Covid-19 : la newsletter du Pr Adnet (N°4 - 03 juin)
Cette semaine... Deux études françaises s'intéressent à l'extra-hospitalier : plus d'arrêts cardiaques (et de moins bon pronostic) pendant l'épidémie, et un point sur les symptômes rencontrés par les généralistes. À l'hôpital... La chirurgie reste très déconseillée pour les patients Covid-19+. Le traitement par anakinra semble intéressant (autre étude française). Côté soignants : une étude sur leur réponse immunitaire après infection, une autre sur la prévention/prophylaxie (spoil : Pr Raoult content). Enfin, focus sur la reprise du travail post-confinement, entre risques individuels et exposition professionnelle. Merci au Pr Adnet pour cette newsletter N°4 !
Depuis le 12 mars, le Pr Frédéric Adnet - professeur agrégé de Médecine d'Urgence, chef des Urgences de l’Hôpital Avicenne et du SAMU 93 - fait régulièrement le point sur le Covid-19.
Après 46 numéros d'une FAQ quotidienne, il propose désormais une newsletter hebdomadaire. Nous la reproduisons ici avec son aimable autorisation.
INDEX et liste des FAQ / Newsletters
NEWSLETTER N°4 (03 juin)
IMMUNITÉ
Réponse sérologique des soignants infectés au SARS-CoV-2
L’acquisition d’une réponse immunitaire efficace (cellulaire et humorale) est maintenant un fait acquis après infection au SARS-CoV-2. Ceci est encore illustré par une enquête strasbourgeoise sur 162 soignants ayant été infectés par le SARS-CoV-2 (medRxiv, 22 mai 2020, pas encore reviewé). Un suivi sérologique a été entrepris (détection des anticorps : donc de l’immunité humorale).
- Dans 99% des cas (161/162), des anticorps ont été détectés dans une médiane de 24 jours après le début des symptômes.
- Les anticorps étaient neutralisants (c’est à dire efficace) dans 98% des cas lorsqu’ils étaient collectés entre 28 et 41 jours après le début des symptômes.
- Reste à savoir maintenant la durée de cette protection immunitaire… Là réside vraiment la question !
[Merci au Dr. Axel Ellrodt]
CLINIQUE
Clinique des patients ambulatoires
La description clinique du COVID-19 est maintenant bien connue. Sauf que ces éléments cliniques ont surtout été publiés chez les patients hospitalisés alors que 80% des malades du COVID-19 ne sont pas hospitalisés.
- Les auteurs d’une étude ont pu analyser les différents symptômes par un interrogatoire standardisé d’une cohorte prospective française (Seine-Saint-Denis) de 1.487 patients COVID-19-suspects (selon les critères de l’OMS) et ayant appelé le SAMU (Internal and Emergency Medicine, 30 mai 2020).
- En dehors de la toux sèche et de la fièvre (90%), d’autres symptômes ont été retrouvés avec une fréquence étonnante : myalgies (57%), céphalée (55%) et asthénie (60%).
- Les douleurs thoraciques étaient fréquentes (21%) ainsi que les célébrissimes anosmie (28%) et agueusie (28%).
- Ces descriptions correspondent donc au quotidien des médecins généralistes !
Arrêts cardiaques extra-hospitaliers, conséquences du COVID-19 ?
L’épidémie du COVID-19 a eu comme conséquences, entre autre, de déréguler les parcours de soins des autres pathologies et en particulier les pathologies urgentes comme les infarctus ou les AVC. L’explication la plus souvent évoquée est que ces patients ne venaient plus à l’hôpital ou chez le médecin traitant par peur d’être contaminés. Paradoxalement, on a noté dans plusieurs pays un accroissement des arrêts cardiaques extra-hospitaliers (ACEH). Dans cette enquête en Île-de-France (petite couronne) les auteurs ont comparé l’incidence des ACEH entre 2012-2019 et la période de l’épidémie du COVID-19 de 2020 (Lancet, 27 Mai 2020).
- Ils ont trouvé une augmentation très importante de cette incidence qui passait de 13,42 ACEH/million d’habitants à 26,64 ACEH/million d’habitants soit une augmentation de 98%.
- Ces ACEH différaient significativement des ACEH des années précédentes sur plusieurs caractéristiques importantes :
- plus de localisation à domicile,
- moins de témoins de l’effondrement,
- moins de défibrillations initiales,
- moins de réanimations entreprises,
- moins de rythmes choquables.
- Ces caractéristiques sont connues comme étant associées à un plus mauvais pronostic. Ce mauvais pronostic était retrouvé après un ajustement multiple sur ces facteurs (3,1% de patients sortaient vivants de l’hôpital pendant la pandémie vs. 5,4% dans les années 2012-2019).
- L’explication de cette hausse d’incidence qui a été retrouvée dans plusieurs pays doit être recherchée dans la morbidité associée au COVID-19 qui est responsable de la survenue de troubles du rythme cardiaque ou de morts subites.
- Probablement interviennent aussi les conséquences de la baisse des recours aux services d’urgences pendant l’épidémie, exposant les patients aux complications hélas fatales (surtout vrai pour les infarctus).
Chirurgie chez les patients COVID-19+
Plusieurs études ont montré que la chirurgie programmée (ou non) chez des patients COVID-19 exposait celui-ci à une incidence de complications plus importante. Des auteurs ont conduit une étude rétrospective systématique en étudiant les complications de la chirurgie majeure ou non, urgente ou programmée.
