable aux soins de santé», conclut Mary-Anne Hartley.
(pour mieux comprendre l'intelligence artificielle, nous vous conseillons la lecture de notre blog «Connexion(s)», et notamment L’IA en médecine : théorie et pratiques).
Références :
1- EPFL : L'intelligence artificielle voit et entend le COVID dans vos poumons
2- Un hackathon, marathon de programmation ou programmathon est un évènement durant lequel des groupes de développeurs volontaires se réunissent pendant une période de temps donnée afin de travailler sur des projets de programmation informatique de manière collaborative (source : Wikipédia).