Covid-19 : la newsletter du Pr Adnet<br>(N°58 - 06 septembre)
Un variant Delta vraiment plus agressif ? Une preuve de plus de l'efficacité des masques. La très probable baisse de l’efficacité du vaccin après 6 mois. Une modélisation du nombre de vies sauvées en France grâce aux vaccins. Une étude sur les effets secondaires du vaccin Pfizer-BioNTech®. Patients conscients : le décubitus ventral associé à l'oxygène à haut débit, ça marche ?
Frédéric Adnet est professeur agrégé de Médecine d'Urgence et chef des Urgences de l’Hôpital Avicenne et du SAMU 93. À la fois chercheur et médecin, il fait régulièrement le point sur la Covid-19. Après 46 numéros d'une Foire Aux Questions (FAQ) quotidienne, il publie désormais une newsletter. Nous la reproduisons ici avec son aimable autorisation.
Sa FAQ a connu un succès phénoménal. À l'origine destinée aux professionnels de son service, elle est maintenant traduite en plusieurs langues. Dans son interview, Frédéric Adnet revient sur ce succès et explique son attachement à l'Evidence-based medicine.
Frédéric Adnet est également l'auteur de l'ouvrage Les Fantassins de la République - Urgence COVID, un printemps en enfer, paru en octobre 2020.
INDEX et liste des FAQ / Newsletters
NEWSLETTER N°58 (06 septembre 2021)
ÉPIDÉMIOLOGIE
Le variant Delta est-il vraiment plus agressif ?
On sait que le variant Delta (prédominant aujourd’hui) est associé à un taux de transmission extrêmement important puisque son R0 se situe entre 8 et 10, ce qui le met pratiquement au niveau de la varicelle (R0 compris entre 10 et 12).
Une question se pose : cette augmentation de transmission s’accompagne-t-elle d’une augmentation de la gravité de la maladie ? C’est ce que semble montrer une étude anglaise (Lancet Infect Dis, 27 août 2021).
- Les auteurs ont comparé 34.656 patients atteints du variant Alpha (B.1.1.7 ou «variant anglais») et 8.682 patients atteints du variant Delta.
- Pour limier les biais, ils ont stratifié les patients en fonction de leur statut vaccinal et les ont appariés en fonction de l’âge, le sexe, le groupe ethnique, le statut social, les voyages récents, la géographie du lieu de résidence, la date de vaccination.
- Résultats
Avec le variant Delta :
- le risque d’être hospitalisé dans les 14 jours après le début des symptômes est augmenté d’un facteur 2,26 (aHR=2,26 ; IC95%[1,32-3,89]),
- le risque d’être hospitalisé ou de devoir se rendre aux urgences est augmenté d’un facteur 1,45 (aHR=1,45 ; IC95%[1,08-1,95]).
Bon, cette étude n’est pas très convaincante, le critère choisi étant un critère faible : il n’intègre pas la mortalité ni le nombre de patients en réanimation. On se souvient que les anglais nous avaient fait le même coup avec le variant Alpha (cf. newsletter n°48) avant que la supposée «gravité» du variant Alpha ne soit infirmée par d’autres travaux.
À suivre !
Pourcentages d’admissions hospitalières et d’admissions hospitalières/services d’urgences entre deux groupes de patients infectés par le variant Alpha (à gauche) ou Delta (à droite). Il existe un sur-risque d’hospitalisation, après ajustement, dans le groupe infecté par le variant Delta.
Les masques : ça marche !
Dans cette époque de désinformation croissante, il est bon de rappeler quelques fondamentaux… Les masques : ça marche ! Un article de revue fait un tour d’horizon des publications démontrant l’efficacité des masques en clinique (JAMA network, 10 février 2021).
(crédit : JAMA Network)
Le tableau ci-dessus (non traduit) fait un résumé des principales études. Il est clair que l’effet sur la transmission du virus est net et varie de 30% à 100%. Il est éthiquement difficile de randomiser, à l’heure actuelle, le port du masque pour construire une étude très robuste.
VACCINS
L’efficacité du vaccin décline
Un travail très intéressant, publié dans le New England Journal of Medicine, montre que le taux de contaminations (Covid-19 symptomatique) augmente chez les sujets vaccinés au cours du temps (NEJM, 1er septembre 2021).
- En étudiant le personnel soignant des hôpitaux de l’université de San Diego (environ 19.000 personnes), les auteurs ont remarqué que le nombre de personnes vaccinées et se contaminant avec le SARS-CoV-2 augmentait dramatiquement à partir de juin 2021.