- Ils ont inclus 1.128 patients dont le diagnostic de COVID-19 était été établi de 7 jours avant et jusqu’à 30 jours après l’acte chirurgical.
- Ces patients provenaient de 235 hôpitaux dans 24 pays (Lancet, 29 mai 2020).
- Les résultats de la fréquence des complications sont très inquiétants :
- 24% de décès dans les trente jours (expliquant 83% des décès),
- 51% de complications pulmonaires (définie par l’existence d’une pneumopathie, d’un SDRA ou la nécessité d’une ventilation non programmée).
- Les facteurs de risques indépendamment reliés à cette mortalité étaient l’âge supérieur à 70 ans, le sexe masculin et un mauvais état général défini par le score ASA de 3 à 5.
- Ces constatations ont amené les auteurs à recommander de différer les indications à la chirurgie chez les patients COVID-19+ surtout chez les hommes âgés.
TRAITEMENTS
Prophylaxie
Les soignants sont des professionnels exposés au risque de contamination du SARS-CoV-2. Les différentes enquêtes trouvent un taux de contamination entre 15 et 20% (séropositivité).
- Une enquête cas-témoins en Inde a tenté d’identifier les facteurs pouvant expliquer la contamination des soignants et en particulier l’existence d’une prophylaxie à base d’hydroxychloroquine : 800 mg en dose de charge puis 400 mg une fois par semaine pendant 7 semaines (Indian Journal of Medical Research, 28 mai 2020).
- Dans ce travail, 378 soignants non malades (contrôle) et 373 malades COVID-19 ont répondu au questionnaire
- Les facteurs de risques identifiés à la contamination étaient le sexe masculin (OR=1,36 ; IC95% [1,02-1,81]) et le fait de réaliser des intubations trachéales (OR=4,33 ; IC95%[1,16-16,07]).
- Les facteurs protecteurs retrouvés étaient le port d’une tenue de protection individuelle (OR=0,27 ; IC95%[0,15-0,47]) et le traitement par hydroxychloroquine plus de quatre semaines (OR=0,44 ; IC95%[0,22-0,88].
- Il existait une corrélation entre l’intensité de la protection contre le COVID-19 et la durée de traitement avec ce médicament.
- Les auteurs recommandent donc une prophylaxie à base d’hydroxychloroquine pendant plus de 4 semaines couplée au port d’une tenue de protection individuelle.
- Étude rétrospective, cas-témoins, à partir de questionnaires non exhaustifs (un peu plus de 60 % de réponses), déclaratif. Très faible niveau de preuve. Bon, mais j’ose : Raoult content !
[Merci au Dr. Axel Ellrodt]
Anakinra
L’anakinra (Kineret®) est un antagoniste des récepteurs à l’interleukine 1 qui pourrait avoir un intérêt dans le traitement des patients COVID-19 graves en modulant l’orage cytokinique (réaction inflammatoire incontrôlée). Une équipe française publie des premiers résultats encourageants (Lancet Rheumatology, 29 mai 2020).
- Ils ont comparé, de manière rétrospective et dans un seul centre, un groupe historique de patients (18 - 23 mars) qui n’avaient pas bénéficié de ce traitement (N=44) avec un autre groupe de patients consécutifs, inclus de manière prospective (24 mars - 6 avril ; N=52).
- Ces derniers avaient un protocole d’administration d’anakinra (100 mg SC x2/j pendant 3 jours puis 100 mg/ j pendant 7 jours).
- Tous les patients bénéficiaient du protocole «Raoult» (hydroxychloroquine + azithromycine).
- Ces patients étaient hospitalisés pour COVID-19 grave avec une pneumopathie bilatérale et requéraient une oxygénothérapie.
- Le groupe historique avait des marqueurs de gravité du COVID-19 plus fréquents (plus d’hommes, plus d’obèses, plus âgés).
- Le critère de jugement était la nécessité d’une ventilation mécanique invasive ou le décès. Cet évènement survenait chez 25% des patients traités par anakinra et 73% dans le groupe historique. Cette différence persistait après ajustement multiple (HR=0,22 ; IC95% [0,10 - 0,49], schéma).
- Étude de type «avant-après», monocentrique donc associée à un faible niveau de preuve. Les prises en charge ont pu évoluer (en particulier dans les indications à l’intubation) entre le groupe historique et le groupe prospectif.
- Néanmoins, résultats intéressants à confirmer par une étude randomisée.
Habilitation à reprendre le travail
La problématique des risques pour reprendre le travail a été abordée dans un numéro du New England Journal of Medicine. En effet, deux éléments sont à prendre en considération : les facteurs de risques du patient et les risques liés à la nature du travail (NEJM, 26 mai 2020).
- Parmi les facteurs de risques individuels du travailleur, l’âge est de loin, le premier risque surtout au dessus de 65 ans.
- Les autres sont les facteurs de risques classiques du COVID-19 : cardiopathie, obésité, diabète, BPCO parmi les principaux et les plus fréquents.
- Pour les conditions de travail, les auteurs distinguent le télétravail (bas risque) et le contact avec des malades COVID-19, comme les soignants par exemple (haut risque).
- Dans une case intermédiaire figurent les métiers impliquant un contact fréquent avec le public : agent de caisse, conducteur de transport en commun, vendeur, vigile etc.
- Le croisement de ces risques a fait émerger l’idée de stratifier la décision de reprendre (ou non) le travail en trois catégories A = aucun risque, B= on discute, C= vaut mieux pas !
Arbre décisionnel pour argumenter la reprise du travail en fonction des risques individuels et professionnels.