-
Le taux d’attaque pour 1.000 (nombre de nouveaux cas dans la population exposée) passait de 0,21 (mars 2021) à 5,7 (juillet 2021) chez les vaccinés et de 3,4 (mars 2021) à 16,4 (juillet 2021) chez les soignants non vaccinés.
- Cette augmentation est probablement liée à trois évènements intervenus simultanément :
1- apparition du variant Delta beaucoup plus contagieux (voir schéma),
2- abandon du port du masque à l’université (le 15 juin 2021),
3- très probable baisse de l’efficacité du vaccin après 6 mois (76,3% des personnels étaient vaccinés en mars 2021).
- L’efficacité du vaccin, dans cette population et contre les formes symptomatiques n’était plus que de 65,5% en août 2021 (vs 93,9% en mars 2021).
- Dans cette étude, il n’y a pas eu de décès, et une seule personne a été hospitalisée (non vaccinée).
Conclusion : le vaccin protège de moins en moins contre les formes symptomatiques dûes au variant Delta. Le rappel (même ARNm ou nouveau vaccin) devient une solution de plus en plus logique, malheureusement.
Distribution des variants (orange=Delta, jaune = Alpha, bleu = autres) dans une population de soignants vaccinés et symptomatiques du Covid-19. L’augmentation correspond à l’apparition du variant Delta et probablement à l’abandon des mesures barrières.
Le vaccin : ça sauve des vies !
Une équipe française (composée de chercheurs issus du CNRS et d'universités) a pu estimer par un travail de modélisation l’impact de la campagne de vaccination en termes de morbi-mortalité. En supposant une réduction de la probabilité d’être infecté de 40% et une diminution de la probabilité d’être hospitalisé en réanimation (ou de décéder) de 88% grâce au vaccin, les auteurs ont pu construire un modèle quantifiant le gain sur la mortalité ou les hospitalisations en réanimation (OSFPREPRINTS, non encore reviewé, 30 août 2021).
- Les auteurs ont pu quantifier, à la date arrêtée au 20 août 2021, l’impact des vaccinations.
- Ils ont construit une courbe de la mortalité (relative case fatality rate) en tenant compte :
- d’une couverture vaccinale estimée à 65% mi-août,
- du pourcentage de couverture vaccinale dans le monde entier,
- de l’augmentation de la transmissibilité du variant Delta et des mesures barrières.
- Par rapport à un scénario «sans vaccination», les calculs montrent :
- une diminution relative des hospitalisations en réanimation de 46%, soit 39.200 séjours en réanimation évités (IC95%[26.100-57.100]),
- une diminution de la mortalité hospitalière de 57%, soit 47.400 décès évités (IC95%[36.200-62.800]).
Si cette modélisation tient la route, on l’a vraiment échappé belle !
Effets secondaires du vaccin ARNm : rassurant !
Le débat sur les effets indésirables attribuables aux vaccins fait toujours rage sur les réseaux sociaux, avec un degré de désinformation inouï ! Nous avons vu que, par exemple, l’incidence des myocardites était augmentée dans la population des vaccinés (cf. newsletter n°57). La difficulté d’affirmer l’imputabilité d’un effet indésirable à un vaccin (en dehors des essais randomisés de phase 3) vient :
- d’une part, de la difficile enquête de pharmacovigilance,
- d’autre part, de la comparaison des populations vaccinées avec les non vaccinées, qui n’ont aucune raison d’être identiques en termes de facteurs de risques, d’âge, de sexe, etc.
Cependant, avec des techniques d’appariement – qui ont leurs limites – de ces deux populations, on peut avoir une idée d’évènements possiblement reliés à la vaccination.
Dans un article du New England Journal of Medicine, des chercheurs ont pu estimer, à partir d’un échantillon de 3.455.925 patients, les effets indésirables du vaccin Pfizer-BioNTech® dans trois populations appariées sur un certain nombre de paramètres pertinents comme l’âge, le sexe et les facteurs de risques (NEJM, 25 août 2021).
- Le suivi était de 42 jours après l’injection de la première ou seconde dose.
- Les auteurs ont comparé :
- une population «témoin» non vaccinée,
- une population vaccinée avec le vaccin ARNm de Pfizer-BioNTech® (N=884.828 pour chaque groupe),
- et un groupe de patients atteints du Covid-19 apparié avec un groupe contrôle (N=173.106 pour chaque groupe).
- Au total, dans le groupe des vaccinés, il existe un sur-risque :
- (x3) de myocardites (RR=3,24 ; IC95%[1,55-12,44] ; soit un sur-risque de 2,7 myocardites pour 100.000 vaccinés),
- (X2,5) d’adénopathies (RR=2,72 ; IC95%[2,05-2,78] ; soit un sur-risque de 78,4 évènements pour 100.000 vaccinés,
(x1,5) d’appendicites (RR=1,4 ; IC95%[1,02-2,01] ; sur-risque de 5,0 événements pour 100.000 vaccinés.
- Le risque de ces évènements pour la population atteinte de la Covid-19 est beaucoup plus élevé pour les myocardites (RR=18,28 soit 11 évènements pour 100.000 malades) ainsi que pour d’autres évènements non signalés dans le groupe des vaccinés : péricardites, infarctus, arythmie, thrombose, embolie pulmonaire, hémorragie intracrânienne, etc.
Au total, ce travail montre une bonne sécurité du vaccin dans la population générale mais surtout un rapport bénéfice/risque individuel par rapport à la maladie très en faveur du vaccin.
Sur-risque (ou sous-risque) d’une effet indésirable des personnes vaccinées (bleu) ou malades du Covid-19 (orange) par rapport à la population générale (nombre d'événements pour 100.000 personnes). Ces incidences montrent un clair bénéfice individuel pour la population vaccinée par rapport à la population malade.
CLINIQUE
Infecté et séronégatif… Pourquoi ?
Un lien a été établi entre l’âge, la charge virale nasopharyngée et la probabilité de rester séronégatif malgré un test PCR positif (Emerg Infect Dis, 1er septembre 2021).
Des auteurs ont remarqué que le jeune âge et surtout une charge virale basse (valeurs de Ct ≥ 35) étaient associés à une fréquence plus importante de patients restant séronégatifs. La question se pose de traiter les patients séronégatifs comme des patients «naïfs» de la maladie dans la stratégie vaccinale.
TRAITEMENTS
Ventilation consciente en décubitus ventral : un espoir ?
Le Covid-19 sévère aura au moins fait progresser nos techniques d’oxygénation/ventilation en réanimation. Actuellement, on essaie de retarder au maximum l’intubation trachéale pour éviter la morbi-mortalité liée à la ventilation mécanique invasive.
Par ailleurs, on sait que, pour les patients intubés et sédatés, la ventilation en décubitus ventral (patient allongé sur le ventre) améliore le pronostic vital. Cela permet le recrutement d’espaces pulmonaires habituellement mal ventilés lorsque l’on est allongé sur le dos. D’où l’idée de combiner ces deux éléments, en proposant le décubitus ventral aux patients non intubés et conscients. Des résultats encourageants avaient déjà été publiés, concernant l’association de la ventilation non invasive (VNI) avec le décubitus ventral chez des patients non sédatés (cf. newsletter n°1).
Afin de connaître les éventuels bénéfices d’une ventilation en décubitus ventral intermittente chez des patients conscients et sous oxygène à haut débit (OHD), des auteurs on étudié six essais randomisés réalisés dans six pays différents (Lancet Respir Med, 20 août 2021).
- Le critère principal de jugement était l’échec du traitement, défini comme la nécessité du recours à l’intubation ou le décès à J28.
- Les patients étaient randomisés en :
- séances de ventilation par OHD dans le groupe décubitus ventral (N=567),
- ou traitement standard (N=559).
-
Les résultats ont montré une diminution significative de l’échec du traitement dans le groupe décubitus ventral : 40% vs. 46% (RR=0,86 ; IC95%[0,75-0,98]).
- C’est surtout le non-recours à l’intubation qui a été dominant (33% vs. 40%), tandis que la mortalité ne différait pas significativement entre les deux groupes (21% vs. 24%).
Bon, clairement cette technique semble améliorer les paramètres ventilatoires, mais sans incidence sur la mortalité malheureusement. On retrouve cette observation bien connue en réanimation qui réside dans l’amélioration transitoire des patients mais sans changement du pronostic final.
Ce n’est donc pas encore la solution miracle !
(A) évolution de la survenue d’un échec du traitement (recours de l’intubation ou décès) au cours du temps entre un groupe de patients Covid-19+ sévères en soins standards (trait rouge) ou avec une oxygénation à haut débit avec des séances en décubitus ventral. Il existe une diminution significative de cet évènement pour le groupe décubitus ventral.
Cette différence existe pour le recours à l’intubation seule (B) mais pas pour la mortalité (C).
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